Comme pour tout texte ancien, la traduction d’un texte biblique est un exercice difficile.
Il y a toujours un écart plus ou moins sensible entre un texte biblique original, grec ou hébreu, et sa traduction en langue vernaculaire. Ce rapport est normal étant donné le génie propre de chaque langue. Selon les projets de traduction, un texte source pourra donner une traduction plus ou moins proche de l’original. Un mot polysémique trouvera difficilement son équivalent dans la langue d’arrivée ; a contrario, un mot conceptuel précis pourra exiger une subtilité faisant défaut [9]. Le traducteur devra faire appel au contexte afin de déterminer le sens le plus approchant [8]. En regard de cela, certains choix de traduction peuvent être plus ou moins critiquables.
Mais pour certaines traductions, l’écart devient un grand écart. Dans notre collimateur : la Traduction du Monde Nouveau (TMN) – promulguée par la Watchtower -, la bible des Témoins de Jéhovah. Nous nous proposons ici de soulever les enjeux théologiques posés par cette traduction, en nous limitant au Nouveau Testament et en confrontant des versets tirés de la TMN avec une édition critique du texte grec.
Confrontation de la Traduction du Monde Nouveau avec une édition critique du texte grec
Sur la toile vous trouverez bien des sites soulignant les erreurs de traduction de la TMN, en établissant des tableaux comparatifs entre différentes traductions. Mais rares sont ceux qui réalisent un comparatif à partir du grec, la langue du Nouveau Testament. C’est désormais chose faite.
Il est bien entendu impossible de reprendre tous les versets bibliques concernés par les inflexions, ajouts ou omissions de la Traduction du Monde Nouveau au texte original [1]. Nous ne donnons ici que quelques versets témoins pour illustrer notre propos.
Les occurrences posant problème sont pointées en caractères gras.
Édition critique Nestlé-Aland (2012) | Traduction du Monde Nouveau (1995) | Traduction Émile Osty (1973) |
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Jn 1, 1 : Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος. | Au commencement la Parole était, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était un dieu. | Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. |
Jn 1, 3-4a : πάντα δι’ αὐτοῦ ἐγένετο, καὶ χωρὶς αὐτοῦ ἐγένετο οὐδὲ ἕν. ὃ γέγονεν ἐν αὐτῷ ζωὴ ἦν, … | Toutes choses vinrent à l’existence par son intermédiaire , et en dehors de lui pas même une chose ne vint à l’existence. Ce qui est venu à l’existence par son moyen était vie, … | Par lui tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru. En lui était la vie, … |
Jn 1, 14 : Καὶ ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο καὶ ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῖν, καὶ ἐθεασάμεθα τὴν δόξαν αὐτοῦ, δόξαν ὡς μονογενοῦς παρὰ πατρός, πλήρης χάριτος καὶ ἀληθείας. | Ainsi la Parole devint chair et résida parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle d’un fils unique-engendré [et qui vient] d’un père ; et il était plein de faveur imméritée et de vérité. | Et le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi nous. Et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient de son Père un Fils unique, plein de grâce et de vérité. |
