Extrait de l’instruction Pastoralis Actio
En Orient comme en Occident, la pratique de baptiser les petits enfants est considérée comme une norme de tradition immémoriale. Origène, puis plus tard saint Augustin, y voient une « tradition reçue des apôtres » [1]. Lorsqu’au IIe siècle apparaissent les premiers témoignages directs, aucun d’eux ne présente jamais le baptême des enfants comme une innovation. Saint Irénée, en particulier, considère comme allant de soi la présence parmi les baptisés « de tout-petits et d’enfants », aux côtés d’adolescents, de jeunes et de personnes plus âgées [2]. Le plus ancien rituel connu, celui que décrit au début du IIIe siècle la Tradition apostolique, contient la prescription suivante : « On baptisera en premier lieu les enfants ; tous ceux qui peuvent parler pour eux-mêmes parleront ; quant à ceux qui ne le peuvent pas, leurs parents parleront pour eux ou quelqu’un de leur famille » [3]. Saint Cyprien, tenant un Synode avec les évêques d’Afrique, affirmait « qu’il ne faut refuser la miséricorde et la grâce de Dieu à aucun homme venant à l’existence » ; et ce même Synode, rappelant « l’égalité spirituelle » de tous les hommes, quels que soient « leur taille et leur âge », décréta que l’on pouvait baptiser les enfants « dès le deuxième ou le troisième jour après leur naissance » [4].
Certes, la pratique du baptême des enfants a connu une certaine régression au cours du IVème siècle. À cette époque, où les adultes eux-mêmes différaient leur initiation chrétienne, dans l’appréhension des fautes à venir et la crainte de la pénitence publique, bien des parents renvoyaient le baptême de leurs enfants pour les mêmes motifs. Mais on doit également constater que des Pères et des Docteurs comme Basile, Grégoire de Nysse, Ambroise, Jean Chrysostome, Jérôme, Augustin – eux-mêmes baptisés à l’âge adulte en raison de cet état de choses -, réagirent ensuite avec vigueur contre une telle négligence, demandant instamment aux adultes de ne pas retarder le baptême nécessaire au salut [5], et plusieurs d’entre eux insistent pour qu’il soit conféré aux petits enfants [6].
Les Papes et les Conciles sont également intervenus souvent pour rappeler aux chrétiens le devoir de faire baptiser leurs enfants.
À la fin du IVème siècle, on oppose aux doctrines pélagiennes l’usage ancien de faire baptiser les enfants aussi bien que les adultes « pour la rémission des péchés ». Comme l’avaient relevé Origène et saint Cyprien, avant saint Augustin [7], un tel usage confirmait la foi de l’Église dans l’existence du péché originel, ce qui, en retour, fit apparaître encore davantage la nécessité du baptême des enfants. En ce sens intervinrent les Papes Sirice [8] et Innocent Ier [9] ; puis le Concile de Carthage de 418 condamne « ceux qui nient qu’on doive baptiser les petits enfants récemment sortis du sein maternel », et affirme que « en raison de la règle de foi » de l’Église catholique concernant le péché originel, « même les tout-petits, qui n’ont pu commettre encore personnellement aucun péché, sont baptisés véritablement pour la rémission des péchés, afin que soit purifié par la régénération ce qu’ils tiennent de leur naissance » [10].
[1] Origène, In Romanos, lib. V, 9, Migne, Patr. Grec., 14, 1047 ; cf. S. Augustin, De Genesi ad litteram, X, XXIII, 39, Patr. Lat., 44, 131. De fait, trois passages des Actes des Apôtres (16, 15 ; 16, 33 ; 18, 8) mentionnent déjà le baptême de « toute une maison ».
[2] S. Irénée de Lyon, Adversus Hæreses, II, 22, 4. Patr. Grec., 7, 784 ; Harvey, I, 330. De nombreux documents épigraphiques décernent dès le IIème siècle à de petits enfants le titre d' »enfants de Dieu » réservé aux baptisés ou même mentionnent explicitement le fait de leur baptême. Cf. par exemple Corpus inscriptionum graecarum, 9727, 9817, 9801 ; E. Diehl, Inscriptiones latinae christianae veteres, Berlin 1961, nn. 1523 [3], 4429 A.
[3] Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, éd. et trad. par R. Botte, Münster W., Aschendorff 1963, (Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 39), pp. 44-45.
