La vigile du samedi est la nuit du Grand Sabbat qui suit l’oeuvre consommée, la nuit où le Christ ayant tout accomplit, attend paisiblement, entre les mains du Père, l’aube où ceux qui, le soir, semaient dans les larmes, moissonneront dans l’allégresse.
Extraordinaire est l’aspect de l’Église entre la liturgie des présanctifiés et la liturgie de la nuit pascale. De nouveau l’autel a été dépouillé de ses nappes. Il reste nu. Toutes les lampes sont éteintes. Le tabernacle, vide, est ouvert. Seule l’image de la croix apparaît, dégagée de ses voiles et tous fléchissent le genoux devant elle. L’impression voulue par la liturgie est certainement celle d’une absence. Le tombeau renferme le corps du Sauveur, mais ce corps est inanimé : l’âme l’a quitté et s’en est allée au séjour des morts.
Les liturgies orientales ont un office de la sépulture où la douleur de l’humanité pécheresse, devant la mort qu’elle a infligée au Dieu qui la sauvait, s’est exprimée souvent avec une poésie poignante. La liturgie occidentale ignore cet office. Plus profonde encore semble la componction éveillée par ce que notre salut a coûté à notre Sauveur, quand elle se traduit simplement par le dépouillement et le silence. Pourtant, une fois consommé le sacrifice, ce n’est plus ce sentiment qui doit dominer.
Quand le choeur se réunira de nouveau dans l’église désertée par la présence divine et, pour la troisième et dernière fois, reprendra la vigile des Ténèbres, les paroles qu’il redira seront encore voilées de larmes, mais déjà empreintes d’une paix inviolable. Si le déchirement du Crucifié est le plus déchirant qui soit, si la douleur est la plus douloureuse, la mort y met le point final. Désormais, « Tout », spécialement tout ce qu’il lui fallait traverser de souffrances, « est accompli ». Sans attendre l’aube de Pâques, la nuit du Vendredi saint s’illumine des présages de la résurrection. Dès le soir descendu avant l’heure, nous avons pu chanter la victoire de la croix. L’Église demeure immobile auprès du tombeau où repose son Époux, mais déjà elle est en paix. Ce repos du Christ, c’est celui du Sabbat, du second Sabbat de Dieu, qui fait suite à l’oeuvre de la seconde création, comme le premier avait terminé la première.
Il y a trois parties essentielles dans la « sainte nuit ». La première est le Lucernaire, l’antique prière pour l’heure où l’on allume les lampes, qui devient en ce jour un cantique à la Résurrection et à la lumière dont elle illumine le monde. La seconde est la Vigile, vigile si solennelle, dit Tertullien, que tous les chrétiens de son temps étaient tenus d’y assister. Consacré à l’ultime enseignement des cathécumènes, elle déroule devant nous en douze prophéties tout l’enseignement préparatoire au Christ que renferme l’Ancien Testament. La troisième partie enfin, non seulement célèbre mais renouvelle la Résurrection du Sauveur par le baptême des néophytes, ou tout au moins, si nul ne se présente, par la bénédiction de l’eau où naîtront les fisl de l’Ichtus divin. La synaxe (assemblée des fidèles) se termine par le banquet eucharistique auquel ceux-ci prendront part pour la première fois avec les fidèles. L’Alleluia ne cessera de retentir.
La Vigile garde l’extrême gravité d’une ultime catéchèse, mais quelles visions grandioses ne découvre-t-elle pas à nos yeux ! La fête des lumières et la fête de l’eau entre lesquelles elle s’intercale ne sont qu’une splendide jubilation. C’est l’expression la plus royale de cette joie surhumaine qui doit être le climat habituel de l’âme et de l’Église rachetées. Saint Jean a su l’imprimer à chaque page du livre même où il a décrit les tribulations dans le monde de l’une et l’autre jusqu’à la Parousie. Mais l’Église ne se contente pas de lire la Parole inspirée : elle en vit, elle la revit jour après jour.
Car le Christ est mort pour nous, non pas afin de nous dispenser de mourir, mais bien plutôt pour nous rendre capables de mourir efficacement : de mourir à la vie du vieil homme pour revivre à celle de l’homme nouveau qui ne meurt plus.
Là est le sens de la Pâque : elle nous enseigne que le chrétien dans l’Église doit mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui.