Thomas Becket ou Thomas de Londres comme on l’appelait alors, naquit probablement en 1118 dans une famille de la bourgeoisie londonienne qui connut des revers de fortune. Le soutien d’un de ses parents lui permit de faire de brillantes études à Paris. Il entra au service de l’archevêque Thibaud de Cantorbéry qui lui fit faire d’intéressants voyages à Rome (1151-1153) et aux écoles de Bologne et d’Auxerre où l’on formait des juristes. Finalement il se lia avec le futur Henri II Plantagenêt, qui, un an après son accession au trône d’Angleterre, le nomma chancelier d’Angleterre, après que l’archevêque l’eut nommé archidiacre de Cantorbéry.
Thomas, fastueux ministre, seconda efficacement Henri II dans son œuvre générale de restauration monarchique après les troubles du règne d’Etienne de Blois (1135-1154). L’église d’Angleterre avait profité de cette période de faiblesse pour sortir de la soumission où la tenait jadis la monarchie normande, pour conquérir ses « libertés » que le Roi entendait rogner. Croyant trouver un auxiliaire docile en son chancelier, Henri II nomma Thomas archevêque de Cantorbéry (mai 1162), réunissant entre les mêmes mains la chancellerie et une province ecclésiastique qui comprenait dix-sept des dix-neuf diocèses anglais. Thomas qui avait reçu en deux jours l’ordination sacerdotale et le sacre épiscopal, abandonna sa charge séculière, changea sa vie du tout au tout et se voua sans réserve à la défense des droits de l’Église. Lorsqu’en janvier 1164 Henri II voulut imposer à l’Église les Constitutions de Clarendon qui prétendaient revenir aux anciennes coutumes du royaume contre le droit canon, Thomas Becket fut un adversaire résolu. Après de multiples péripéties juridiques où l’archevêque-primat fut trahi par ses confrères d’York et de Londres, il dut s’exiler en France où il demeura six ans (1164-1170), notamment à l’abbaye cistercienne de Pontigny où il s’imposa l’observance monastique. Lorsqu’il rentra dans sa patrie après une paix boiteuse conclue à Fréteval dans le Maine (22 juillet 1170), les difficultés recommencèrent d’autant plus qu’avant de s’embarquer il avait frappé de suspense tous ses suffragants plus ou moins coupables de rébellion contre lui (1er décembre 1170).
Une phrase ambiguë d’Henri II ( « N’y aura-t-il donc personne pour me débarrasser de ce clerc outrecuidant ? ») amena quatre chevaliers normands à assassiner l’archevêque dans sa cathédrale le 29 décembre 1170.
Dans la nuit de Noël 1170, après avoir célébré la messe, Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry et primat d’Angleterre, monta en chaire et, en termes formels, prédit qu’il serait bientôt massacré par les impies ; puis, comme l’auditoire se récriait, il invectiva vivement ceux qui mettaient la division entre le Roi et le Pasteur et les excommunia « comme les pestes du genre humain et les ennemis du bien public ». Le lendemain de la fête des saints Innocents, vers onze heures du matin, quatre personnages vinrent le menacer chez lui et lui dirent que sa résistance lui coûterait la vie ; il répondit avec douceur et fermeté : « Je ne fuirai pas, j’attendrai avec joie le coup de la mort, je suis prêt à la recevoir », et montrant sa tête, il ajouta : « c’est là que vous me frapperez ! » Après dîner, il était à l’Église pour les vêpres, les quatre assassins forcèrent l’entrée du cloître et comme les moines cherchaient à les empêcher d’entrer dans l’Église, l’archevêque dit :
Il ne faut pas garder le temple de Dieu comme on garde une forteresse ; nous ne triompherons pas de nos ennemis en combattant, mais en souffrant. Pour moi, je suis prêt à être sacrifié pour la cause de l’Église dont je défends les droits.
Les quatre assassins entrèrent donc dans l’Église en criant : « Où est Thomas Becket ? Où est ce traître au Roi et à l’Etat ? Où est l’Archevêque ? » L’archevêque se présenta : « Me voici ! Non pas traître à l’Etat, mais prêtre de Jésus-Christ ». Les assassins lui crièrent : « Sauve-toi, autrement tu es mort ! » Thomas répondit :
Je n’ai garde de fuir ; tout ce que je demande, c’est de donner mon âme pour celles en faveur desquelles mon Sauveur a donné tout son sang. Cependant, je vous défends, de la part de Dieu tout-puissant, de maltraiter qui que ce soit des miens.
Ne pouvant arriver à le traîner dehors, les quatre assassins le frappèrent dans l’Église :
Je meurs volontiers pour le nom de Jésus et la défense de l’Église.
Thomas Becket triompha dans sa mort. Ce qu’il n’avait pu obtenir par l’effort de sa vie, il le réalisa par son martyre. Le peuple le vénéra aussitôt comme un saint, et le pape Alexandre III frappa Henri II, compromis dans ce meurtre, d’interdit personnel ; pour obtenir son pardon, le Roi dut faire un pèlerinage humiliant au tombeau de Thomas Becket et se soumettre à la pénitence publique de la flagellation (21 mai 1172). Des miracles ayant attesté la glorification de Thomas Becket, Alexandre III le canonisa le 21 février 1173. Toujours est-il que la châsse du martyr devint le but d’un des pèlerinages les plus célèbres de la chrétienté. En 1538, Henri VIII se donna le ridicule de procéder à la « décanonisation » de saint Thomas Becket.