Les charges d’enseignement, de sanctification et de gouvernement liés au sacrement de l’ordre
Munus docendi, le pouvoir d’enseignement
En cette période pascale, qui nous conduit à la Pentecôte et qui nous amène également aux célébrations de clôture de l’Année sacerdotale, en programme les 9, 10 et 11 juin prochains, j’ai à cœur de consacrer encore certaines réflexions au thème du ministère ordonné, en m’arrêtant sur la réalité féconde de la configuration du prêtre au Christ Tête, dans l’exercice des tria munera qu’il reçoit, c’est-à-dire des trois charges d’enseigner, de sanctifier et de gouverner.
Pour comprendre ce que signifie agir in persona Christi Capitis – dans la personne du Christ Tête – de la part du prêtre, et pour comprendre également quelles conséquences dérivent du devoir de représenter le Seigneur, en particulier dans l’exercice de ces trois fonctions, il faut expliciter avant tout ce que l’on entend par « représentation ». Le prêtre représente le Christ. Qu’est-ce que cela veut dire, que signifie « représenter » quelqu’un ? Dans le langage commun, cela veut dire – généralement – recevoir une délégation de la part d’une personne pour être présente à sa place, parler et agir à sa place, car celui qui est représenté est absent de l’action concrète. Nous nous demandons : le prêtre représente-t-il le Seigneur de la même façon ? La réponse est non, car dans l’Église, le Christ n’est jamais absent, l’Église est son corps vivant et le Chef de l’Église c’est lui, présent et œuvrant en elle. Le Christ n’est jamais absent, il est même présent d’une façon totalement libérée des limites de l’espace et du temps, grâce à l’événement de la Résurrection, que nous contemplons de façon spéciale en ce temps de Pâques.
C’est pourquoi, le prêtre qui agit in persona Christi Capitis et en représentation du Seigneur, n’agit jamais au nom d’un absent, mais dans la Personne même du Christ ressuscité, qui se rend présent à travers son action réellement concrète. Il agit réellement et réalise ce que le prêtre ne pourrait pas faire : la consécration du vin et du pain, afin qu’ils soient réellement présence du Seigneur, absolution des péchés. Le Seigneur rend présente son action dans la personne qui accomplit ces gestes. Ces trois devoirs du prêtre – que la Tradition a identifiés dans les diverses paroles de mission du Seigneur : enseigner, sanctifier, et gouverner – dans leur distinction et dans leur profonde unité, sont une spécification de cette représentation concrète. Ils représentent en réalité les trois actions du Christ ressuscité, le même qui aujourd’hui, dans l’Église et dans le monde, enseigne et ainsi fait naître la foi, rassemble son peuple, crée une présence de la vérité et construit réellement la communion de l’Église universelle ; et sanctifie et guide.
Le premier devoir dont je voudrais parler aujourd’hui est le munus docendi, c’est-à-dire celui d’enseigner. Aujourd’hui, en pleine urgence éducative, le munus docendi de l’Église, exercé de façon concrète à travers le ministère de chaque prêtre, apparaît particulièrement important. Nous vivons dans une grande confusion en ce qui concerne les choix fondamentaux de notre vie et les interrogations sur ce qu’est le monde, d’où il vient, où nous allons, ce que nous devons faire pour accomplir le bien, la façon dont nous devons vivre, quelles sont les valeurs réellement pertinentes. En relation à tout cela, il existe de nombreuses philosophies opposées, qui naissent et qui disparaissent, créant une confusion en ce qui concerne les décisions fondamentales, comme vivre, car nous ne savons plus, communément, par quoi et pour quoi nous avons été faits et où nous allons.
