1. Textes sources et essai de traduction
Notre essai de traduction en français se base sur le texte grec. Pour leur intérêt de comparaison, nous avons placé dans la traduction quelques occurrences latines entre crochets, que ce soit pour signaler un ajout (+) ou pour souligner un parallèle (//). Source des textes grec et latin : Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, 2005, Cerf, Paris, n. 150.
Texte grec | Texte Latin | Traduction perso |
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Πιστεύομεν εἰς ἕνα Θεόν, Πατέρα, Παντοκράτορα, ποιητὴν οὐρανοῦ καὶ γῆς, ὁρατῶν τε πάντων καὶ ἀοράτων. | Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, factorem caeli et terrae, visibilium omnium et invisibilium. | Nous croyons en un seul Dieu, Père Pantocrator, créateur du ciel et de la terre, de toutes choses visibles et invisibles. |
Καὶ εἰς ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστόν, τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ τὸν μονογενῆ, τὸν ἐκ τοῦ Πατρὸς γεννηθέντα πρὸ πάντων τῶν αἰώνων· φῶς ἐκ φωτός, Θεὸν ἀληθινὸν ἐκ Θεοῦ ἀληθινοῦ, Γεννηθέντα οὐ ποιηθέντα, ὁμοούσιον τῷ Πατρί, δι’ οὗ τὰ πάντα ἐγένετο. Τὸν δι’ ἡμᾶς τοὺς ἀνθρώπους καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν κατελθόντα ἐκ τῶν οὐρανῶν καὶ σαρκωθέντα ἐκ Πνεύματος Ἁγίου καὶ Μαρίας τῆς Παρθένου καὶ ἐνανθρωπήσαντα. Σταυρωθέντα τε ὑπὲρ ἡμῶν ἐπὶ Ποντίου Πιλάτου, καὶ παθόντα καὶ ταφέντα. Καὶ ἀναστάντα τῇ τρίτῃ ἡμέρα. κατὰ τὰς Γραφάς. Καὶ ἀνελθόντα εἰς τοὺς οὐρανοὺς καὶ καθεζόμενον ἐκ δεξιῶν τοῦ Πατρός. Καὶ πάλιν ἐρχόμενον μετὰ δόξης κρῖναι ζῶντας καὶ νεκρούς, οὗ τῆς βασιλείας οὐκ ἔσται τέλος. | Et in unum Dominum Iesum Christum, Filium Dei unigenitum, et ex Patre natum ante omnia saecula. Deum de Deo, Lumen de Lumine, Deum verum de Deo vero, genitum, non factum, consubstantialem Patri, Per quem omnia facta sunt. Qui propter nos homines, et propter nostram salutem descendit de caelis. Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine, Et homo factus est. Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato, Passus, et sepultus est. Et resurrexit tertia die, Secundum Scripturas, et ascendit in caelum, Sedet ad dexteram Patris. Et iterum venturus est cum gloria, iudicare vivos et mortuos, Cuius regni non erit finis. |
Et en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils de Dieu le monogène, engendré du Père avant toutes les ères ; [+Dieu issu de Dieu,] lumière issue de la lumière, vrai Dieu issu du vrai Dieu. Engendré, non créé, consubstantiel au Père, Par qui tout a été fait. Qui pour nous les hommes, et pour notre salut, Est descendu des cieux et s’est incarné issu de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie Et s’est fait homme. Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Et (il) souffrit et fut enseveli. Et ressuscita le troisième (et) dernier jour, selon les Écritures, et il monta dans les cieux ; Et siège à la droite du Père. Et il viendra à nouveau dans la gloire, juger vivants et morts ; Ce règne ne cessera pas d’être. |
Καὶ εἰς τὸ Πνεῦμα τὸ Ἅγιον, τὸ κύριον, τὸ ζωοποιόν, τὸ ἐκ τοῦ Πατρὸς ἐκπορευόμενον, τὸ σὺν Πατρὶ καὶ Υἱῷ συμπροσκυνούμενον καὶ συνδοξαζόμενον, τὸ λαλῆσαν διὰ τῶν προφητῶν. Εἰς μίαν, Ἁγίαν, Καθολικὴν καὶ Ἀποστολικὴν Ἐκκλησίαν. Ὁμολογοῦμεν ἓν βάπτισμα εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν. Προσδοκῶμεν ἀνάστασιν νεκρῶν. Καὶ ζωὴν τοῦ μέλλοντος αἰῶνος. Ἀμήν. | Et in Spiritum Sanctum, Dominum et vivificantem, qui ex Patre Filioque procedit. Qui cum Patre et Filio simul adoratur et conglorificatur : qui locutus est per prophetas. Et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam. Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto resurrectionem mortuorum, et vitam venturi saeculi. Amen. | Et en l’Esprit Saint, le Seigneur, le vivifiant ; qui procède (⥵ tire son origine) du Père. [//qui procède (⥵ communique) du Père et du Fils]. qui avec le Père et le Fils, est co-adoré [//est également adoré] et co-glorifié ; qui a parlé par les prophètes. En une, sainte, catholique et apostolique Église. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous attendons la résurrection des morts, et la vie de l’ère à venir. Amen. |
2. Justification de la traduction et commentaire du texte
L’emploi de la première personne du pluriel
Dans le texte grec du Symbole de Nicée-Constantinople tel qu’il a été promulgué en 381 le verbe « croire » est conjugué à la première personne du pluriel, c’est la liturgie byzantine qui introduira l’usage de la première personne du singulier, le texte latin suivra. Les Églises orthodoxes ont gardé une coutume conforme au credo originel par une récitation à la première personne du pluriel.
Le vocabulaire
« Nous croyons en »… « Et en »…
Bien que les traductions catholiques et orthodoxes en français courant ont comme usage d’utiliser le verbe « croire » pour chacune des trois personnes divines, les textes grecs et latins l’utilisent uniquement en introduction du credo. Mais cet usage respecte tout à fait le texte original découpé en trois parties, les deux dernières parties étant introduites par le mot καὶ laissent sous-entendre l’usage d’un concept utilisé précédemment, comme c’est l’usage en grec. Le choix de notre traduction étant de coller au plus près les textes originaux nous avons cependant fait le choix de garder l’usage unique du verbe croire et de traduire l’ensemble de prépositions Καὶ εἰς par « et en » en prenant soins toutefois d’indiquer les coupures du texte.
Plus spécifiquement encore : la préposition εἰς implique une dynamique qui atteint son but, l’idée d’entrer dans un lieu (au contraire de πρός). Ce qui est difficile à rendre dans la traduction, il faudrait traduire par quelque chose du genre : « vers-dans ».
« En l’Église »…
Posons ici un nota théologique : on ne croit pas « en » l’Église, comme on croit « en » chacune des personnes de la Trinité, même s’il s’agit pour chacun des cas de l’emploi de la même préposition εἰς ( « en »). En effet le plan du texte – découpé en trois phrases centrées sur le Père, le Fils et l’Esprit Saint – situe l’Église dans la ligne de la personne de l’Esprit Saint :
Après la mention du Père créateur et du Fils rédempteur, vient celle de l’Esprit sanctificateur. L’Église est alors introduite : toutes les anciennes formules la mentionnent, et toujours à peu près à la même place, toujours associée à l’Esprit. (ibid., P. 22).
Ce point fut un enseignement constant des Pères de l’Église, pour souligner ce rapport le P. De Lubac suggérait de traduire « à l’Église » (cf. Henri DE LUBAC, Méditation sur l’Église, pp. 22-29) :
Pas plus pour l’Église que pour aucune des œuvres de Dieu, il n’est dit que nous croyons « en elle ». Nous croyons, suivant une formule anciennement attestée, en l’Esprit Saint ou plus exactement en toute la Trinité « dans l’Église », ou bien, comme l’expliquera saint Thomas, « en l’Esprit Saint unifiant l’Église » ou « sanctifiant l’Église ». En disant : « Je crois la sainte Église catholique », nous proclamons notre foi non point « en l’Église », mais « à l’Église », c’est à dire à son existence, à sa réalité surnaturelle, à son unité, à ses prérogatives essentielles (ibid., p. 23).