Jn 1, 23 : ἔφη· ἐγὼ φωνὴ βοῶντος ἐν τῇ ἐρήμῳ· εὐθύνατε τὴν ὁδὸν κυρίου, καθὼς εἶπεν Ἠσαΐας ὁ προφήτης. | Il dit : “ Moi, je suis [la] voix de quelqu’un qui crie dans le désert : ‘ Rendez droit le chemin de Jéhovah ‘, comme a dit Isaïe le prophète. ” | Il déclara : « Je suis la voix de celui qui clame dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur, selon ce qu’a dit Isaïe, le prophète. |
Jn 3, 16 : οὕτως γὰρ ἠγάπησεν ὁ θεὸς τὸν κόσμον, ὥστε τὸν υἱὸν τὸν μονογενῆ ἔδωκεν, ἵνα πᾶς ὁ πιστεύων εἰς αὐτὸν μὴ ἀπόληται ἀλλ’ ἔχῃ ζωὴν αἰώνιον. | Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique-engendré, afin que tout homme qui exerce la foi en lui ne soit pas détruit mais ait la vie éternelle. | Dieu en effet a tant aimé le monde qu’il a donné le Fils, l’Unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. |
Jn 8, 58 : εἶπεν αὐτοῖς Ἰησοῦς· ἀμὴν ἀμὴν λέγω ὑμῖν, πρὶν Ἀβραὰμ γενέσθαι ἐγὼ εἰμί. | Jésus leur dit : “ Oui, vraiment, je vous le dis : Avant qu’Abraham vienne à l’existence, j’ai été. | Jésus leur dit : « En vérité, en vérité je vous le dis : Avant qu’Abraham parût, Moi Je Suis. » |
Jn 14, 11 : πιστεύετέ μοι ὅτι ἐγὼ ἐν τῷ πατρὶ καὶ ὁ πατὴρ ἐν ἐμοί· εἰ δὲ μή, διὰ τὰ ἔργα αὐτὰ πιστεύετε. | Croyez-moi : que je suis en union avec le Père et que le Père est en union avec moi ; sinon, croyez à cause des œuvres elles-mêmes. | Croyez m’en : moi, je suis dans le Père et le Père est en moi ; sinon, croyez à cause des œuvres mêmes. |
Mt 16, 18a : κἀγὼ δέ σοι λέγω ὅτι σὺ εἶ Πέτρος, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρᾳ οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν… | De plus, moi je te dis : Tu es Pierre, et sur ce roc je bâtirai ma congrégation... | Et moi je te dis que tu es Pierre [Roc] et sur ce roc je bâtirai mon Église… |
Mt 25, 46 : καὶ ἀπελεύσονται οὗτοι εἰς κόλασιν αἰώνιον, οἱ δὲ δίκαιοι εἰς ζωὴν αἰώνιον. | Et ceux-ci s’en iront au retranchement éternel, mais les justes à la vie éternelle. | « Et ils s’en iront, ceux-là au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle ». |
Mt 26, 26b : … καὶ δοὺς τοῖς μαθηταῖς εἶπεν· λάβετε φάγετε, τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου. | … et, le donnant aux disciples, il dit : “ Prenez, mangez. Ceci représente mon corps. ” | … et, [le] donnant aux disciples, il dit : « Prenez et mangez ; ceci est mon corps. » |
Mt 28, 17 : … καὶ ἰδόντες αὐτὸν προσεκύνησαν, οἱ δὲ ἐδίστασαν. | … et quand ils le virent, ils lui rendirent hommage, mais quelques-uns doutèrent. | … et l’ayant vu, ils se prosternèrent, mais quelques-uns doutèrent ! |
Rm 10, 13 : πᾶς γὰρ ὃς ἂν ἐπικαλέσηται τὸ ὄνομα κυρίου σωθήσεται. | Car “ tout homme qui invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé ”. | car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. |
Ac 2, 21 : καὶ ἔσται πᾶς ὃς ἂν ἐπικαλέσηται τὸ ὄνομα κυρίου σωθήσεται. | Et tout homme qui invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé. | et il adviendra que quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. |
1 Co 1, 2a : τῇ ἐκκλησίᾳ τοῦ θεοῦ τῇ οὔσῃ ἐν Κορίνθῳ, ἡγιασμένοις ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ… | à la congrégation de Dieu qui est à Corinthe, à vous qui avez été sanctifiés en union avec Christ Jésus… | à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés en Christ Jésus… |