Dans cette situation se réalise la parole du Seigneur, qui eut compassion de la foule parce qu’elle était comme des brebis sans pasteur (cf. Mc 6, 34). Le Seigneur avait fait cette constatation lorsqu’il avait vu les milliers de personnes qui le suivaient dans le désert car, face à la diversité des courants de cette époque, elles ne savaient plus quel était le véritable sens de l’Écriture, ce que disait Dieu. Le Seigneur, animé par la compassion, a interprété la parole de Dieu, il est lui-même la parole de Dieu, et il a ainsi donné une orientation. Telle est la fonction in persona Christi du prêtre : rendre présente, dans la confusion et la désorientation de notre époque, la lumière de la parole de Dieu, la lumière qui est le Christ lui-même dans notre monde. Le prêtre n’enseigne donc pas ses propres idées, une philosophie qu’il a lui-même inventée, qu’il a trouvée ou qui lui plaît ; le prêtre ne parle pas de lui, il ne parle pas pour lui, pour se créer éventuellement des admirateurs ou son propre parti ; il ne dit pas des choses qui viennent de lui, ses inventions, mais, dans la confusion de toutes les philosophies, le prêtre enseigne au nom du Christ présent, il propose la vérité qui est le Christ lui-même, sa parole, sa façon de vivre et d’aller de l’avant. Pour le prêtre vaut ce que le Christ a dit de lui-même : « Mon enseignement n’est pas le mien » (Jn 7, 16) ; c’est-à-dire que le Christ ne se propose pas lui-même, mais, en tant que Fils, il est la voix, la parole du Père. Le prêtre doit lui aussi toujours parler et agir ainsi : « Ma doctrine n’est pas la mienne, je ne diffuse pas mes idées ou ce qui me plaît, mais je suis la bouche et le cœur du Christ et je rends présente cette doctrine unique et commune, qui a créé l’Église universelle et qui crée la vie éternelle ».
Ce fait, c’est-à-dire que le prêtre ne crée pas et ne proclame pas ses propres idées dans la mesure où la doctrine qu’il annonce n’est pas la sienne, mais du Christ, ne signifie pas, d’autre part, qu’il soit neutre, une sorte de porte-parole qui lit un texte dont il ne prend peut-être pas possession. Dans ce cas aussi, vaut le modèle du Christ, qui a dit : Je ne m’appartiens pas et je ne vis pas pour moi, mais je viens du Père et je vis pour le Père. C’est pourquoi, dans cette profonde identification, la doctrine du Christ est celle du Père et il est lui-même un avec le Père. Le prêtre qui annonce la parole du Christ, la foi de l’Église et non ses propres idées, doit aussi dire : Je ne m’appartiens pas et je ne vis pas pour moi, mais je vis avec le Christ et du Christ et ce qu’a dit le Christ devient donc ma parole, même si elle n’est pas la mienne. La vie du prêtre doit s’identifier au Christ et, de cette manière, la parole qui n’est pas sienne, devient toutefois une parole profondément personnelle. Saint Augustin, sur ce thème, a dit en parlant des prêtres : « Et nous, que sommes nous ? Des ministres (du Christ), ses serviteurs ; car ce que nous vous distribuons n’est pas à nous, mais nous le tirons de Lui. Et nous aussi nous vivons de cela, car nous sommes des serviteurs, comme vous » (Discours 229/E, 4).
L’enseignement que le prêtre est appelé à offrir, les vérités de la foi, doivent être intériorisées et vécues dans un intense chemin spirituel personnel, de manière à ce que le prêtre entre réellement en profonde communion intérieure avec le Christ lui-même. Le prêtre croit, accueille et cherche à vivre, avant tout comme sien, ce que le Seigneur a enseigné et que l’Église a transmis, dans ce parcours d’identification avec le propre ministère dont saint Jean-Marie Vianney est le témoin exemplaire (cf. Lettre pour l’indiction de l’Année sacerdotale). « Unis dans la même charité – affirme encore saint Augustin – nous sommes tous des auditeurs de celui qui est pour nous dans le ciel l’unique Maître » (Enarr. in Ps. 131, 1. 7).
La voix du prêtre, par conséquent, pourrait souvent sembler la « voix de celui qui crie dans le désert » (Mc 1, 3) ; mais c’est précisément en cela que consiste sa force prophétique : dans le fait de ne jamais être homologué, ni homologable, à aucune culture ou mentalité dominante, mais de montrer l’unique nouveauté capable d’opérer un profond et authentique renouveau de l’homme, c’est-à-dire que le Christ est le Vivant, il est le Dieu proche, le Dieu qui œuvre dans la vie et pour la vie du monde et nous donne la vérité, la manière de vivre.
Dans la préparation attentive de la prédication des jours de fête, sans exclure celle des autres jours, dans l’effort de formation catéchétique, dans les écoles, dans les institutions académiques et, de manière particulière, à travers ce livre non écrit qu’est sa vie même, le prêtre est toujours « professeur », il enseigne. Mais pas avec la présomption de qui impose ses propres vérités, avec l’humble et joyeuse certitude de celui qui a rencontré la Vérité, en a été saisi et transformé, et ne peut donc pas manquer de l’annoncer. En effet, personne ne peut choisir le sacerdoce seul, ce n’est pas une manière de parvenir à une sécurité dans la vie, de conquérir une position sociale : personne ne peut se le donner, ni le rechercher seul. Le sacerdoce est la réponse à l’appel du Seigneur, à sa volonté, pour devenir des annonciateurs non d’une vérité personnelle, mais de sa vérité.
