Interprétation de la scène de la ligature d’Isaac en Gn 22
Selon [l’interprétation de certains commentateurs] du texte, Dieu manifeste son droit souverain d’exiger jusqu’à la mort du premier-né comme sacrifice [1]. Peut-on accepter cette image de Dieu ? Ils [2] répondraient : c’est l’image que Dieu lui-même a révélée dans l’Écriture. Walther Eichrodt propose des éléments historiques pour une compréhension exégétique du texte bien différente : Dieu a libéré progressivement Israël des tabous et des concepts religieux contredisant sa sainteté. Les ancêtres d’Israël avaient hérité certaines convictions dont celle que Dieu parfois ne peut être apaisé que par le sacrifice du premier-né [3]. Une meilleure connaissance du contexte culturel d’où Abraham est sorti et une attention plus grande aux formes littéraires suggèrent l’interprétation suivante de l’histoire de la Genèse : Abraham se trouvait dans des conditions qui, pour les hommes religieux de son temps, appelaient au sacrifice du premier-né. Lui aussi ressentait dans sa conscience que cette obligation le concernait, ici et maintenant. La disponibilité à agir en accord avec sa conscience compte devant Dieu. Mais à cette occasion, par la révélation, survint une percée unique de la foi. À partir de ce moment, Abraham et ses descendants savent par la foi que Dieu n’exige jamais le meurtre du premier-né. Au contraire, ils considèrent cela comme une abominable perversion de la religion.
Le texte de Genèse 22, 1-18
Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va‐t’en au pays de Moriyya, et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne que je t’indiquerai ». Abraham se leva tôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois de l’holocauste et se mit en route pour l’endroit que Dieu lui avait dit. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l’endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs : « Demeurez ici avec l’âne. Moi et l’enfant nous irons jusque là‐bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous ». Abraham prit le bois de l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac, lui‐même prit en mains le feu et le couteau et ils s’en allèrent tous deux ensemble. Isaac s’adressa à son père Abraham et dit : « Mon père ! » Il répondit : « Oui, mon fils », « Eh bien, reprit‐il, voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham répondit : « C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste, mon fils », et ils s’en allèrent tous deux ensemble. Quand ils furent arrivés à l’endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva l’autel et disposa le bois, puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par‐dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l’Ange de Yahvé l’appela du ciel et dit : « Abraham ! Abraham! » Il répondit : « Me voici ! » L’Ange dit : « N’étends pas la main contre l’enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique ». Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s’était pris parles cornes dans un buisson, et Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. A ce lieu, Abraham donna le nom de « Yahvé pourvoit », en sorte qu’on dit aujourd’hui : « Sur la montagne, Yahvé pourvoit ». L’Ange de Yahvé appela une seconde fois Abraham du ciel et dit : « Je jure par moi‐même, parole de Yahvé : parce que tuas fait cela, que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer, et ta postérité conquerra la porte de sesennemis. Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m’as obéi ». Trad. Bible de Jérusalem.
Notes de Testimonia
[1] Souvent appelée de manière impropre « sacrifice d’Abraham », cette scène prend plus justement le nom de « ligature d’Isaac ».
[2] Des théologiens à la suite de K. Barth et de J. Sittler.
[3] Il s’agit ici des « sacrifices de fondations » décrits par l’Ancien Testament tel qu’on les pratiquait dans le monde sémitique d’alors : « En la dix‐septième année de Péqah fils de Remalyahu, Achaz fils de Yotam devint roi de Juda. Achaz avait vingt ans à son avènement et il régna seize ans à Jérusalem. Il ne fit pas ce qui est agréable à Yahvé, son Dieu, comme avait fait David son ancêtre. Il imita la conduite des rois d’Israël, et même il fit passer son fils par le feu, selon les coutumes abominables des nations que Yahvé avait chassées devant les Israélites » (2 Rois 16, 1-3).