La théologie de la Tradition et son rapport à l’Écriture chez saint Irénée de Lyon
Nous nous proposons d’étudier ici un aspect de la théologie de saint Irénée : sa conception de la Tradition dans le rapport que celle-ci entretient avec l’Écriture. Dans ce domaine les études sur l’Adversus Hæreses avaient rencontré des difficultés, les historiens étant arrivés à des résultats contradictoires [1]. Ces problèmes se sont retrouvés dans la traduction du texte en français [2], il fallut beaucoup de travail pour dégager une approche communément admise.
L’histoire doit tendre à retrouver la démarche profonde et existentielle d’un auteur en cherchant à apprécier la valeur qu’il accorde aux différents matériaux dont il use et à retrouver pourquoi il les a agencés comme il l’a fait » [3].
Aujourd’hui la pensée d’Irénée semble bien dégagée, tout au moins en ce qui concerne notre sujet. Dans le corps de cet exposé nous verrons comment notre auteur articule les concepts d’Écriture et de Tradition entre eux. Nous conclurons par la façon dont l’influence d’Irénée est parvenue jusqu’à nous à travers la constitution dogmatique Dei Verbum.
1. Présentation d’Irénée et contexte d’élaboration de l’Adversus Hæreses
1.1. Irénée : un lion en Gaule
Nous ne nous attarderons pas sur la présentation de ce célèbre Père de l’Église, les seuls éléments que nous avons sur lui proviennent de ses œuvres, les autres sources étant des reprises [4]. Rappelons simplement qu’Irénée (v. 135-202), originaire de Smyrne, a bien connu Polycarpe (v. 81-167), qui lui même fut un disciple de St Jean (?-105) [5], ce qui le place très en avant dans la Tradition de l’Église. Après un séjour à Rome, Irénée est signalé à Lyon en 177 où l’on sait qu’il est « presbytre » à ce moment-là. Il sera le successeur de Potin sur le siège épiscopal lyonnais suite au martyr de ce dernier, faisant ainsi de lui le deuxième évêque de Lyon. On sait qu’il intervint auprès de l’évêque de Rome Victor Ier (189-198) en faveur des évêques d’Asie à propos d’un différend sur la datation de la célébration pascale [6]. Un écrit tardif le présente martyr [7]. Deux ouvrages nous sont parvenus de lui : l’Adversus Hæreses, auquel nous allons recourir, qui est un ouvrage dénonçant la gnose et contre laquelle Irénée propose la doctrine sûre de l’Église, et la Démonstration de la prédication apostolique [8], qui est un bref résumé de la foi chrétienne.
1.2. Quelques traits de la théologie d’Irénée
Irénée est un familier des Écritures, « puisque les Écritures contiennent la révélation du mystère du salut, c’est à elle que va recourir celui qui réfléchit sur la foi » [9]. Il a peu de conceptions philosophiques, sa théologie est donc moins précise mais avec une portée plus symbolique. Tout comme ses prédécesseurs, comme Justin qu’il a lu, il utilise les Testimonia [10] et hérite d’eux sa façon d’interpréter les Écritures. Le cœur de sa pensée est très christologique [11] :
[…] un seul Jésus, notre Seigneur, qui est passé à travers toutes les ‘économies’ et qui a tout récapitulé en lui même. AH III, 16, 6. [12]
Dans la controverse contre les gnostiques, Irénée donnera une place à un aspect relativement important pour nous aujourd’hui : la création matérielle et son devenir, notamment la corporéité [13]. En cela l’évêque de Lyon se situe aussi à contre courant des Pères influencés par le néoplatonisme et pour qui le corps est méprisable. Irénée fut un auteur très lu par les Pères, mais ses écrits seront surtout utilisés par les Pères postérieurs comme citations d’autorité, sa théologie étant délaissée. Au contraire, son œuvre est très d’actualité aujourd’hui, certains auteurs n’hésitant pas à faire de lui le « Père de la théologie chrétienne » [14]. Nous verrons de quelle manière ce Père de l’Église a influencé la rédaction de Dei Verbum pour ce qui est de l’articulation entre Écriture et Tradition.