Chers confrères prêtres, le peuple chrétien nous demande d’entendre dans nos enseignements la doctrine ecclésiale authentique, à travers laquelle pouvoir renouveler la rencontre avec le Christ qui donne la joie, la paix, le salut. Les Saintes Écritures, les écrits des Pères et des Docteurs de l’Église, le catéchisme de l’Église catholique constituent à cet égard, des points de référence indispensables dans l’exercice du munus docendi, si essentiel pour la conversion, le chemin de foi et le salut des hommes. « Ordination sacerdotale, veut dire : être immergés […] dans la Vérité » (Homélie lors de la Messe chrismale, 9 avril 2009), cette Vérité qui n’est pas simplement un concept ou un ensemble d’idées à transmettre et à assimiler, mais qui est la Personne du Christ, avec laquelle, pour laquelle et dans laquelle vivre et c’est ainsi, nécessairement, que naît aussi l’actualité et l’aspect compréhensible de l’annonce. Seule cette conscience d’une Vérité faite Personne dans l’Incarnation du Fils justifie le mandat missionnaire : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 15). C’est uniquement s’il est la Vérité qu’il est destiné à toute créature, et il n’est pas l’imposition de quelque chose, mais l’ouverture du cœur à ce pour quoi il est créé.
Chers frères et sœurs, le Seigneur a confié aux prêtres une grande tâche : être des annonciateurs de Sa Parole, de la Vérité qui sauve ; être sa voix dans le monde pour porter ce qui sert au vrai bien des âmes et à l’authentique chemin de foi (cf. 1 Co 6, 12). Que saint Jean-Marie Vianney soit un exemple pour tous les prêtres. Il était un homme d’une grande sagesse et d’une force héroïque pour résister aux pressions culturelles et sociales de son époque afin de pouvoir conduire les hommes à Dieu : simplicité, fidélité et immédiateté étaient les caractéristiques essentielles de sa prédication, ainsi que la transparence de sa foi et de sa sainteté. Le peuple chrétien en était édifié et, comme c’est le cas pour les maîtres authentiques de notre temps, il y reconnaissait la lumière de la Vérité. Il y reconnaissait, en définitive, ce que l’on devrait toujours reconnaître chez un prêtre : la voix du Bon Pasteur.
Munus sanctificandi, le pouvoir de sanctification
Dimanche dernier, au cours de ma visite pastorale à Turin, j’ai eu la joie de m’arrêter pour prier devant le Saint-Suaire, en m’unissant aux plus de deux millions de pèlerins qui ont pu le contempler au cours de l’Ostension solennelle de ces jours-ci. Ce Linceul saint peut nourrir et alimenter la foi et renforcer la piété chrétienne, car il pousse à aller vers le Visage du Christ, vers le Corps du Christ crucifié et ressuscité, à contempler le Mystère pascal, centre du Message chrétien. Chers frères et sœurs, nous sommes des membres vivants du Corps du Christ ressuscité, vivant et agissant dans l’histoire (cf. Rm 12, 5), chacun selon notre propre fonction, c’est-à-dire avec le devoir que le Seigneur a voulu nous confier. Aujourd’hui, dans cette catéchèse, je voudrais revenir aux devoirs spécifiques des prêtres qui, selon la tradition, sont essentiellement au nombre de trois : enseigner, sanctifier et gouverner. Dans l’une des catéchèses précédentes, j’ai parlé de la première de ces trois missions : l’enseignement, l’annonce de la vérité, l’annonce du Dieu révélé dans le Christ, ou – en d’autres paroles – le devoir prophétique de mettre l’homme en contact avec la vérité, de l’aider à connaître l’essentiel de sa vie, de la réalité elle-même.
Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement avec vous sur le deuxième devoir du prêtre, celui de sanctifier les hommes, en particulier à travers les sacrements et le culte de l’Église. Ici, nous devons nous demander avant tout : que signifie le mot « saint » ? La réponse est : « saint » est la qualité spécifique de l’être de Dieu, c’est-à-dire la vérité, la bonté, l’amour, la beauté absolus – la lumière pure. Sanctifier une personne signifie donc la mettre en contact avec Dieu, avec son être de lumière, de vérité, d’amour pur. Il est évident que ce contact transforme la personne. Dans l’Antiquité, il existait cette ferme conviction : personne ne peut voir Dieu sans mourir aussitôt. La force de vérité et de lumière est trop grande ! Si l’homme touche ce courant absolu, il ne survit pas. D’autre part, il existait également la conviction suivante : sans aucun contact avec Dieu, l’homme ne peut vivre. Vérité, bonté, amour sont les conditions fondamentales de son être. La question est : comment l’homme peut-il trouver ce contact avec Dieu, qui est fondamental, sans mourir écrasé par la grandeur de l’être divin ? La foi de l’Église nous dit que Dieu lui-même crée ce contact, qui nous transforme au fur et à mesure en images véritables de Dieu.