Le cardinal De Lubac ayant restitué la place de l’Église dans le Credo, donnons maintenant la parole au Père Garrigues qui nous apporte un nouvel éclairage :
Œuvre de l’Esprit issu du Père et donné par le Fils, la personne de l’Église est un mystère de grâce qui n’émane pas de ses membres mais qui, par sa personnalité propre, les précède et les enfante. Elle est notre Mère, avec laquelle nous entretenons une relation de personne à personne. Elle n’est pas seulement un objet de foi auquel on croit, comme aux autres œuvres de Dieu auxquelles on croit, elle est plus que cela, elle est une personne surnaturelle en qui on croit parce qu’elle est inséparable de la personne divine du Christ. Non pas, bien sûr, comme on croit en Dieu Lui-même, origine et terme de notre foi, mais néanmoins dans une relation personnelle analogue à celle que nous entretenons avec Lui. C’est pourquoi il est beau que la traduction française du Credo de Nicée-Constantinople, qui nous est proposé chaque dimanche à la messe au choix avec le Symbole des Apôtres, ait gardé après le « je crois en Dieu le Père » et le « en son Fils unique Jésus Christ » et le « Je crois en l’Esprit Saint », adressés à la Trinité, le « Je crois en l’Église ». On ne peut en effet vivre de la foi théologale sans croire en l’Église comme une personne : l’Épouse du Christ, notre Mère. On ne peut aimer l’Église que si on l’atteint dans la foi comme une personne (Jean Miguel GARRIGUES, Le dessein de Dieu à travers ses alliances, pp. 76-77) [1].
Pantocrator
L’emploi d’une expression de type « tout puissant » n’épuise pas la signification du terme Παντοκράτορα dont l’étymologie nous est un peu obscure, à l’instar de la nouvelle TOB nous transcrivons par Pantocrator.
Monogène
Affirmation du Christ comme « unique engendré » de Dieu (Jn 1, 14), en opposition aux créatures. Nous optons là encore pour une transcription traditionnelle.
Consubstantiel
Le terme ὁμοούσιον évoque simultanément une unité et une identité de substance. Par facilité la traduction catholique traduit « de même nature », ce qui pose difficulté : En effet les conciles d’où est issu le symbole définissent le Verbe incarné comme possédant deux natures, divine et humaine, unie dans une seule et même substance qu’il partage avec le Père.
« Issu de »
C’est le choix que nous avons retenu ici pour traduire la préposition ἐκ, cette préposition exprimant l’origine de laquelle provient le sujet, nous aurions aussi pu traduire : « provenant de ».
La procession du Saint Esprit
Nous abordons ici le problème du filioque, en effet les textes grecs et latins ne correspondent plus depuis l’ajout du filioque lors du IIIème concile de Tolède en 589 côté latin. Pour ce passage du symbole nous proposons donc deux traductions séparées. Mais notre traduction ne rend pas compte de la subtilité du terme « procession » dans chacune des deux langues. En effet, la divergence entre catholiques et orthodoxes sur cette question ne se limite pas à l’ajout du mot « filioque » en latin : l’ekporeusis grecque (ἐκπόρευσις) ne correspond pas à la processio latine (dont l’équivalent théologique en grec est le terme προἳέναι), les termes grecs et latin ne sont pas équivalents :
L’ἐκπόρευσις grecque ne signifie que la relation d’origine par rapport au seul Père en tant que principe de la Trinité. En revanche, la processio latine est un terme plus commun signifiant la communication de la divinité consubstantielle du Père au Fils et du Père par et avec le Fils au Saint-Esprit (Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit, Clarification pontificale pour la promotion de l’unité des chrétiens, in Documentation Catholique, 1995, n°19, pp. 941-945).