[4] Epistula LXIV, Cyprianus et coeteri collegae, qui in concilia adfuerunt numero LXVI. Fido fratri ; Patr. Lat., 3, 1013-1019 ; Hartel, CSEL, 3, pp. 717-721. Dans l’Église d’Afrique, cette pratique était particulièrement ferme, malgré la position de Tertullien qui conseillait de différer le baptême des jeunes enfants en raison de l’innocence de leur âge, et par crainte d’éventuelles défaillances de jeunesse : Cf. De baptismo, 18, 3 – 19, 1, Migne, Patr. Lat., 1, 1220-1222 ; De anima, 39-41, Patr. Lat., 2, 719 ss.
[5] Cf. S. Basile de Césarée, Homilia XIII exhortatoria ad sanctum baptisma, Patr. Grec., 31, 424-436 ; S. Grégoire de Nysse, Adversus eos qui differunt baptismum oratio, Patr. Grec., 46, 424 ; S. Augustin, In Ioannem Tractatus 13, 7, Patr. Lat., 35, 1496 ; CCL 36, p. 134.
[6] Cf. S. Ambroise, De Abraham, II, 11, 81-84, Patr. Lat., 14, 495-497, CSEL 32, 1, pp. 632-635 ; S. Jean Chrysostome, Catechesis III, 5-6, ed. A.Wenger, SC 50, pp. 153-154 ; S. Jérôme, Epistula 107, 6, Patr. Lat., 22, 873, ed. J. Labourt (coll. Budé), t. 5, pp. 151-152. Cependant, Grégoire de Nazianze, tout en pressant les mères de faire baptiser leurs enfants dans l’âge le plus tendre, se contente de fixer cet âge à trois ans. Cf. Oratio XL in sanctum baptisma, 17 et 28, Patr. Grec., 36, 380 et 399.
[7] Origène, In Leviticum hom. VIII, 3, Patr. Gr., 12, 496, In Lucam hom. XIV, 5, Patr. Gr., 13, 1835 ; S. Cyprien, Epistula 64, 5, Patr. Lat., 3, 1018, B. Hartel, CSEL, p. 720 ; S. Augustin, De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum, lib. I, XVII-XIX, 22-24, Patr. Lat., 44, 121-122, De Gratia Christi et de peccato originali, lib. I, XXXII, 35, ibid., 377, De praedestinatione Sanctorum, XIII 25, ibid., 978, Opus imperfectum contra Iulianum, lib. V, 9, Patr. Lat., 45, 1439.
[8] Epistula Directa ad decessorem ad Himerium episc. Tarracon., 10 feb. 385, c. 2, apud Denz.-Sch. [Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Herder 1965], n. 184.
[9] Epistula Inter ceteras Ecclesiae Romanae ad Sylvanum et ceteros synodi Milevitanae Patres, 27 jan. 417, c. 5 ; Denz.-Sch. n. 219.
[10] Can. 2, Mansi, III, 811-814 et IV, 327 A-B, Denz.-Sch. n. 223.
Les textes sources de la patristique sur le baptême des enfants
Au surplus, s’il [Jésus] n’avait que trente ans lorsqu’il vint au baptême, il avait l’âge parfait d’un maître lorsque, par la suite, il vint à Jérusalem, de telle sorte qu’il pouvait à bon droit s’entendre appeler maître par tous : car il n’était pas autre chose que ce qu’il paraissait, comme le disent les docètes, mais, ce qu’il était, il le paraissait aussi. Étant donc maître, il avait aussi l’âge d’un maître. Il n’a ni rejeté ni dépassé l’humaine condition et n’a pas aboli en sa personne la loi du genre humain, mais il a sanctifié tous les âges par la ressemblance que nous avons avec lui. C’est, en effet, tous les hommes qu’il est venu sauver par lui-même —, tous les hommes, dis-je, qui par lui renaissent en Dieu : nouveau-nés, enfants, adolescents, jeunes hommes, hommes d’âge. C’est pourquoi il est passé par tous les âges de la vie : en se faisant nouveau-né parmi les nouveau-nés, il a sanctifié les nouveau-nés ; en se faisant enfant parmi les enfants, il a sanctifié ceux qui ont cet âge et est devenu en même temps pour eux un modèle de piété, de justice et de soumission ; en se faisant jeune homme parmi les jeunes hommes, il est devenu un modèle pour les jeunes hommes et les a sanctifiés pour le Seigneur. C’est de cette même manière qu’il s’est fait aussi homme d’âge parmi les hommes d’âge, afin d’être en tout point le Maître parfait, non seulement quant à l’exposé de la vérité, mais aussi quant à l’âge, sanctifiant en même temps les hommes d’âge et devenant un modèle pour eux aussi. Finalement il est descendu jusque dans la mort, pour être le Premier-né d’entre les morts, celui qui a la primauté en tout l’Initiateur de la vie, antérieur à tous les hommes et les précédant tous.