Ainsi, nous sommes de nouveau parvenus au devoir du prêtre de « sanctifier ». Aucun homme seul, à partir de sa propre force, ne peut mettre l’autre en contact avec Dieu. Une partie essentielle de la grâce du sacerdoce est le don, le devoir de créer ce contact. Cela se réalise dans l’annonce de la parole de Dieu, dans laquelle sa lumière vient à notre rencontre. Cela se réalise de façon particulièrement dense dans les sacrements. L’immersion dans le mystère pascal de mort et de résurrection du Christ a lieu dans le Baptême, et est renforcée dans la Confirmation et dans la réconciliation, est nourrie par l’Eucharistie, sacrement qui édifie l’Église comme Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple de l’Esprit Saint (cf. Jean-Paul II, Exhort. past. Pastores gregis, n. 32). C’est donc le Christ lui-même qui rend saints, c’est-à-dire qui nous attire dans la sphère de Dieu Mais comme acte de son infinie miséricorde, il appelle certaines personnes à « demeurer » avec Lui (cf. Mc 3, 14) et à participer, à travers le sacrement de l’Ordre, en dépit de la pauvreté humaine, à son Sacerdoce même, à devenir ministres de cette sanctification, dispensateurs de ses mystères, « ponts » de la rencontre avec Lui, de sa médiation entre Dieu et les hommes et entre les hommes et Dieu (cf. PO n. 5).
Au cours des dernières décennies, certaines tendances ont conduit à faire prévaloir, dans l’identité et la mission du prêtre, la dimension de l’annonce, en la détachant de celle de la sanctification ; il a souvent été affirmé qu’il serait nécessaire de dépasser une pastorale purement sacramentelle. Mais est-il possible d’exercer authentiquement le ministère sacerdotal « en dépassant » la pastorale sacramentelle ? Que cela signifie-t-il précisément pour les prêtres d’évangéliser, en quoi consiste ce que l’on appelle le primat de l’annonce ? Comme le rapportent les Évangiles, Jésus affirme que l’annonce du Royaume de Dieu est le but de sa mission ; cette annonce, toutefois, n’est pas seulement un « discours », mais elle inclut, dans le même temps, sa propre action ; les signes, les miracles que Jésus accomplit indiquent que le Royaume vient comme une réalité présente et qu’elle coïncide en fin de compte avec sa propre personne, avec le don de soi, comme nous l’avons entendu aujourd’hui dans la lecture de l’Évangile. Et il en est de même pour le ministre ordonné : celui-ci, le prêtre, représente le Christ, l’Envoyé du Père, il en continue sa mission, à travers la « parole » et le « sacrement », dans cette totalité de corps et d’âme, de signe et de parole. Saint Augustin, dans une lettre à l’évêque Honorat de Thiabe, en se référant aux prêtres, affirme : « Que les serviteurs du Christ, les ministres de Sa parole et de Son sacrement fassent donc ce qu’il commanda ou permit » (Epist. 228, 2). Il est nécessaire de réfléchir si, dans certains cas, avoir sous-évalué l’exercice fidèle du munus sanctificandi, n’a pas représenté un affaiblissement de la foi elle-même dans l’efficacité salvifique des sacrements et, en définitive, dans l’œuvre actuelle du Christ et de son Esprit, à travers l’Église, dans le monde.
