La prostitution comme signe d’infidélité du peuple de Dieu
Un enjeux théologique
Si la prostitution est mainte fois dénoncée dans la Bible, l’enjeux ne se situe pas sur un plan moral mais bien plutôt théologique, en visant tout particulièrement les pratiques cananéenne de prostitution sacrée. La prostitution sacrée, telle qu’elle était pratiquée dans les temples de Canaan, se voulait à l’image du cosmos que l’on pensait constitué de divinités sexuées. Le Dieu d’Israël refusera ces mythologies cosmiques et combattra les pratiques de prostitution sacrée qui l’accompagnent :
Israël s’établit à Shittim. Le peuple se livra à la prostitution avec les filles de Moab. Elles l’invitèrent aux sacrifices de leurs dieux ; le peuple mangea et se prosterna devant leurs dieux. Israël s’étant ainsi commis avec le Baal de Péor, la colère de Yahvé s’enflamma contre lui.
En effet : une divinité sexuée est une divinité qui n’échappe pas à la création ; dans sa révélation à Israël, le Dieu véritablement créateur se place au delà de cette catégorie en se définissant lui-même comme époux de la création et – par le jeux des alliances – du peuple d’Israël. C’est dans cette ligne qu’il faut comprendre l’appel de Dieu sur le prophète Osée à qui Dieu demanda de prendre pour femme une prostituée :
Va, prends une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant de Yahvé.
Par ce mariage, il s’agit pour Osée de signifier la relation douloureuse que Dieu, époux, entretient avec son peuple infidèle. Le thème de la prostitution comme symbole de l’infidélité du peuple de Dieu sera repris mainte fois dans la Bible [2], jusque dans le Nouveau Testament [3]. Le livre de l’Apocalypse s’en fera tout particulièrement l’echo en dénonçant les actions mauvaise de « Babylone la Grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre ». (Apocalypse 17, 5 ; cf. Ap 17).
La figure de la femme prostituée dans le monde de la Bible
Les approches négatives
Dans la Bible, la prostituée est un personnage ambivalent. Des passages relevés dans les écrits bibliques démontrent que la femme prostituée était tenue en piètre estime, celle-ci étant refoulée aux frontières de l’humanité, signe d’infamie pour le roi Achab au même titre que les chiens :
On lava à grande eau son char à l’étang de Samarie, les chiens lapèrent le sang et les prostituées s’y baignèrent, selon la parole que Yahvé avait dite.
Des indices semblent démontrer que la prostitution renvoie aussi à la pureté et à l’impureté légale pour le monde hébreux :
Ne profane pas ta fille en la prostituant ; ainsi le pays ne sera pas prostitué et rendu tout entier incestueux.
L’inceste renvoie à un refus du mélange, à un refus du retour au chaos, au Tohu-Bohu des origines : préserver le pur de l’impur c’est respecter l’ordre du monde en évitant le mélange, l’indéterminé, c’est tout le sens de la Cacherout et des autres prescriptions légales [6].
La prostituée parmi les grandes figures bibliques
Mais les Écritures font avant tout de cette figure un personnage incontournable, certaines d’entre elles jouant des rôles importants dans l’histoire du salut ; ces femmes, méprisées par tous, peuvent être l’instrument de l’espérance d’Israël :
- Tamar se fait passer pour une prostituée afin d’assurer une descendance à son mari auprès de son beau-père Juda (Gn 38)
- Rahab, la prostituée, aida les envoyés de Josué à prendre la ville de Jéricho (Josué 2, 1 ; 6, 17 ; etc.), son nom est ainsi lié à jamais à la conquête de la terre promise (Hébreux 11, 31 ; Jacques 2, 25)
- Jephté, l’un des juges d’Israël, est fils d’une prostitué (Juges 11, 1)
- Se sont deux prostituées qui se disputent l’enfant devant Salomon, qui incita celui-ci à rendre son célèbre jugement, le témoignage de l’une d’entre elles est édifiant (1 Rois 3, 16-28)
Remarquons que parmi ces femmes que nous venons de mentionner, Tamar et Rahab se retrouvent dans la généalogie de Jésus parmi les trois seules femmes y figurant (Matthieu 1, 3.5). Le Nouveau Testament confirmant ainsi le statut héroïque de ces femmes de la première Alliance.
Enfin, le Christ, dans les Évangiles, nous donne un regard nouveau sur les prostituées : elles, qui à l’époque du Nouveau Testament représentaient toujours la lie de la société avec les publicains, sont révélées par Jésus comme étant parmi les premières à croire en la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu :
En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu. En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui ; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui ; et vous, devant cet exemple, vous n’avez même pas eu un remords tardif qui vous fît croire en lui.
Notes
[1] Cf. aussi le Deuxième livre des Maccabées qui associe la prostitution avec les errances d’Israël : « Le sanctuaire était rempli de débauches et d’orgies par des païens qui s’amusaient avec des prostituées et avaient commerce avec des femmes dans les parvis sacrés, et qui encore y apportaient des choses défendues. L’autel était couvert de victimes illicites, réprouvées par les lois » (2 Maccabées 6, 4-5).
[2] Isaïe 1, 21 : « Comment est‐elle devenue une prostituée, la cité fidèle ? Sion, pleine de droiture, où la justice habitait, et maintenant des assassins ! » Cf. Isaïe 23, 16 ; 57, 3 ; Jérémie 2, 20 ; 3 ; 5, 7 ; 13, 27 ; Ezéchiel 16 ; 23 ; Osée ; Joël 4, 3 ; Michée 1, 7 ; Nahum 3, 4 ; etc.
[4] Cette analogie avec les chiens se rencontre encore dans le Deutéronome : « Il n’y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d’Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d’Israël. Tu n’apporteras pas à la maison de Yahvé ton Dieu le salaire d’une prostituée ni le paiement d’un chien, quel que soit le vœu que tu aies fait : car tous deux sont en abomination à Yahvé ton Dieu » (Deutéronome 23, 18-19). Sur la prostituée comme personnage méprisable cf. aussi Génèse 34, 31 : « Devait‐on traiter notre soeur comme une prostituée ? » ; Proverbes 7, 10 : « Et voici qu’une femme vient à sa rencontre, vêtue comme une prostituée, la fausseté au cœur » ; voir encore : Proverbes 23, 27 ; 29, 3 ; Siracide 19, 2 ; etc.
[5] Cf. Lévitique 21, 7 : « Ils [les prêtres, enfants d’Aaron] ne prendront pas pour épouse une femme prostituée et profanée, ni une femme que son mari a chassée, car le prêtre est consacré à son Dieu » ; cf. aussi Lévitique 21, 14.
[6] Sur cette question voir notre article : « L’identité homme-femme dans la vision judéo-chrétienne ».