2 Co 5, 19 : ὡς ὅτι θεὸς ἦν ἐν Χριστῷ κόσμον καταλλάσσων ἑαυτῷ, μὴ λογιζόμενος αὐτοῖς τὰ παραπτώματα αὐτῶν καὶ θέμενος ἐν ἡμῖν τὸν λόγον τῆς καταλλαγῆς. | … à savoir que Dieu, par le moyen de Christ, réconciliait un monde avec lui-même, ne leur tenant pas compte de leurs fautes, et il nous a remis la parole de la réconciliation. | Car c’était Dieu qui en Christ se réconciliait le monde, ne tenant pas compte aux hommes de leurs fautes et mettant en nous la parole de réconciliation. |
Ph 2, 9 : διὸ καὶ ὁ θεὸς αὐτὸν ὑπερύψωσεν καὶ ἐχαρίσατο αὐτῷ τὸ ὄνομα τὸ ὑπὲρ πᾶν ὄνομα… | C’est pourquoi aussi Dieu l’a élevé à une position supérieure et lui a donné volontiers le nom qui est au-dessus de tout [autre] nom… | C’est pourquoi Dieu l’a souverainement exalté et l’a gratifié du Nom qui est au-dessus de tout nom… |
Col 1, 16-17 : … ὅτι ἐν αὐτῷ ἐκτίσθη τὰ πάντα ἐν τοῖς οὐρανοῖς καὶ ἐπὶ τῆς γῆς, τὰ ὁρατὰ καὶ τὰ ἀόρατα, εἴτε θρόνοι εἴτε κυριότητες εἴτε ἀρχαὶ εἴτε ἐξουσίαι· τὰ πάντα δι’ αὐτοῦ καὶ εἰς αὐτὸν ἔκτισται· καὶ αὐτός ἐστιν πρὸ πάντων καὶ τὰ πάντα ἐν αὐτῷ συνέστηκεν… | … parce que par son moyen toutes les [autres] choses ont été créées dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, que ce soient trônes, ou seigneuries, ou gouvernements, ou pouvoirs. Toutes les [autres] choses ont été créées par son intermédiaire et pour lui. Il est aussi avant toutes les [autres] choses, et par son moyen toutes les [autres] choses ont reçu l’existence… | … parce qu’en lui ont été créés toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit les Trônes, soit les Seigneuries, soit les Principautés, soit les Pouvoirs. Toutes choses ont été créées par lui et pour lui, et il est avant tout, et toutes choses subsistent en lui… |
Col 2, 9 : … ὅτι ἐν αὐτῷ κατοικεῖ πᾶν τὸ πλήρωμα τῆς θεότητος σωματικῶς… | … parce que c’est en lui que toute la plénitude de la qualité divine habite corporellement… | … Car c’est en lui qu’habite corporellement toute la plénitude de la divinité… |
1 Tm 2, 3-4 : τοῦτο καλὸν καὶ ἀπόδεκτον ἐνώπιον τοῦ σωτῆρος ἡμῶν θεοῦ, ὃς πάντας ἀνθρώπους θέλει σωθῆναι καὶ εἰς ἐπίγνωσιν ἀληθείας ἐλθεῖν. | Cela est beau et agréable aux yeux de notre Sauveur, Dieu, qui veut que toutes sortes d’hommes soient sauvés et parviennent à une connaissance exacte de la vérité. | Cela est bon et agréé devant Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. |
Ti 2, 11 : Ἐπεφάνη γὰρ ἡ χάρις τοῦ θεοῦ σωτήριος πᾶσιν ἀνθρώποις… | Car la faveur imméritée de Dieu qui apporte le salut à toutes sortes d’hommes s’est manifestée… | Car la grâce de Dieu est apparue, salutaire à tous les hommes… |
He 1, 3 : ὃς ὢν ἀπαύγασμα τῆς δόξης καὶ χαρακτὴρ τῆς ὑποστάσεως αὐτοῦ… | Il est le reflet de [sa] gloire et la représentation exacte de son être même… | Resplendissement de sa gloire et empreinte de sa substance… |
He 1, 6b : … καὶ προσκυνησάτωσαν αὐτῷ πάντες ἄγγελοι θεοῦ. | … Et que tous les anges de Dieu lui rendent hommage. | … Et que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. |
He 1, 8 : πρὸς δὲ τὸν υἱόν· ὁ θρόνος σου ὁ θεὸς εἰς τὸν αἰῶνα τοῦ αἰῶνος, καὶ ἡ ῥάβδος τῆς εὐθύτητος ῥάβδος τῆς βασιλείας σου. | Mais à propos du Fils : “ Dieu est ton trône à tout jamais, et [le] sceptre de ton royaume est le sceptre de droiture. | … mais pour le Fils : Ton trône, ô Dieu, subsiste à jamais, et le sceptre de la droiture est ton sceptre royal ;… |
2 P 1, 1b : … ἐν δικαιοσύνῃ τοῦ θεοῦ ἡμῶν καὶ σωτῆρος Ἰησοῦ Χριστοῦ… | … par la justice de notre Dieu et du Sauveur Jésus Christ… | … par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ ; … |