Qui donc sauve le monde et l’homme ? La seule réponse que nous pouvons donner est : Jésus de Nazareth, Seigneur et Christ, crucifié et ressuscité. Et où s’actualise le Mystère de la mort et de la résurrection du Christ, qui porte le salut ? Dans l’action du Christ par l’intermédiaire de l’Église, en particulier dans le sacrement de l’Eucharistie, qui rend présente l’offrande sacrificielle rédemptrice du Fils de Dieu, dans le sacrement de la réconciliation, où de la mort du péché on retourne à la vie nouvelle, et dans chaque acte sacramentel de sanctification (cf. PO, 5). Il est important, par conséquent, de promouvoir une catéchèse adaptée pour aider les fidèles à comprendre la valeur des sacrements, mais il est tout aussi nécessaire, à l’exemple du saint curé d’Ars, d’être disponibles, généreux et attentifs pour donner à nos frères les trésors de grâce que Dieu a placés entre nos mains, et dont nous ne sommes pas les « maîtres », mais des gardiens et des administrateurs. Surtout à notre époque, dans laquelle, d’un côté, il semble que la foi s’affaiblit et que, de l’autre, émergent un profond besoin et une recherche diffuse de spiritualité, il est nécessaire que chaque prêtre se rappelle que, dans sa mission, l’annonce missionnaire et le culte des sacrements ne sont jamais séparés, et promeuve une saine pastorale sacramentelle, pour former le Peuple de Dieu et l’aider à vivre en plénitude la Liturgie, le culte de l’Église, les sacrements comme dons gratuits de Dieu, actes libres et efficaces de son action de salut.
Comme je l’ai rappelé lors de la sainte Messe chrismale de cette année : « Le sacrement est le centre du culte de l’Église. Sacrement signifie que, en premier lieu, ce ne sont pas nous les hommes qui faisons quelque chose, mais c’est d’abord Dieu, qui, par son agir, vient à notre rencontre ; nous regarde et nous conduit vers Lui. (…) Dieu nous touche par le moyen des réalités matérielles (…) qu’Il met à son service, en en faisant des instruments de la rencontre entre nous et lui-même » (Messe chrismale, 1 avril 2010). La vérité selon laquelle, dans le sacrement, « ce ne sont pas nous les hommes qui faisons quelque chose » concerne également, et doit concerner, la conscience sacerdotale : chaque prêtre sait bien qu’il est l’instrument nécessaire à l’action salvifique de Dieu, mais cependant toujours un instrument. Cette conscience doit rendre humble et généreux dans l’administration des sacrements, dans le respect des normes canoniques, mais également dans la profonde conviction que sa propre mission est de faire en sorte que tous les hommes, unis au Christ, peuvent s’offrir à Dieu comme hostie vivante et sainte, agréable à Lui (cf. Rm 12, 1). Saint Jean-Marie Vianney est encore exemplaire à propos du munus sanctificandi et de la juste interprétation de la pastorale sacramentelle, lui qui, un jour, face à un homme qui prétendait ne pas avoir la foi et qui désirait discuter avec lui, répondit : « Oh ! mon ami, ce n’est pas à moi qu’il faut vous adresser, je ne sais pas raisonner… mais si vous avez besoin de réconfort, mettez-vous là… (il indiquait du doigt l’inexorable tabouret [du confessionnal]) et croyez-moi, beaucoup d’autres s’y sont assis avant vous et n’ont pas eu à s’en repentir » (cf. Monnin A., Il curato d’Ars. Vita di Gian-Battista-Maria Vianney, vol. I, Turin 1870, pp. 163-164).
Chers prêtres, vivez avec joie et avec amour la liturgie et le culte : c’est une action que le Ressuscité accomplit dans la puissance de l’Esprit Saint en nous, avec nous et pour nous. Je voudrai renouveler l’invitation faite récemment à « revenir au confessionnal, comme lieu dans lequel célébrer le sacrement de la réconciliation, mais aussi comme lieu où « habiter » plus souvent, pour que le fidèle puisse trouver miséricorde, conseil et réconfort, se sentir aimé et compris de Dieu et ressentir la présence de la Miséricorde divine, à côté de la présence réelle de l’Eucharistie » (Discours à la Pénitencerie apostolique, 11 mars 2010). Et je voudrais également inviter chaque prêtre à célébrer et à vivre avec intensité l’Eucharistie, qui est au cœur de la tâche de sanctifier ; c’est Jésus qui veut être avec nous, vivre en nous, se donner lui-même à nous, nous montrer la miséricorde et la tendresse infinies de Dieu ; c’est l’unique Sacrifice d’amour du Christ qui se rend présent, se réalise parmi nous et parvient jusqu’au trône de la grâce, en présence de Dieu, embrasse l’humanité et nous unit à Lui (cf. Discours au clergé de Rome, 18 février 2010). Et le prêtre est appelé à être ministre de ce grand Mystère, dans le sacrement et dans la vie. Si « la grande tradition ecclésiale a, à juste titre, séparé l’efficacité sacramentelle de la situation existentielle concrète du prêtre, et [qu’]ainsi, les attentes légitimes des fidèles ont été sauvegardées de façon adéquate », cela n’ôte rien « à la tension nécessaire et même indispensable, vers la perfection morale, qui doit habiter tout cœur authentiquement sacerdotal » : le Peuple de Dieu attend également de ses pasteurs un exemple de foi et de témoignage de sainteté (cf. Benoît XVI, Discours à l’assemblée plénière de la Congrégation pour le clergé, 16 mars 2009). Et c’est dans la célébration des saints mystères que le prêtre trouve la racine de sa sanctification (cf. PO, 12-13).