On baptisera en premier lieu les enfants ; tous ceux qui peuvent parler pour eux-mêmes parleront ; quant à ceux qui ne le peuvent pas, leurs parents parleront pour eux ou quelqu’un de leur famille.
C’est pour cela que l’Église a reçu des apôtres la tradition d’administrer le baptême même aux parvuli [petits enfants]. Car les hommes à qui fut transmis le secret des mystères divins savaient qu’il y avait en tous de véritables souillures dues au péché, qui devaient être effacées par l’eau et par l’Esprit.
À ce propos je veux encore dire un mot sur une question fréquemment soulevée parmi les frères. Les paidia [les enfants] sont baptisés pour le pardon des péchés. Desquels ? Quand ont-ils donc péché ? En fait, jamais. Et pourtant, « personne n’est pur de souillure » (même s’il n’a qu’un jour, Jb 14, 4s). C’est cette souillure qu’on enlève par le mystère du baptême. Voilà la raison pour laquelle on baptise aussi les paidia.
On se demande pourquoi le baptême de l’Église qui est donné pour la rémission des péchés, est aussi, suivant la coutume de l’Église, administré aux petits enfants ; or, s’il n’y avait rien en eux qui réclamât rémission et pardon, la grâce baptismale apparaîtrait superflue.
Au reste, eu égard à l’état, à la disposition et à l’âge, il est plus expédient de différer le baptême que de le donner d’abord surtout aux petits enfants ; car pourquoi, s’il n’y a pas de nécessité pressante, exposer les parrains à un très grand péril ? Ceux-ci peuvent mourir, par conséquent ils ne peuvent acquitter leurs promesses ; s’ils vivent, le mauvais naturel des enfants peut tromper leurs espérances.
Il est vrai que notre Seigneur a dit au sujet des enfants : « Ne les empêchez pas de venir à moi » (Mt 19, 14). Qu’ils viennent donc lorsqu’ils seront plus avancés en âge ; qu’ils viennent lorsqu’ils seront en état d’être instruits, afin qu’ils connaissent leurs engagements. Qu’ils commencent par savoir Jésus-Christ, avant que de devenir chrétiens. Pourquoi tant presser de recourir à la rémission des péchés un âge encore innocent ? Les hommes du siècle en usent avec plus de précaution ; ils n’osent confier l’administration des biens terrestres à des enfants auxquels cependant on se hâte de distribuer les biens du ciel. Que les enfants apprennent donc à demander le salut, afin qu’il paraisse qu’on n’accorde qu’à ceux qui demandent.
Pour ce qui regarde les enfants, vous disiez qu’on ne devait pas les baptiser le deuxième ou le troisième jour, mais qu’il fallait prendre modèle sur la loi antique de la circoncision, par conséquent ne pas baptiser et sanctifier le nouveau-né avant le huitième jour. Notre assemblée en a pensé tout autrement. La façon d’agir que vous préconisiez n’a rallié aucun suffrage, et nous avons tous été d’avis qu’il ne fallait refuser à aucun homme arrivant à l’existence la Miséricorde et la Grâce de Dieu. Le Seigneur dit dans l’évangile : « Le fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver » (Lc 9, 56). Autant donc qu’il est en nous, nous ne devons, si c’est possible, perdre aucune âme. Que manque-t-il, en effet, à celui que les Mains de Dieu ont formé dès le sein de sa mère ? A nos yeux, il semble que ceux qui arrivent à l’existence croissent avec les jours d’ici bas. En réalité, ce qui est fait par Dieu est parfait, en raison de la majesté et de l’opération divine de l’auteur.