1 Jn 5, 20 : οἴδαμεν δὲ ὅτι ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ ἥκει καὶ δέδωκεν ἡμῖν διάνοιαν, ἵνα γινώσκωμεν τὸν ἀληθινόν, καὶ ἐσμὲν ἐν τῷ ἀληθινῷ, ἐν τῷ υἱῷ αὐτοῦ Ἰησοῦ Χριστῷ. οὗτός ἐστιν ὁ ἀληθινὸς θεὸς καὶ ζωὴ αἰώνιος. | Mais nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné l’intelligence pour que nous parvenions à connaître le véritable. Et nous sommes en union avec le véritable, par le moyen de son Fils Jésus Christ. C’est là le vrai Dieu et la vie éternelle. | Mais nous savons que le Fils de Dieu est arrivé et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus Christ. C’est celui-là le véritable Dieu et la vie éternelle. |
Enjeux théologiques de la Traduction du Monde Nouveau
Les enjeux présentés ici ne sont pas exhaustifs, il s’agit simplement de démontrer le pourquoi des choix de traduction de certains passages bibliques. Pour une analyse plus complète, nous vous renvoyons à la bibliographie disponible en fin d’article.
Contrairement aux chrétiens, les Témoins de Jéhovah suivent une ligne arienne [6] : pour eux le Christ est une puissance qui, bien qu’elle puisse revêtir des attributs divins, n’est pas Dieu mais inférieure à Dieu [7]. Ainsi, pour les TJ, le Christ n’est pas un médiateur entre Dieu et les hommes, mais un intermédiaire, important certes, mais seulement un intermédiaire.
Dans cette perspective, les Témoins de Jéhovah vont chercher à minimiser l’importance des parallèles bibliques entre Dieu et le Christ. Hormis l’interprétation minimale qu’ils peuvent faire de certains textes (par exemple les textes prêtant des attributs divins à Jésus), leur traduction infléchit certains passages bibliques en fonction de leur théologie.
En conséquence, dans la Traduction du Monde Nouveau, le Logos n’est plus Dieu, il est « un dieu » (Jn 1, 1). Il n’est plus « plein de grâce » (χάριτος, charitos) mais « plein de faveur imméritée » (Jn 1, 14). Plus de correspondance non plus avec le fameux verset d’Exode 3, 14 (« je suis celui qui suis ») : le terme grec ἐγὼ εἰμί (ego eimi) traduit habituellement et sans aucune difficulté d’exégèse par « Moi je suis » (le verbe « être » au présent de l’indicatif) est ici transformé en « j’ai été » pour les occurrences concernées (Jn 8, 58 ; 18, 8, etc.)…
En Jn 1, 3-4 les prépositions δια et ἐν n’introduisent pas de notion d’intermédiaire pour le Logos dans sa coopération à la création. Toutefois la Traduction du Monde Nouveau n’hésite pas à faire ce choix.
Dans l’Ancien Testament on « se prosterne » devant Dieu seul. La TMN va éviter d’appliquer ce verbe au Christ : en Matthieu 28, 17 on ne se prosterne donc plus devant le Christ (pourtant en grec : προσκυνώ, proskuno), on lui « rend hommage ». De nombreuses occurrences sont concernées, parmi elles : Mt 4, 10 ; He 1, 6…
Le nom de Jésus n’est plus « au dessus de tout nom » – à l’instar de Dieu – il n’est plus qu’« au-dessus de tout [autre] nom » (Ph 2, 9), le nom de « Jéhovah » ne souffrant aucune concurrence, comme nous le verrons plus loin.
Dans la TMN, le Christ ne crée plus « toute chose » mais d’autres choses (Col 1, 16-17).
Ce n’est plus « la plénitude de la divinité » qui habite en lui, mais seulement « la qualité divine » (Col 2, 9).
Le Père et le Fils ne sont plus l’un « dans » l’autre mais « en union avec » l’autre (Jn 11, 14).
De même le monde n’est plus sanctifié « dans » le Christ, mais « en union avec » lui (1 Co 1, 2 ; cf. aussi : 2 Co 5, 19).