Chers amis, soyez conscients du grand don que les prêtres représentent pour l’Église et pour le monde ; à travers leur ministère, le Seigneur continue à sauver les hommes, à être présent, à sanctifier. Sachez remercier Dieu, et surtout soyez proches de vos prêtres à travers la prière et votre soutien, en particulier dans les difficultés, afin qu’ils soient toujours plus des pasteurs selon le cœur de Dieu.
Munus Munus regendi, le pouvoir de gouvernement
L’Année sacerdotale touche à son terme ; c’est pourquoi j’avais commencé dans les dernières catéchèses à parler des devoirs essentiels du prêtre, à savoir : enseigner, sanctifier et gouverner. J’ai déjà tenu deux catéchèses, une sur le ministère de la sanctification, les sacrements notamment, et une sur celui de l’enseignement. Il me reste donc aujourd’hui à parler de la mission du prêtre de gouverner, de guider, avec l’autorité du Christ et non avec la sienne, la portion du Peuple que Dieu lui a confiée.
Comment comprendre dans la culture contemporaine une telle dimension, qui implique le concept d’autorité et qui trouve son origine dans le mandat même du Seigneur de paître son troupeau ? Qu’est-ce réellement pour nous chrétiens que l’autorité ? Les expériences culturelles, politiques et historiques du passé récent, notamment les dictatures en Europe de l’Est et de l’Ouest au XXe siècle, ont rendu l’homme contemporain suspicieux à l’égard de ce concept. Un soupçon qui, très souvent, se traduit dans l’affirmation de la nécessité d’abandonner toute autorité, qui ne vienne pas exclusivement des hommes et ne leur soit pas soumise, ne soit pas contrôlée par eux. Mais précisément si l’on regarde les régimes qui, au siècle dernier, ont semé la terreur et la mort, cela nous rappelle avec force que l’autorité, dans tous les milieux, lorsqu’elle est exercée sans une référence au Transcendant, se détache de l’Autorité suprême, qui est Dieu, et finit inévitablement par se retourner contre l’homme. Il est alors important de reconnaître que l’autorité humaine n’est jamais une fin, mais toujours et uniquement un moyen et que, nécessairement et à toute époque, la fin est toujours la personne, créée par Dieu avec sa dignité propre intangible et appelée à être en relation avec son Créateur, sur le chemin terrestre de l’existence, et dans la vie éternelle ; c’est une autorité exercée dans la responsabilité devant Dieu, devant le Créateur. Une autorité ainsi entendue, qui ait comme but unique de servir le vrai bien des personnes et d’être la transparence sur l’unique Bien Suprême qui est Dieu, non seulement n’est pas étrangère aux hommes mais, au contraire, est une aide précieuse sur le chemin vers la pleine réalisation dans le Christ, vers le salut.
L’Église est appelée et s’engage à exercer ce type d’autorité qui est service, et elle l’exerce non à son propre titre, mais au nom de Jésus Christ, qui a reçu du Père tout pouvoir au Ciel et sur la terre (cf. Mt 28, 18). A travers les pasteurs de l’Église, en effet, le Christ paît son troupeau : c’est Lui qui le guide, le protège, le corrige, parce qu’il l’aime profondément. Mais le Seigneur Jésus, Pasteur suprême de nos âmes, a voulu que le collège apostolique, aujourd’hui les évêques, en communion avec le Successeur de Pierre, et les prêtres, leurs plus précieux collaborateurs, participent à sa mission de prendre soin du Peuple de Dieu, d’être des éducateurs dans la foi, en orientant, en animant et en soutenant la communauté chrétienne, ou comme le dit le Concile, en veillant « à ce que chaque chrétien parvienne, dans le Saint-Esprit, à l’épanouissement de sa vocation personnelle selon l’Évangile, à une charité sincère et active et à la liberté par laquelle le Christ nous a libérés » (Presbyterorum ordinis, n. 6). Chaque pasteur, par conséquent, est l’intermédiaire à travers lequel le Christ lui-même aime les hommes : c’est à travers notre ministère – chers prêtres –, c’est par notre intermédiaire que le Seigneur atteint les âmes, les instruit, les protège, les guide. Saint Augustin, dans son Commentaire à l’Évangile de saint Jean dit : « Que paître le troupeau du Seigneur soit donc un engagement d’amour » (123, 5) ; telle est la règle de conduite suprême des ministres de Dieu, un amour inconditionnel, comme celui du Bon Pasteur, empli de joie, ouvert à tous, attentif au prochain et plein d’attention pour ceux qui sont loin (cf. Saint Augustin, Discours 340, 1 ; Discours 46, 15), délicat envers les plus faibles, les petits, les simples, les pécheurs, pour manifester l’infinie miséricorde de Dieu avec les paroles rassurantes de l’espérance (cf. ibid., Lettre 95, 1).