1.3. Irénée et le défi de la « gnose au nom menteur »
La théologie d’Irénée se développe dans son œuvre maîtresse : l’Adversus Hæreses, ouvrage en cinq volumes composé en réaction aux gnostiques, notamment les valentiniens et les marcionites. Son souci est de défendre la foi de l’Église et son autorité contre les interprétations illégitimes des gnoses chrétiennes, interprétations qui peuvent s’infiltrer dans l’Église et menacer son unité. Face à ce phénomène, Irénée va exposer la manière chrétienne d’approcher les Écritures et la Tradition. Les trois derniers livres de l’Adversus Hæreses développent la manière Traditionnelle d’aborder l’Écriture par l’exemple du Seigneur et des apôtres. Pour défendre la Tradition de l’Église, l’apologète lyonnais a donc recours à l’Écriture, mais celle-ci est elle-même attaquée par les gnostiques. Irénée aura alors à nouveau recours à la Tradition pour qu’elle défende à son tour l’Écriture. La section préliminaire du troisième livre (AH III, Pr. – 5, 3) défendra ce point de vue d’une manière plus explicite. L’Écriture et la Tradition se couvrent donc mutuellement dans la stratégie d’Irénée.
Les gnostiques se targuent d’avoir une connaissance (gnosis) vraie de Dieu et c’est cette connaissance en elle-même qui permet, selon eux, d’accéder au Salut en retrouvant la lumière originelle. L’évêque lyonnais ne conteste pas que l’on puisse avoir une connaissance sur Dieu, mais à la « gnose au nom menteur » il oppose la légitimité de la « gnose vraie » [15] de l’Église. L’illégitimité de la tradition gnostique conduisant à la falsification des Écritures, il faut démontrer l’unité et la cohérence des Écritures pour prendre en défaut les gnostiques qui mettent en doute l’authenticité de passages entiers. Ceux-ci vont même jusqu’à dissocier l’Ancien et le nouveau Testament en opposant le démiurge créateur de l’Ancien Testament et le vrai Dieu sauveur néotestamentaire. Une des taches de l’Adversus Hæreses [16] sera de montrer l’unité des deux Testaments par leur annonce d’un unique et même Dieu, source inspiratrice des Écrits sacrés et fin de toutes choses :
Ce qui les a jetés dans toutes ces aberrations, c’est leur ignorance des Écritures et de l’économie de Dieu. Pour nous, dans la suite de notre traité, nous exposerons le pourquoi de la différence entre les Testaments en même temps que leur unité et leur harmonie. AH III, 12, 12.
1.4. Plan de l’Adversus Hæreses
Si les cinq livres de Saint Irénée ont reçu leur titre assez tôt dans l’histoire sous la dénomination Adversus Hæreses, le titre original était : Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur [17]. L’ouvrage a été écrit en grec mais ne nous est parvenu sous sa forme complète que dans une traduction latine du IVème siècle. Les comparaisons avec les vestiges de fragments grecs ont permis de vérifier la qualité de la traduction latine qui s’est avérée très fidèle. Les livres IV et V nous sont aussi parvenus en arménien. Il existe aussi beaucoup de fragments en syriaque.
Le plan de l’ouvrage se découpe traditionnellement comme suit : le premier livre dresse une présentation des systèmes gnostiques connus et de leurs variantes, le livre II critique la cohérence interne de ces systèmes par la raison [18], les livres III à V réfutent ces systèmes par les Écritures, avec une approche positive de la doctrine de l’Église, les systèmes gnostiques étant rejetés par défaut [19].
Le premier contient leurs doctrines à tous, révèle leurs usages et les particularités de leur comportement ; le second réfute leurs enseignements pervers, les mets à nu, les fait apparaître tel qu’ils sont. Dans ce troisième livre, nous ajouterons des preuves tirées des Écritures. AH III, Pr.
Irénée pensait achever son argumentation avec le livre III, mais l’ampleur de la tache l’amena à composer les livres IV et V [20].
La construction de l’Adversus Hæreses est importante à prendre en compte pour le sujet que nous traitons : le principe d’Irénée est d’appuyer son argumentation sur les prophètes par les commentaires des autorités que sont le Seigneur et les apôtres. Il s’inscrit ainsi lui-même dans cette interprétation de l’Écriture qu’il démontre comme normative. Le livre III est donc une argumentation partant majoritairement des Actes des Apôtres, le livre IV partira des paroles du Seigneur et le livre V se basera sur un complément du Seigneur, des Épîtres de Paul et de l’Apocalypse. Nous avons là une triade « Prophètes, Seigneur, Apôtres » à la base de la réfutation d’Irénée. « Il semble que l’on puisse conclure de cet examen que le dessein d’Irénée, dans son Adversus Hæreses, est de réfuter la gnose par l’Écriture, et donc qu’en conséquence l’Écriture soit pour lui la norme doctrinale fondamentale et essentielle » [21].