En Tite (Ti 2, 11) ce n’est plus le Christ « grâce de Dieu » qui apparait, salutaire à tous les hommes, mais la « faveur imméritée » de Dieu en lieu et place.
En Hébreux 1, 3 le Fils n’est plus « empreinte » – et même « caractère » (χαρακτὴρ xaraktèr) – de la substance de Dieu, mais seulement « représentation exacte ».
Étant donné que le Christ n’est pas Dieu, il s’agit moins de « croire en lui » (πιστεύω) que d’« exercer la foi en lui » ; la traduction des passages concernés va être quasi systématisée (Jean 3, 16 ; 3, 18 ; 6, 35 ; 6, 40 ; 11, 25-26 ; Rm 10, 9 ; etc.). Quelques exceptions échappent cependant à cette règle (Jn 7, 38 ; 12, 44 ; Ac 10, 43 ; 16, 31).
Pour un Témoin de Jéhovah il est hors de question que le Christ soit substantiellement présent dans le pain et le vin. Les versets concernés, issus des trois évangiles synoptiques (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19), vont alors être rectifiés pour devenir : « Ceci représente mon corps ».
La présence du terme « Jéhovah » [2] dans le Nouveau Testament de la Traduction du Monde Nouveau mérite une explication à part entière. Si le tétragramme YHWH est bien présent dans l’Ancien Testament, il n’existe dans aucun manuscrit grec du Nouveau Testament. Toutefois pour les Témoins de Jéhovah, les Écritures ont été falsifiées aux origines du Christianisme : dans un contexte hérétique le tétragramme aurait été effacé du Nouveau Testament au profit de « Seigneur » [3]. En raison de ce qu’ils considèrent donc comme une corruption des textes sacrés, les Témoins de Jéhovah se sont autorisés à remplacer la quasi totalité des occurrences de kurios (κύριος) présentes dans le N.T. par « Jéhovah », soit 237 occurrences [4] (cf. Mt 3, 3 ; Ac 2, 21 ; Ac 7, 60 ; Rm 10, 13 ; 2 Tm 2, 19 ; etc.).
Conséquence : alors que toutes les citations du Nouveau Testament comprenant le terme κύριος concernent essentiellement le Christ, la Traduction du Monde Nouveau biaise le rendu de ces citations pour les reporter sur Dieu le Père, Jéhovah.
Un autre point de divergence très important entre les Témoins de Jéhovah et les chrétiens est celui de l’immortalité de l’âme et de la possibilité d’une damnation éternelle [5]. Là aussi, les versets concernés ont été modifiés en conséquence (cf. Mt 25, 46 ; etc).
Conclusion
Vous l’aurez compris, il s’agissait moins ici de montrer les défauts d’une traduction biblique que d’en démontrer les déviances intentionnelles, celles-ci permettant de défendre une théologie apriori.
Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de ne pas interpréter les Écritures selon une tradition. Les catholiques assument pleinement cet aspect. Les protestants quant à eux, au nom de la sola scriptura, voudraient s’en dédouaner, reconnaissant toutefois que c’est impossible. Pour ce qui est des Témoins de Jéhovah, ils prônent à la fois la supériorité des Écritures sur n’importe quelle tradition, en se réservant simultanément le droit de modifier ces mêmes écrits selon leur… tradition.
Sources documentaires
- Choix du texte critique grec : Novum Testamentum graece, 28ème édition, édité par Nestlé-Aland (NA). Texte en ligne
- Traduction du Monde Nouveau, édition en ligne (04/2014).
- Émile OSTY, La Bible, traduction 1973, Seuil, Lonrai, 2000.
Bibliographie
- Pierre Oddon, Les Saintes Écritures, Traduction du Monde nouveau – une falsification, Diffusion de l’Évangile, Marseille, 1993.
Notes
[1] Au cas où vous souhaiteriez vous adonner à un petit jeu comparatif sur un chapitre de la Bible, nous vous conseillons de vous pencher sur le premier chapitre de l’évangile selon saint Jean. Un cas d’école en la matière.
[2] Le nom de Dieu nous est parvenu sous la forme d’un tétragramme (YHWH ; יהוה). Comme tous les mots de l’A.T. il est uniquement composé de consonnes.