Si cette tâche pastorale est fondée sur le Sacrement, son efficacité n’est toutefois pas indépendante de la vie personnelle du prêtre. Pour être un pasteur selon le cœur de Dieu (cf. Jr 3, 15), il y a besoin d’un profond enracinement dans l’amitié vivante avec le Christ, non seulement de l’intelligence, mais également de la liberté et de la volonté, une claire conscience de l’identité reçue dans l’ordination sacerdotale, une disponibilité inconditionnée à conduire le troupeau confié, là où le Seigneur veut et non dans la direction qui, apparemment, semble le plus convenir ou la plus facile. Cela demande, tout d’abord, la disponibilité continue et progressive à laisser le Christ lui-même gouverner la vie sacerdotale des prêtres. En effet, personne n’est réellement capable de paître le troupeau du Christ, s’il ne vit pas une profonde et réelle obéissance au Christ et à l’Église, et la docilité même du Peuple à ses prêtres dépend de la docilité des prêtres envers le Christ ; c’est pourquoi, à la base du ministère pastoral se trouve toujours la rencontre personnelle et constante avec le Seigneur, la profonde connaissance de sa personne, la configuration de la propre volonté à la volonté du Christ.
Au cours des dernières décennies, on a souvent utilisé l’adjectif « pastoral » presque en opposition avec le concept de « hiérarchique », de même que, dans la même opposition, a également été interprétée l’idée de « communion ». Il s’agit peut-être là d’un point où peut être utile une brève observation sur le terme de « hiérarchie », qui est la désignation traditionnelle de la structure d’autorité sacramentelle dans l’Église, ordonnée selon les trois niveaux du sacrement de l’ordre : épiscopat, prêtrise, diaconat. Dans l’opinion publique prévalent, pour cette réalité « hiérarchique », l’élément de subordination et l’élément juridique ; c’est pourquoi, à de nombreuses personnes, l’idée de hiérarchie apparaît en opposition avec la flexibilité et la vitalité du sens pastoral et également contraire à l’humilité de l’Évangile. Mais il s’agit d’une mauvaise compréhension du sens de la hiérarchie, également causée d’un point de vue historique par des abus d’autorité et par le carriérisme, qui sont précisément des abus et qui ne dérivent pas de la nature même de la réalité « hiérarchique ». L’opinion commune est que la « hiérarchie » est toujours liée à la domination et qu’elle ne correspond pas ainsi au véritable sens de l’Église, de l’unité dans l’amour du Christ. Mais, comme je l’ai dit, il s’agit d’une mauvaise interprétation, qui a pour origine des abus au cours de l’histoire, mais qui ne répond pas à la véritable signification de ce qu’est la hiérarchie. Commençons par le mot. On dit généralement que la signification du mot hiérarchie serait « domination sacrée », mais ce n’est pas sa véritable signification, qui est « origine sacrée », c’est-à-dire que cette autorité ne provient pas de l’homme lui-même, mais elle a son origine dans le sacré, dans le Sacrement ; elle soumet donc la personne à la vocation, au mystère du Christ ; elle fait de l’individu un serviteur du Christ et ce n’est qu’en tant que serviteur du Christ que celui-ci peut gouverner, guider pour le Christ et avec le Christ. C’est pourquoi, pour celui qui entre dans le saint Ordre du Sacrement, la « hiérarchie » n’est pas un autocrate ; il entre dans un lien nouveau d’obéissance avec le Christ : il est lié à Lui en communion avec les autres membres de l’Ordre sacré, du Sacerdoce. Et le Pape lui-même – point de référence de tous les autres pasteurs et de la communion de l’Église – ne peut pas faire ce qu’il veut ; au contraire, le Pape est le gardien de l’obéissance au Christ, à sa parole résumée dans la regula fidei, dans le Credo de l’Église, et il doit guider dans l’obéissance au Christ et à son Église. La hiérarchie implique donc un triple lien : tout d’abord, celui avec le Christ et l’ordre donné par le Seigneur à son Église ; ensuite, le lien avec les autres pasteurs dans l’unique communion de l’Église ; et enfin, le lien avec les fidèles confiés à l’individu, dans l’ordre de l’Église.