Ce dernier cas laissant la possibilité d’une relation au Christ la doctrine du filioque fit son chemin. Dans une lecture catholique nous pouvons dire que la définition latine est contenue dans la définition grecque sans la contredire, mais il faut savoir que les chrétiens de confession orthodoxe résistent à cette interprétation.
Pour l’Église catholique : « La tradition orientale exprime d’abord le caractère d’origine première du Père par rapport à l’Esprit. En confessant l’Esprit comme « tirant son origine du Père » (« ἐκ τοῦ Πατρὸς ἐκπορευόμενον » cf. Jn 15, 26), elle affirme que celui-ci tire son origine du Père par le Fils. La tradition occidentale exprime d’abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils en disant que l’Esprit procède du Père et du Fils (Filioque). […] Cette légitime complémentarité, si elle n’est pas durcie, n’affecte pas l’identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 248). Consciente de cela l’Église catholique a refusé que soit ajouté un καὶ τοῦ Υἱου (NDLR : « et du Fils ») à la formule ἐκ τοῦ Πατρὸς ἐκπορευόμενον du symbole de Nicée-Constantinople dans les Églises, même de rite latin, qui l’utilisent en grec ; l’utilisation liturgique de ce texte originel restant toujours légitime dans l’Église catholique (Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit (Clarification pontificale pour la promotion de l’unité des chrétiens, in Documentation Catholique, 1995, n°19, pp. 941-945).
Pour aller plus loin sur ce thème nous proposons plusieurs documents et pistes à partir de cet article : Réflexion sur le Filioque.
Catholique
Saint Ignace d’Antioche fut le premier à avoir recours à ce terme (Aux Smyrniotes, 8, 2). Le terme « catholique » n’a pas ici de connotation directement rapporté à l’Église catholique romaine, mais cette conception étant fortement ancrée, certaines confessions ultérieures, pour éviter d’y faire référence, traduisent le terme grec Καθολικὴν par « universel ». Cependant cette traduction ne rend compte que d’une partie de la réalité de ce terme, en effet le terme καθολικός comporte bien la notion d’universalité mais celle-ci est recoupée simultanément avec un principe unificateur (cf. Henri DE LUBAC, Catholicisme, pp. 455-456) :
Sans doute, étymologiquement, « universel » correspond bien à « catholique », mais n’a plus du tout ce sens dans le français moderne. Il n’évoque plus du tout ce mouvement de concentration des diverses – formant ainsi vraiment un tout – vers l’un, ou dans l’un. D’autre part « catholique » comporte d’abord un sens actif ( « universalisant », « rassemblant », « unifiant »), au lieu qu’ « universel » est passif, inorganique et statique (ibid.., n. 2, p. 455).
Par le fait même, « Église universelle » suggère une Église sans structure, invisible, partout diffuse, – à la manière de la première ecclésiologie luthérienne, que l’ensemble des théologiens, même protestants, estiment à juste titre être inconsistante et fausse (ibid., n. 3, p. 455).
Bibliographie
- , Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 2005, § 150.
- , s.j., , Histoire des dogmes, t. 1, Le Dieu du salut, Paris, Desclée, 1994, pp. 273-280.
- , o.p., Le dessein de Dieu à travers ses alliances, Dijon-Quetigny, Éditions de l’Emmanuel, 2003.
[1] Pour aller plus loin il nous faudrait encore parler de la relation de l’Esprit Saint avec la « personne de l’Église », où celui-ci est perçu comme « l’âme » de l’Église. Dans la même veine, voir la « kénose du Saint Esprit dans l’Église » de Vladimir Lossky, in Théologie mystique de l’Église d’Orient, Paris, 1944, p. 165.