Pourquoi l’histoire continue-t-elle après la venue du Christ ? Quand son retour, annoncé et espéré, viendra-t-il la consommer ? On sait, écrit Henri Marrou dans une étude sur saint Augustin, avec quelle acuité pathétique la question s’est posée à la première génération chrétienne. Il répond que les siècles d’après le Christ constituent proprement le temps de l’Église en son acte achevé :
Le retard de la parousie est très exactement mesuré par le délai nécessaire au recrutement de l’Église : l’histoire s’arrêtera, parvenue à son terme, quand le nombre des saints sera au complet.
Il cite saint Augustin :
Si le Juge retarde notre salut, c’est par amour et non par indifférence, à dessein et non par impuissance ; il pourrait, s’il le voulait, survenir à l’instant même, mais il attend que le nombre de tous les nôtres puisse être complété jusqu’au dernier.
Il faut que pareille « à un seul homme qui serait répandu dans l’univers entier et croîtrait peu à peu avec le cours du temps » [3], l’Église devienne selon le mot de l’apôtre comme « un homme parfait à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ » (Ep 4, 13).
Retenons, en conséquence, que ce ne sont pas les initiatives de la cité du mal, mais les achèvements et les accomplissements de la cité de Dieu, qui donneront le signal de la dernière heure du monde [4].
[1] , L’ambivalence du temps de l’histoire chez saint Augustin, Paris, Vrin, 1950, pp. 21-22.
[2] , Enarr. in Ps. 34, II, 9
[3] , Enarr. in Ps. 34, XVI, 6.
[4] « La vue religieuse de l’histoire du monde dans le Coran diffère totalement de celle du judaïsme orthodoxe et du christianisme… Pour l’Islam, il n’y a pas de progrès dans la révélation du mystère de Dieu. La religion… est rappelée périodiquement aux hommes par les prophètes. Des communautés ont été visitées successivement, les unes après les autres, sans autre lien entre elles qu’une juxtaposition dans le temps. La grande loi coranique de l’histoire est que les peuples rebelles envers ceux que Dieu leur envoyait ont été anéantis. Ils ont été ensuite remplacés par d’autres qui ont pris leur succession. » , Bible et Coran, Paris, Cerf, 1959, pp. 140 et 143. Entre l’origine et la fin du monde « le morne désert de l’histoire (les hommes naissent, souffrent et meurent) n’est jalonné que par les oasis de la prophétie : de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Jésus. D’un prophète à l’autre, il y a discontinuité, série de paroles saccadées qui ébranlent le temps sans le transfigurer. Mahomet lui-même, sceau des prophètes, ne leur est pourtant pas transcendant. » , « Islam et Christianisme » dans Bulletin des Missions, t. XVII, 1938, p. 21. Voir aussi , Aspects intérieurs de l’Islam, Paris, Seuil, 1949, p. 37ss.