Une conception sacrale ?
La chasteté est souvent envisagée comme un bien reçut à la naissance, on parle par exemple de la pureté des petits enfants. Ainsi comprise cette pureté se doit d’être conservée, elle peut être abîmée par perte, par des « actes impurs ». Nous sommes ici dans la conception d’un ordre sacral pour lequel sous-tend l’enjeux d’un ordre du monde à préserver par la séparation du pur et de l’impur [1]. Ce type de conception, s’il a put être relayé au sein même de courants chrétiens, ne fait pas partie en substance du message chrétien, il aurait même tendance à s’y opposer…
Une pureté relative à l’Incarnation
En effet, la venue du Verbe de Dieu dans le monde, par son incarnation, bouleverse les concepts de pureté ainsi établis : dans une conception chrétienne la chasteté se reçoit du Christ, dans l’instant, c’est lui qui rend pur et chaste, c’est lui qui sanctifie. La chasteté est au Christ et se reçoit du Christ pour toute personne qui a revêtu le Christ (cf. Ga 3, 27) :
Bien‐aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. Quiconque a cette espérance en lui se rend pur comme celui‐là est pur.
Conséquence : toute personne peut devenir chaste, peut devenir pure, peut devenir vierge. Entendons nous bien : nous ne disons pas « redevenir », nous disons « devenir ». De même qu’il ne s’agit pas de conserver un bien reçu ultérieurement mais de le recevoir comme un don à chaque instant, il ne s’agit pas ici de retrouver quelque chose de perdu, mais de le recevoir d’en haut.
L’unité de la personne
Alors qu’entend-t-on exactement par « chasteté » ? Le Catéchisme de l’Église Catholique en donne une définition :
La chasteté signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. La sexualité, en laquelle s’exprime l’appartenance de l’homme au monde corporel et biologique, devient personnelle et vraiment humaine lorsqu’elle est intégrée dans la relation de personne à personne, dans le don mutuel entier et temporellement illimité, de l’homme et de la femme.
La vertu de chasteté comporte donc l’intégrité de la personne et l’intégralité du don.
La chasteté est ici définie comme un principe vertueux contribuant à unifier la personne en pacifiant ses passions, non par amputation de sa sensibilité mais par intégration, pour devenir une personne dans toute ses dimentions [2].
La vertue de chasteté, ainsi définie, est loin de concerner la seule dimension sexuelle ! Celle-ci, non moins présente, se veut ordonnée à l’amour…
Vivre la chasteté dans tous les états de vie
Qui prête attention aux termes employés par le Catéchisme de l’Église Catholique pour sa définition de la chasteté percevra que celle-ci ne se situe pas sur le plan d’une continence sexuelle, en effet la continence n’est qu’un mode particulier de vivre la chasteté :
Tous les fidèles du Christ sont appelés à mener une vie chaste selon leur état de vie particulier. Au moment de son Baptême, le chrétien s’est engagé à conduire dans la chasteté son affectivité.
Il existe trois formes de la vertu de chasteté : l’une des épouses, l’autre du veuvage, la troisième de la virginité. Nous ne louons pas l’une d’elles à l’exclusion des autres. C’est en quoi la discipline de l’Église est riche.
La chasteté comprise comme « intégration réussie de la sexualité dans la personne » peut très bien se vivre au cœur même de la sexualité d’un couple, c’est même un appel. Dans cette perspective on peu même affirmer en toute assurance que la chasteté est la vertu du couple par excellence.
Savoir accueillir le don de chasteté
Si la chasteté est un don qui se reçoit du Christ, celui-ci ne peut être accueillit que librement par le cœur de l’homme dans le cadre de la coopération à son salut. L’homme doit donc se préparer à la réception de ce don, particulièrement pour les périodes de sa vie où il forge sa personnalité : au cours de l’enfance et à l’adolescence (cf. C.E.C § 2342).
La chasteté comporte un apprentissage de la maîtrise de soi, qui est une pédagogie de la liberté humaine. L’alternative est claire : ou l’homme commande à ses passions et obtient la paix, ou il se laisse asservir par elles et devient malheureux (cf. Si 1, 22). « La dignité de l’homme exige de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure. L’homme parvient à cette dignité lorsque, se délivrant de toute servitude des passions, par le choix libre du bien, il marche vers sa destinée et prend soin de s’en procurer réellement les moyens par son ingéniosité ».
La chasteté pour un religieux
Nous ne voulons pas conclure cet article sans vous proposer la très belle réflexion d’un dominicain sur sa vocation religieuse qui nous permet d’entrevoir la beauté de cette vocation quand elle est bien assumée :
Avec le recul de celui qui est entré dans la soixantaine, je peux le dire : un célibataire consacré a pu rencontrer à un moment de sa vie celle avec laquelle il est convaincu qu’il aurait aussi pu vivre heureux dans le mariage ; il peut même garder durablement dans son cœur la présence sans trouble de cet amour offert à Dieu, tout en restant fidèle au chemin qui est celui de sa fécondité pour le Royaume. Dieu n’est pas jaloux de nos sentiments à la manière dont le sont certaines femmes. Il ne réclame que le don de notre cœur, mais cet engagement libre de notre volonté, Il le veut sans partage. Il n’exige pas un cœur amputé de sa capacité affective d’aimer, mais Il demande que ce cœur Lui soit pleinement remis.
Notes
[1] Cf. notre article : « L’identité homme-femme dans la vision judéo-chrétienne ».
[2] Il s’agit donc ici d’une conception en butte à une certaines conceptions de l’ascétisme, notamment pour le bouddhisme pour qui la voie de l’illumination exige l’évacuation des passions, jusqu’à la plus ancrée d’entre elles : l’amour. Sans être aussi radical un ascétisme de ce type s’est aussi retrouvé dans le christianisme, par exemple dans le protestantisme ou dans le courant janséniste.
[3] « ‘La chasteté doit qualifier les personnes suivant leurs différents états de vie : les unes dans la virginité ou le célibat consacré, manière éminente de se livrer plus facilement à Dieu d’un cœur sans partage ; les autres, de la façon que détermine pour tous la loi morale et selon qu’elles sont mariées ou célibataires’ (CDF, déclaration Persona humana 11). Les personnes mariées sont appelées à vivre la chasteté conjugale ; les autres pratiquent la chasteté dans la continence : ‘Il existe trois formes de la vertu de chasteté : l’une des épouses, l’autre du veuvage, la troisième de la virginité. Nous ne louons pas l’une d’elles à l’exclusion des autres. C’est en quoi la discipline de l’Église est riche’ (S. Ambroise, vid. 23 : PL 153, 255A, cité in C.E.C § 2349) ».
[4] Jean-Miguel GARRIGUES, Par des sentiers resserrés, itinéraire d’un religieux en des temps incertains, Paris, Presses de la Renaissance, 2007.