2. L’articulation entre Écriture et Tradition chez St Irénée de Lyon
2.1. Rôle de l’Écriture chez St Irénée
Pour comprendre cette articulation entre Écriture et Tradition, nous allons essayer de déterminer l’importance du rôle que joue l’Écriture chez St Irénée. Après avoir fait un relevé statistique de termes clefs [22], André Benoît constate « une disproportion flagrante entre l’emploi des termes Écriture et Tradition. Irénée insiste beaucoup plus sur l’Écriture que sur la Tradition. La première apparaît comme l’autorité essentielle sur laquelle Irénée s’appuie sans cesse et à laquelle il revient toujours. La seconde n’est qu’une autorité occasionnelle, à laquelle Irénée se réfère moins souvent » [23]. L’Écriture est la norme de toute vérité, cette vérité est connue dans les Évangiles sous deux formes : l’une prêchée, l’autre écrite. « Il y a donc deux canaux par lesquels se transmet la vérité : d’une part la Tradition, de l’autre les écrits des apôtres. Et ces deux canaux peuvent prétendre à une égale autorité : le premier par la succession apostolique, le second par la rédaction apostolique » [24]. Contre les gnostiques accusant les Écritures d’êtres corrompues, de manquer de concordance ou d’être apocryphes, Irénée dira :
Cet Évangile, [les apôtres] l’ont d’abord prêché ; ensuite, par la volonté de Dieu, ils nous l’ont transmis dans les Écritures, pour qu’il soit le fondement et la colonne de notre foi. AH III, 1, 1.
Pour l’évêque de Lyon, il est clair en effet que les écrits néotestamentaires se sont formés dans une tradition apostolique, et donc que la Tradition précède chronologiquement l’Écriture [25]. « La distinction de ces deux temps est capitale, car elle montre que la tradition vivante enveloppe l’Écriture » [26]. Cette Tradition, née de la forme prêchée, s’appuie sur la forme écrite, comme le montrera la réfutation par les Écritures des livres III à V de l’Adversus Hæreses.
Au temps d’Irénée, le canon des écrits qui composera le Nouveau Testament n’est pas encore défini. Chez lui, le terme « Écriture » désigne principalement l’Ancien Testament. Mais il ne fait pas de doute pour lui que les écrits néotestamentaires jouissent de la même autorité que l’Ancien Testament. C’est lui le premier qui définira l’évangile tétramorphe [27]. Dans sa controverse avec les gnostiques, il aura recours à la presque totalité des livres qui constitueront le futur canon. Par l’autorité qu’il reconnaît à ces livres, il sera un témoin incontournable du processus de canonisation [28].
2.2. L’Écriture est-elle soumise à la Tradition ?
Mais puisque Irénée se propose de réfuter les gnostiques à partir de l’Écriture, il lui faut démontrer maintenant la véracité de cette dernière par son unité et sa cohérence, car ses adversaires plient l’Écriture au besoin de leur doctrine (υποτἑσις ; argumentum), et la soumettent à leur tradition :
Telle est leur doctrine, que ni les prophètes n’ont prêchée, ni le Seigneur n’a enseignée, ni les apôtres n’ont transmise, et ils se vantent d’avoir reçu la connaissance plus excellemment que tous les autres hommes. Tout en alléguant des textes étrangers aux Écritures et tout en s’employant, comme on dit, à tresser des cordes avec du sable, ils ne s’en efforcent pas moins d’accommoder à leurs dires, d’une manière plausible, tantôt des paraboles du Seigneur, tantôt des oracles de prophètes, tantôt des paroles d’apôtres, afin que leur fiction ne paraisse pas dépourvue de témoignage. Ils bouleversent l’ordonnance et l’enchaînement des Écritures et, autant qu’il dépend d’eux, ils disloquent les membres de la vérité. AH I, 8, 1.
Les gnostiques se permettent même de retrancher des textes de l’Écriture au nom de leur tradition :
Lorsqu’ils [les hérétiques] se voient convaincus à partir des Écritures, ils se mettent à accuser les Écritures elles-mêmes : elles ne sont ni correctes ni propres à faire autorité, leur langage est équivoque, et l’on ne peut trouver la vérité à partir d’elles si l’on ignore la Tradition. AH III, 2, 1.