Bref, que tous, tout petits enfants ou personnes plus âgées, reçoivent également le don divin, c’est ce que la divine Écriture nous montre, quand elle nous représente Elisée s’étendant, en priant Dieu, sur l’enfant de la veuve qui était mort, tête contre tête, face contre face, en sorte que les membres du prophète allongé sur l’enfant correspondaient exactement à ses membres et les pieds de l’un aux pieds de l’autre. Si on examine la chose d’après la nature et le corps humain, un enfant ne peut avoir les mêmes dimensions qu’un adulte ; de petits membres ne peuvent s’adapter exactement à de plus grands. Mais ce qui est exprimé la, c’est l’Égalité divine et spirituelle, suivant laquelle tous les hommes sont de même taille et de même âge ; et il n’est possible d’établir des différences d’âge et de développement corporel qu’au regard de l’homme et non de Dieu : à moins qu’il ne faille dire que la grâce même, qui est accordée aux baptisés, est moindre ou plus grande suivant l’âge de ceux qui la reçoivent. Mais non. L’Esprit saint est donné également à tous, non d’après une mesure proportionnelle, mais d’après une bonté et une bienveillance paternelle. Car Dieu ne fait pas plus acception d’âge que de personne, mais il est pour tous, dans la distribution de la grâce céleste, un Père qui partage également.
Mais vous ajoutez que le pied d’un enfant aux premiers jours après sa naissance n’est point pur, et que chacun redoute de le baiser : cela non plus ne doit point être un obstacle à ce qu’on lui confère la grâce divine. Il est écrit en effet : « Tout est pur à qui est pur » (Tit 1,15). Et personne ne doit avoir horreur de ce que Dieu a daigné faire. L’enfant sans doute est de naissance récente ; il n’est point tel cependant que l’on doive, quand on lui donne la grâce et la paix, avoir horreur de le baiser, puisque chacun de nous, en baisant cet enfant, doit penser, conformément à nos croyances, aux Mains de Dieu dont il vient de sortir, et que nous baisons en quelque manière en cet être humain récemment formé et venu à la lumière, puisque nous embrassons l’œuvre de Dieu. Quant à ce fait que la circoncision juive se faisait le huitième jour, c’était là un symbole et comme une esquisse, une figure, qui devait être accomplie à la Venue du Christ. Car, comme le huitième jour, c’est-à-dire le premier après le jour du sabbat, devait être celui où le Seigneur ressuscitait, nous rendrait la vie, et nous donnerait la circoncision spirituelle, ce huitième jour, c’est à-dire le premier après celui du sabbat, le jour du Seigneur, a précédé comme une image préfigurant l’avenir. Cette figure a cessé quand la vérité est venue, et nous a été donnée avec la circoncision spirituelle.
C’est pourquoi, nous ne croyons pas qu’il faille empêcher personne de recevoir la grâce d’après la loi qui a été établie ; nous pensons que la circoncision spirituelle ne doit pas être empêchée par la circoncision charnelle, mais qu’il faut admettre tout homme à la grâce du Christ, puisque aussi bien Pierre dit dans les Actes des Apôtres : « Le Seigneur m’a dit qu’aucun homme ne devait être appelé souillé et impur » (Ac 10,28). Au surplus, si l’homme, quand il s’agit d’obtenir la grâce, pouvait en être empêché par quelque chose, ce seraient surtout les adultes et les personnes âgées qui pourraient en être empêchés par des fautes graves. Eh bien, les plus grands coupables, après avoir péché gravement contre Dieu, lorsqu’ils arrivent à la foi, obtiennent la rémission de leurs fautes : personne n’est privé du baptême et de la grâce. A combien plus forte raison un enfant n’en doit-il pas être privé, qui, étant né depuis peu de temps, n’a commis aucune faute ; il a contracté seulement à sa première naissance, comme descendant d’Adam, le virus mortel de l’antique contagion ; il arrive d’autant plus facilement à obtenir la rémission des péchés, que les péchés qu’on lui remet ne sont pas les siens, mais ceux d’autrui.