On comprend donc que communion et hiérarchie ne sont pas contraires l’une à l’autre, mais se conditionnent. Ensemble, elles forment une seule chose (communion hiérarchique). Le Pasteur est donc tel en guidant et en protégeant le troupeau, et en empêchant parfois qu’il se perde. Le devoir de gouverner propre aux prêtres n’est pas compréhensible en dehors d’une vision clairement et explicitement surnaturelle. Au contraire, celui-ci, soutenu par le véritable amour pour le salut de chaque fidèle, est particulièrement précieux et nécessaire également à notre époque. Si l’objectif est d’apporter l’annonce du Christ et de conduire les hommes à la rencontre salvifique avec Lui afin qu’ils aient la vie, le devoir de guider se présente comme un service vécu dans un don total pour l’édification du troupeau dans la vérité et dans la sainteté, allant souvent à contre-courant et en rappelant que celui qui est le plus grand doit devenir comme le plus petit, et celui qui gouverne, comme celui qui sert (cf. Lumen gentium, n. 27).
Où un prêtre peut-il puiser aujourd’hui la force pour cet exercice de son propre ministère, dans la pleine fidélité au Christ et à l’Église, avec un dévouement total au troupeau ? La réponse est une seule : dans le Christ Seigneur. La façon de gouverner de Jésus n’est pas celle de la domination, mais c’est le service humble et plein d’amour du lavement des pieds, et la royauté du Christ sur l’univers n’est pas un triomphe terrestre, mais trouve son point culminant sur le bois de la Croix, qui devient jugement pour le monde et point de référence pour l’exercice de l’autorité qui soit une véritable expression de la charité pastorale. Les saints, et parmi eux saint Jean-Marie Vianney, ont exercé avec amour et dévouement leur devoir de prendre soin de la portion du Peuple de Dieu qui leur a été confiée, se révélant également des hommes forts et déterminés, animés de l’unique objectif de promouvoir le véritable bien des âmes, capables de payer de leur personne, jusqu’au martyre, pour demeurer fidèles à la vérité et à la justice de l’Évangile.
Chers prêtres, « paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré […], en devenant les modèles du troupeau » (1 P 5, 2). N’ayez donc pas peur de guider vers le Christ chacun des frères qu’Il vous a confiés, certains que chaque parole et chaque comportement, s’ils découlent de l’obéissance à la volonté de Dieu, porteront du fruit ; sachez vivre en appréciant les qualités et en reconnaissant les limites de la culture dans laquelle nous vivons, dans la ferme certitude que l’annonce de l’Évangile est le plus grand service que l’on puisse rendre à l’homme. En effet, il n’y a pas de bien plus grand dans cette vie terrestre que de conduire les hommes à Dieu, réveiller la foi, sauver l’homme de l’inertie et du désespoir, donner l’espérance que Dieu est proche et guide notre histoire personnelle et celle du monde : tel est, en définitive, le sens profond et ultime du devoir de gouverner que le Seigneur nous a confié. Il s’agit de former le Christ dans les croyants, à travers le processus de sanctification qui est conversion des critères, de l’échelle de valeurs, des comportements, pour permettre au Christ de vivre dans chaque fidèle. Saint Paul résume ainsi son action pastorale : « Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4, 19).
Chers frères et sœurs, je voudrais vous inviter à prier pour moi, Successeur de Pierre, qui détiens un devoir spécifique dans le gouvernement de l’Église du Christ, ainsi que pour tous vos évêques et prêtres. Priez afin que nous sachions prendre soin de toutes les brebis, même celles égarées, du troupeau qui nous a été confié. A vous, chers prêtres, j’adresse l’invitation cordiale aux célébrations de clôture de l’Année sacerdotale, les 9, 10 et 11 juin prochains, ici, à Rome : nous méditerons sur la conversion et sur la mission, sur le don de l’Esprit Saint et sur le rapport avec la Très Sainte Vierge Marie, et nous renouvellerons nos promesses sacerdotales, soutenus par le peuple de Dieu tout entier.