Ainsi donc, pour les gnostiques, la Tradition est au dessus des Écritures. Mais arrivé à ce stade, en lisant certains passages de l’Adversus Hæreses, on est en droit de se demander si l’Écriture est suffisante pour défendre la foi traditionnelle même chez saint Irénée – certains patrologues soutenaient cette thèse [29]. Le primat des Gaules partagerait alors sur ce point la pensée des gnostiques :
Et à supposer même que les apôtres ne nous eussent pas laissé d’Écritures, ne faudrait-il pas alors suivre l’ordre de la Tradition qu’ils ont transmise à ceux à qui ils confiaient ces Églises ? AH III, 4, 1. [30]
Mais ces exemples sont des cas limites cherchant à mettre en valeur la « Tradition de la vérité » [31] malmenée par les hérétiques, car elle seule est apte à défendre l’Écriture. Les deux passages que l’on vient d’évoquer se trouvent dans le préliminaire du livre III de l’Adversus Hæreses [32], et le but de ce préliminaire est de démontrer la vérité des Écritures par la Tradition [33]. Cette vérité des Écritures est la base de toute la réfutation d’Irénée pour les exposés qui suivront ce préliminaire jusqu’à la fin de son œuvre. C’est pour démontrer la vérité des Écritures qu’Irénée va avoir recours à la Tradition reçue des apôtres.
Telle étant la force de ces preuves, il ne faut donc plus chercher auprès d’autres la vérité qu’il est facile de recevoir de l’Église, car les apôtres, comme un riche cellier, ont amassé en elle, de la façon la plus plénière, tout ce qui a trait à la vérité, afin que quiconque le désire y puise le breuvage de la vie. AH III, 4, 1.
2.3. Traditions gnostiques ou Tradition de l’Église ?
Pour les gnostiques comme pour St Irénée, la Tradition est garante des Écritures, le problème est de démontrer que la Tradition de l’Église est la seule légitime. Les gnostiques prétendent que les apôtres ont eu la pleine révélation des mystères divins après avoir composé les Écritures et la Tradition ecclésiale [34], et c’est comme cela qu’ils justifient une supériorité de la tradition gnostique sur l’Écriture et la Tradition de l’Église :
Mais lorsqu’à notre tour nous en appelons à la Tradition qui vient des apôtres et qui, grâce aux successions des presbytres, se garde dans les Églises, ils [les gnostiques] s’opposent à cette Tradition : plus sages que les presbytres et même que les apôtres, ils ont, assurent-ils, trouvé la vérité pure, car les apôtres ont mêlé des prescriptions de la Loi aux paroles du Sauveur ; et non seulement les apôtres, mais le Seigneur lui-même a prononcé des paroles venant tantôt du Démiurge, tantôt de l’intermédiaire, tantôt de la Suprême puissance ; quant à eux, c’est sans le moindre doute et à l’état pur qu’ils connaissent le mystère secret. AH III, 2, 2.
Irénée ne conteste pas l’utilité de la Tradition mais il oppose la Tradition de l’Église aux traditions gnostiques qu’il considère illégitimes. Il « ne s’oppose pas aux gnostiques parce qu’ils ont élaboré une doctrine, un système, mais parce qu’ils ne l’ont pas fait en conformité avec la doctrine de l’Église » [35]. Dans cette dernière citation d’Irénée que nous venons d’évoquer, nous voyons une allusion à une succession apostolique. La succession apostolique sera l’argument majeur d’Irénée pour établir la seule autorité légitime de la Tradition ecclésiale [36] :
Et nous pourrions énumérer les évêques qui furent établis par les apôtres dans les Églises, et leurs successeurs jusqu’à nous. […] Car ils voulaient que fussent parfais et en tout point irréprochables ceux qu’ils laissaient pour successeurs et à qui ils transmettaient leur propre mission d’enseignement. AH III, 3, 1. [37]
Il va s’agir pour lui de démontrer la succession ininterrompue des évêques successeurs des apôtres et seuls agréés pour la transmission fidèle de la vérité [38]. Le successeur de Potin suit en cela le modèle de succession des empereurs considérés à l’époque comme de droit divin, ce modèle de succession avait force de loi. C’est donc aux apôtres, piliers de la Tradition de l’Église, que l’on doit la transmission de la Tradition dans la succession presbytérale. Cette idée est une constante tout au long du livre III. Remarquons que pour conforter l’autorité de ses propos, Irénée se situe lui-même dans cette Tradition ecclésiale en faisant référence à son lien avec Polycarpe :
Voilà par quelle suite et quelle succession la Tradition se trouvant dans l’Église à partir des apôtres et la prédication de la vérité sont parvenues jusqu’à nous. Et c’est là une preuve très complète qu’elle est une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l’Église, depuis les apôtres jusqu’à maintenant, s’est conservée et transmise dans la vérité. Mais on peut nommer également Polycarpe. Non seulement il fut le disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de gens qui avaient vu le Seigneur, mais c’est encore par les apôtres qu’il fut établi, pour l’Asie, comme évêque dans l’Église de Smyrne. Nous même l’avons vu dans notre jeunesse. AH III, 3, 3-4. [39]
Face à la Tradition de l’Église, Irénée met en lumière la fragilité des traditions gnostiques par la manifestation tardive de leurs doctrines, traduisant ainsi leur illégitimité :
Inventions mensongères, certes, car il n’y eut chez ces derniers ni groupement ni enseignement dûment institués : avant Valentin il n’y eut pas de disciples de Valentin, avant Marcion il n’y eut pas de disciples de Marcion, et aucun des autres tenants d’opinions fausses que nous avons catalogués précédemment n’exista avant que n’apparussent les mystagogues et les inventeurs de leurs perversités […]. C’est à une époque fort tardive, au moment où les temps de l’Église atteignaient déjà leur milieu, que tous ces gens-là se sont dressés dans leur apostasie. AH III, 4, 2-3.