Et voilà pourquoi, frère très cher, notre concile a été d’avis que personne ne devait être écarté par nous du baptême et de la grâce de Dieu, qui est à tous miséricordieux, bienveillant et doux. C’est ce que l’on doit observer et mettre en pratique à l’égard de tous, mais surtout nous croyons qu’on doit l’observer à l’égard des enfants, qui ont par cela même plus de titres à notre Assistance et à la Miséricorde divine, que, dès l’instant de leur naissance, ils ne font autre chose que prier par leurs cris et leurs larmes. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
Dieu soit béni, répétons-le, lui seul qui fait des merveilles, lui qui fait toutes choses et les renouvelle. Ceux qui hier étaient captifs, sont aujourd’hui des hommes libres et citoyens de l’Église. Ceux qui naguère étaient dans la honte du péché, sont maintenant dans l’assurance et la justice. Ils sont non seulement libres, mais saints ; non seulement saints, mais justes non seulement justes, mais fils ; non seulement fils, mais héritiers ; non seulement héritiers, mais frères du Christ ; non seulement frères du Christ, mais ses cohéritiers ; non seulement ses cohéritiers, mais ses membres ; non seulement ses membres, mais des temples ; non seulement des temples, mais des instruments de l’Esprit.
Dieu soit béni ! Lui qui seul fait des merveilles ! Tu as vu en quel nombre sont les bienfaits du baptême ? Alors que beaucoup croient qu’il a pour unique bienfait la rémission des péchés, nous avons compté jusqu’à dix honneurs conférés par lui. C’est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu’ils n’aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l’héritage, la grâce d’être frères et membres du Christ, et de devenir la demeure du Saint-Esprit.
Après cette discussion, telle que nous l’ont permise et le temps et nos forces, je conclurais que les raisonnements et les témoignages de l’Écriture ont une valeur égale ou presque égale dans les deux hypothèses, si la coutume où est l’Église de baptiser les petits enfants, ne me faisait pencher en faveur de l’opinion selon laquelle les âmes émanent de celles des parents ; je ne vois aucune réponse à faire à cette opinion sur ce point ; si Dieu m’envoie ensuite quelque lumière, s’il accorde même la grâce d’écrire aux docteurs qui se préoccupent- de ces questions, je le verrai avec plaisir. Aujourd’hui toutefois je déclare que l’argument tiré du baptême des petits enfants est très sérieux, afin qu’on s’occupe de le réfuter, s’il est faux. Car, ou nous devons abandonner cette question et croire qu’il suffit pour la foi de savoir le but où nous conduira une vie pieuse, sans connaître notre origine ; ou l’âme intelligente est portée avec ardeur à sonder un problème qui la touche : alors, mettons de côté toute obstination dans le débat ; faisons nos recherches avec conscience, demandons avec humilité, frappons avec persévérance. Si cette connaissance nous est utile, Celui qui sait mieux que nous ce qu’il nous faut nous l’accordera, lui qui donne ce qui leur est bon à ses enfants (1 Jn 3, 6). Toutefois l’usage où l’Église, notre mère, est de baptiser les enfants, doit être pris en sérieuse considération : il ne faut ni le regarder comme inutile, ni croire qu’il n’est pas une tradition des Apôtres. Cet âge tendre offre un argument d’autant plus sérieux, que le premier il a eu le bonheur de verser son sang pour le Christ.
Ceux mêmes qui n’ont aucun péché personnel à raison de leur âge, ont contracté déjà ce péché originel, ils sont ainsi par nature enfants de colère ; et de cette colère, de cette maladie, de ce péché, nul n’est affranchi que par l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde (Jn 1, 29) ; que par le médecin qui n’est pas venu pour les hommes bien portants, mais pour les malades, que par le Sauveur dont la venue a été annoncée au genre humain en ces termes : Il vous est né aujourd’hui un Sauveur » (Lc 2, 11) ; que par le Rédempteur dont tout le sang efface notre dette. Car, qui oserait dire que Jésus-Christ ne soit pas le Sauveur et le Rédempteur des enfants ? Et de quoi les sauve-t-il, s’il ne trouve en eux aucune maladie de péché originel ? Comment les rachète-t-il, s’ils n’ont pas été vendus au péché, rien que par leur naissance du premier homme ? N’allons donc pas, à notre fantaisie, promettre aux enfants aucune sorte de salut éternel en dehors du baptême de Jésus-Christ ; la divine Écriture, qui ne fait point semblable promesse, doit être préférée à tout esprit humain.