La Septante – transcription grecque de l’Ancien Testament datant du IIIème siècle avant J.C. – rend l’équivalent du tétragramme par « Seigneur » (κύριος, kurios), dans un souci de respect envers le Saint Nom de Dieu.
Les voyelles firent leur entrée dans les Bibles hébraïques avec les juifs Massorètes (texte fixé au XIème siècle après JC).
Au XIXème siècle, des essais de vocalisation conduisirent à modifier le tétragramme en ajoutant des voyelles, ce qui donnera « Jéhovah ». Le terme « Jéhovah » est une fusion du tétragramme YHWH et des voyelles du terme « Adonaï » (Seigneur). « Adonaï » était utilisé par les hébreux à partir de l’Exil pour éviter de prononcer le Nom de Dieu, celui-ci étant invoqué une seule fois par an par le grand prêtre lors du Yom Kippour (cérémonie du « Grand Pardon »).
Au terme « Jéhovah » utilisé dans les anciennes bibles francophones pour transcrire le tétragramme YHWH, les exégètes lui préfèrent aujourd’hui le terme « Yahvé » (ou Yahveh, Iahveh, Jahveh) dont la consonance est plus probable (Bible de Jérusalem, Crampon). Certaines bibles comme la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) remplacent le tétragramme par « SEIGNEUR » en caractère majuscule, ce qui permet de laisser une trace de l’emplacement du tétragramme tout en respectant la sensibilité du peuple hébreu.
[3] La thèse des Témoins de Jéhovah sur le nom de Dieu comporte un enjeu posé sur un paradigme : les premiers chrétiens auraient « effacé » le vrai nom de Dieu (« Jéhovah ») du Nouveau Testament, ce qui aurait entrainé une décadence du christianisme dès les premiers siècles. Il s’agit donc pour les Témoins de rétablir la « vraie religion » par la restauration du supposé vrai nom de Dieu. Les Témoins affirment ainsi leur légitimité contre toutes les « fausses religions » chrétiennes (l’Église catholique en tête).
[4] Selon les affirmations mêmes de l’un des périodiques de la Watchtower : La Tour de Garde, 1 août 2008, pp. 18-23.
[5] À la tête d’un groupe d’« Étudiants de la Bible » aux origines du mouvement, Charles Taze Russell, tourmenté par la possibilité d’une damnation éternelle, préféra opter pour une doctrine comprenant une mortalité pour l’âme, la grâce de Dieu se chargeant de redonner vie aux seuls élus de Dieu.
[6] Bien qu’ils puissent se revendiquer de l’arianisme afin de démontrer l’ancienneté de leur doctrine, il va sans dire que les Témoins de Jéhovah se considèrent comme chrétiens. Cette dénomination leur est habituellement refusées par les autres confessions chrétiennes.
Arius est un prêtre qui vécut au IIIème siècle. Il est à l’origine d’un courant de pensée, l’arianisme, qui prendra une certaine ampleur et sera condamné par le concile de Nicée. La doctrine arienne défend une hiérarchie entre le Père et le Fils, le Fils n’étant donc pas égal au Père.
[7] La doctrine des Témoins de Jéhovah soutient aussi que Jésus et l’archange Michel sont une seule et même entité (cf. « D’après la Bible… Qui est l’ange Mikaël ? », in revue Réveillez-vous !, 8 février 2002, p. 16-17).
[8] Sans tomber dans l’extrême d’une vision nominaliste, comme cette citation placée dans l’incipit d’une traduction le suggère : « Une langue est un filet jeté sur la réalité des choses. Une autre langue est un autre filet. Il est rare que les mailles coïncident » (Maurice CARREZ et François MOREL, Dictionnaire grec-français du Nouveau-Testament, 4ème édition, Labor et fides / Société biblique française, Saint-Armand, 1995, incipit).
[9] Pour prendre un exemple très connu : le mot « amour » en français est très généraliste et peut recouvrir de nombreuses acceptions dans d’autres langues. Le grec est plus précis et pourra donner : l’érôs (ἒρως ; la concupiscence), l’agapè (ἀγάπη ; l’amour divin, inconditionnel et désintéressé), la philia (φιλία ; l’amour d’amitié). Un exemple célèbre : Jn 21, 15-17.