La réciprocité nous oblige à considérer l’amour de l’homme et de la femme moins comme l’amour de l’un pour l’autre que plutôt comme quelque chose qui existe entre eux. Elle est étroitement liées à l’amour entre l’homme et de la femme. Arrêtons-nous à cette proposition. Elle suggère que l’amour n’est pas dans la femme ni dans l’homme – car alors il y aurait, au fond, deur amours – mais qu’il est unique, qu’il est quelque chose qui les lie. Numériquement ou psychologiquement, il y a deux amours, mais ces deux faits ditincts s’unissent et créent un tout objectif, en quelque sorte un seul être où deux personnes sont engagées.
Nous arrivons ainsi au problème du rapport entre « moi » et « nous ». Toute personne est un « moi » absolument unique qui possède sont intériorité propre et grâce à cela constitue comme un petit univers qui dépend de Dieu dans son existence tout en restant indépendant dans les limites qui lui sont propres. La voie d’un « moi » à un autre passe par le libre arbitre, par l’engagement du libre arbitre. Mais elle peut n’aller que dans une seule direction. L’amour de la personne est alors unilatéral. Certes, il possède son aspect psychologique distinct et authentique, mais il manque de cette plénitude objective qui lui confère la réciprocité. On l’appelle alors amour non partagé, et nous savons que celui-ci est inséparable de la peine et de la souffrance. Il arrive qu’il se maintienne même très longtemps dans le sujet, dans la personne qui le nourrit, mais ceci n’a lieu que par la force d’une sorte d’obstination intérieure qui déforme plutôt l’amour et le désunit de son caractère normal. L’amour sans réciprocité est condamné d’abord à végéter, puis à mourir. Et souvent, en disparaissant, il fait s’éteindre la faculté même d’aimer. Évidemment, c’est là un cas extrême.
Toutefois, il est clair que l’amour n’est pas unilatéral par nature, mais qu’il est au contraire bilatéral, qu’il existe entre les personnes, qu’il est social. Son être, dans sa plénitude, est inter-personnel et non pas individuel. Il est une force qui lie et qui unit, sa nature est contraire à la division et à l’isolation. Pour que l’amour atteigne sa plénitude, il faut que le chemin qui mène de l’homme à la femme rencontre celui qui va de celle-ci à celui-là. Un amour réciproque crée la base la plus immédiate à partir de laquelle un seul « nous » naît de deux « moi ». C’est en cela sur consiste son dynamisme naturel. Pour que naisse le « nous », il ne suffit pas du seul amour bilatéral, car il y a en celui-ci, malgré tout, deux « moi », bien que pleinement disposés déjà à devenir un seul « nous ». C’est la réciprocité qui, dans l’amour, décide de la naissance de ce « nous ». Elle prouve que l’amour a mûri, qu’il est devenu quelque chose entre les personnes, qu’il a créé une communauté, et c’est ainsi que se réalise pleinement sa nature. La réciprocité en fait partie.
Ce fait jette une lumière sur nouvelle sur l’ensemble du problème. Nous avons constaté plus haut que la bienveillance appartenait à la nature de l’amour aussi bien que l’attrait et la concupiscence. L’amour de concupiscence et celui de bienveillance diffèrent entre eux, mais pas au point de s’exclure l’un l’autre : une personne peut en désirer une autre comme un bien pour elle-même, mais elle peut en même temps lui désirer du bien indépendamment du fait qu’elle soit un bien pour elle. La vérité sur la réciprocité en donne une nouvelle explication : lorsqu’on désire quelqu’un en tant qu’un bien pour soi-même, en retour on désire alors surtout son amour, on désire donc l’autre personne d’abord en tant que co-créateur de l’amour et non pas comme objet de concupiscence. L’ « intérêt » dans l’amour se ramènerait donc simplement à chercher un écho dans l’amour réciproque. Mais, puisque la réciprocité appartient à la nature de l’amour, et constitue son profil interpersonnel, il est difficile de parler ici d’ « intérêt ». Le désir de réciprocité n’exclut pas le caractère désintéressé de l’amour. Au contraire l’amour réciproque peut être désintéressé, bien que l’amour de concupiscence trouve en lui pleine satisfaction. La réciprocité apporte avec elle une synthèse, si l’on peut dire, de l’amour de concupiscence et de l’amour bienveillant. Le premier se manifeste surtout au moment où l’une des personnes devient jalouse « de l’autre », quand elle commence à craindre son infidélité.