Si tu adores le Dieu des patriarches, pourquoi ne crois-tu pas que la circoncision faite le huitième jour, et dont le précepte fut donné à Abraham, figurait d’avance la régénération qui se fait en Jésus-Christ ? Si tu croyais cette vérité , tu comprendrais que l’âme d’un enfant, à moins qu’elle ne fût souillée de quelque péché, ne pouvait être avec justice bannie du milieu de son peuple, quand cet enfant n’avait pas été circoncis le huitième jour (Gn 17, 12-14). Si tu adores le Dieu des patriarches, pourquoi ne crois-tu pas ce que ce Dieu a dit si souvent par leur bouche : « Je vengerai sur les enfants les péchés de leurs pères » (Ex 34, 7) ? Si tu adores le Dieu des Apôtres, pourquoi ne crois-tu pas que le corps est mort à cause du péché (Rm 8, 10) ? Si tu adores le Dieu en qui a espéré et en qui espère l’Église des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux, pourquoi ne crois-tu pas que les enfants, sur le point d’être baptisés, sont arrachés à la puissance des ténèbres (Col 1, 13), puisque l’Église fait sur eux des insufflations et des exorcismes, afin précisément d’expulser de leurs âmes la puissance des ténèbres ?
Je demande donc où l’âme contracte le péché par suite duquel elle tombe dans la damnation à laquelle n’échappe pas l’enfant lui-même qui meurt sans que la grâce du Christ lui vienne en aide par le baptême. Car vous n’êtes pas de ceux qui, débitant des nouveautés, s’en vont disant qu’il n’y a pas de péché originel dont l’enfant soit délivré par le baptême.
Les petits enfants sont présentés pour recevoir la grâce spirituelle, non pas tellement par ceux qui les portent dans leurs bras (quoique ce soit aussi le cas s’ils sont de bons fidèles) que par la société universelle des saints et des fidèles […] C’est la Mère Église tout entière, celle qui est dans ses saints, qui agit, car c’est elle qui tout entière les enfante, tous et chacun.
Sans vouloir cependant amoindrir le respect sacré qui s’attache à Pâques, Nous prescrivons d’administrer sans délai le baptême aux enfants qui, du fait de leur âge, ne peuvent pas encore parler, ou aux personnes qui se trouvent dans une nécessité quelconque de recevoir le saint baptême, de peur qu’il ne s’ensuive un détriment pour nos âmes si, par suite de notre refus de la fontaine du salut à ceux qui le désiraient, certains mourants venaient à perdre le Royaume et la vie. Quiconque de même se trouve menacé d’un naufrage, d’une invasion ennemie, ou de quelque maladie mortelle, qu’il soit admis, aussitôt qu’il le demande, au bénéfice de la régénération sollicitée. L’erreur jusqu’ici dans ce domaine doit suffire ; à présent que tous les prêtres s’en tiennent à la règle susdite, s’ils ne veulent pas être arrachés à la solidité du roc apostolique sur lequel le Christ a construit toute l’Église.
Que les petits enfants peuvent, même sans la grâce du baptême, jouir des récompenses de la vie éternelle, cela est stupide au plus haut point. Si, en effet, ils ne mangent pas la chair du Fils de l’homme et ne boivent pas son sang, ils n’auront pas la vie en eux (voir Jn 6, 53). Ceux qui soutiennent que ces enfants l’auront sans être renés, me paraissent vouloir rendre vain le baptême lui-même, en prêchant qu’ils ont ce que la foi professe ne pouvoir leur être conféré que par le baptême. Si donc, comme ils le veulent, il n’y a aucune fâcheuse conséquence à ne pas renaître, il leur faut aussi professer que les saintes eaux de la nouvelle naissance ne servent à rien. Mais, la vérité peut avoir rapidement raison de la doctrine erronée de ces hommes vains avec les paroles que le Seigneur dit dans l’Évangile : Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des cieux (cf. Mt 19, 14 ; Mc 10, 14 ; Lc 18, 16).
Il a été décidé de même : Quiconque nie que les tout-petits doivent être baptisés, ou dit que c’est pour la rémission des péchés qu’on les baptise, mais qu’ils n’ont rien, eux, du péché originel d’Adam que le bain de la régénération aurait à expier, ce qui a pour conséquence que pour eux la formule du baptême « en rémission des péchés », n’a pas un sens vrai mais faux, qu’il soit anathème. Car on ne peut pas comprendre autrement ce que dit l’Apôtre : Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui (Rm 5, 12) sinon de la manière dont l’Église catholique répandue par toute la terre l’a toujours compris. C’est en effet à cause de cette règle de foi que même les tout-petits, qui n’ont pas pu commettre encore par eux-mêmes quelque péché, sont cependant vraiment baptisés en rémission des péchés pour que la régénération purifie en eux ce que la génération leur a apporté.