Le monde de la création dans l’état d’innocence était bon. Le monde de la nature déchue et rachetée est bon, lui aussi ; en suivant la voie ouverte par l’Exsultet, nous avons fait un pas de plus pour affirmer qu’il est meilleur au total que le monde de la création.
Mais est-ce possible ? Le monde que nous avons sous les yeux, terrassé initialement par le péché, visité sans cesse par la douleur, la misère, les épidémies, les catastrophes, rempli de scandales, de trahisons, de crimes, habité par le mensonge, l’imposture, la violence, l’injustice, la haine, la cruauté, disposant après des centaines de milliers d’années d’effrayants moyens de destruction, le monde qui vient d’inventer les guerres intercontinentales, l’extermination de six ou sept millions de Juifs, les camps de la faim et de la mort, les chambres à gaz, les fours crématoires, les grandes propagandes athées -, est-il possible que ce monde soit au total meilleur que n’eût été le monde de l’innocence ? Nous savons tous qu’un monde touché par le mal peut être meilleur au total qu’un monde moindre, qui serait exempt du mal. Mais existe-t-il quelque bien, absent du paradis terrestre, que notre monde puisse contenir pour surcompenser le poids en quelque sorte infini des ses misères ?
Oui, ce bien existe. Car nous croyons que le second Adam, venu prendre la place du premier, n’est pas un pur homme, qu’il est le Fils éternel de Dieu, que sa dignité est infinie : c’est là notre réponse suprême. Nous croyons aussi que la sainteté de la Vierge, vraie Mère de Dieu, passe à elle seule toute celle du premier paradis ; que la grâce christique, succédant à la grâce adamique, sans éliminer la souffrance peut l’illuminer merveilleusement, faire avec de l’injustice des martyrs, avec du péché des repentirs ignorés du premier âge, qui, tels celui de la pécheresse aux pieds de Jésus ou du larron en croix, seront des splendeurs de l’éternité. Nous croyons que des miséricordes inimaginables s’échappent de la Croix du Sauveur du monde, et que s’il désire ardemment s’adjoindre des disciples qui soient – avec lui, en lui, par lui – des membres sauveurs, c’est pour que la multitude de ceux qui seront ainsi sauvés par eux soit innombrable.