Les réprouvés se sont piégés eux-mêmes en se créant un monde illusoire fondé sur le mensonge. Ils sont entièrement attachés à leurs rêves, comme des drogués. Les désirs qui les habitent ont pour objet une jouissance à eux, complètement indépendante de Dieu. Les démons et les damnés sont des enragés obsessionnels centrés sur eux-mêmes. Inlassablement, ils cherchent à tirer un maximum de plaisir de leurs tendances perverties par l’orgueil et l’égoïsme. Leurs fantasmes déploient un écran impénétrable entre eux et le monde réel voulu par Dieu. Comme ils sont créés pour être élevés par grâce au bonheur divin, ils ne peuvent qu’éprouver un sentiment effrayant de frustration et d’échec.
Trois images évangéliques nous permettent de nous faire une idée de l’état d’esprit qui règne en enfer : le ver, les pleurs, les grincements de dents. Bien sûr, il faut avant tout traduire ces réalités physiques en termes spirituels.
« La géhenne où leur ver ne meurt pas » (Mc 9, 48) : il semble que ce ver rongeur signifie le remords de la conscience morale. Les damnés regrettent de s’être trompés, à cause du malheur qui s’ensuit pour eux. Mais ce remords n’est jamais un véritable repentir. Il n’est que l’auto-accusation de celui qui s’enferme sur lui-même, continuant de refuser toute miséricorde, comme s’il disait sans cesse : « Je ne le pardonnerai jamais. »
« Là seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 13, 42) : les pleurs sont ceux d’un total désespoir devant l’échec définitif de leur vie. Les damnés ne souhaitent qu’une chose, l’anéantissement immédiat ; mais cela leur est impossible. Ils se lamentent d’une agonie continuelle qui les maintient dans l’être malgré eux. « Le damné ne vit pas, il n’est pas mort, mais il meurt sans cesse », écrivait saint Augustin. D’où également la haine, la rage, la révolte frénétique que suggèrent les grincements de dents. En enfer, l’orgueil dévore tout. Ce qui domine, c’est la fureur contre Dieu et le prochain, causée par l’incapacité radicale d’aimer et de se laisser aimer.
Oh ! il y a en enfer des êtres qui demeurent fiers et farouches, malgré leur connaissance incontestable et la contemplation de la vérité inéluctable ; il y en a de terribles, devenus totalement la proie de Satan et de son orgueil. Ce sont des martyrs volontaires qui ne peuvent se rassasier de l’enfer. Car ils se sont maudits eux-mêmes, ayant maudit Dieu et la vie. Ils se nourrissent de leur orgueil irrité, comme un affamé dans le désert se met à sucer son sang. Mais ils sont insatiables aux siècles des siècles et repoussent le pardon. Ils maudissent Dieu qui les appelle et voudraient que Dieu s’anéantît, lui et toute sa création. Et ils brûleront éternellement dans le feu de leur colère, ils auront soif de la mort et du néant. Mais la mort les fuira.