En face de l’unique Tradition de l’Église, Irénée montre la pluralité des traditions gnostiques et constitue « un montage hérésiologique échafaudé dans le but de mettre en évidence le manque d’originalité, et de valeur, de la pensée gnostique » [40]. L’évêque de Lyon jette ainsi un discrédit sur les « sources » et les « racines » [41] des traditions gnostiques.
À l’inverse, la doctrine de l’Église n’est pas liée à une personne à forte notoriété ou à un enseignement reçu, mais cette doctrine se transmet à partir de l’Église, héritière en droit de la tradition apostolique. Si la tradition gnostique est illégitime, l’interprétation qu’elle fait de l’Écriture l’est également. « La Tradition, malgré la place seconde que lui accorde Irénée, joue un rôle théologique important et capital, puisque, dans une certaine mesure, c’est elle qui justifie l’usage de l’Écriture. Elle apparaît comme ‘l’a priori’, le principe pré-théologique qui permet l’élaboration théologique à partir de l’Écriture » [42]. Ce n’est pas Irénée qui élabore le principe de preuve par l’Écriture, l’évêque de Lyon ne fait que reprendre et développer ce que les évangélistes, les apôtres et le Seigneur ont eux-mêmes mis en œuvre : la preuve scripturaire par une exégèse christologique des prophètes. Et c’est ce qu’Irénée s’ingéniera à démontrer dans les livres III à V [43] :
Telle étant donc la manière dont la Tradition issue des apôtres se présente dans l’Église et perdure au milieu de nous, revenons à la preuve tirée des Écritures qui nous vient de ceux d’entre les apôtres qui ont mis par écrit l’Évangile ; à partir de ces Écritures ils ont exposé la doctrine sur Dieu. AH III, 5, 1. [44]
2.4. Vérité de la Tradition
Dans l’œuvre d’Irénée, le thème de la vérité tient une place importante. Comment démontrer l’origine vraie de ces normes que sont l’Écriture et la Tradition ? La vérité est présente dès les origines de l’humanité en se faisant d’abord connaître aux prophètes par le Verbe qui lui donnera sa pleine manifestation lors de son incarnation. La vérité nous provient donc du Christ qui est la vérité incarnée [45]. Les apôtres, « disciples de la Vérité » [46], la répandront dans le monde entier. « Ainsi pour connaître la vérité, il faut nécessairement passer par les apôtres » [47] :
Tu lutteras contre [les gnostiques] avec assurance et détermination pour la seule foi vraie et vivifiante, que l’Église a reçue des apôtres et qu’elle transmet à ses enfants. Le Seigneur de toutes choses a en effet donné à ses apôtres le pouvoir d’annoncer l’Évangile, et c’est par eux que nous avons connu la vérité, c’est-à-dire l’enseignement du fils de Dieu. AH III, Pr.
C’est en effet la succession apostolique qui nous transmet ce qu’Irénée appellera « le charisme de la vérité » :
C’est pourquoi il faut écouter les presbytres qui sont dans l’Église : ils sont les successeurs des apôtres [48], ainsi que nous l’avons montré, et, avec la succession dans l’épiscopat, ils ont reçu le sûr charisme de la vérité selon le bon plaisir du Père. AH IV, 26, 2. [49]
Ce charisme de la vérité découle donc des apôtres en prenant corps dans la succession épiscopale. C’est grâce à lui que la Tradition peut avoir une juste interprétation des Écritures. La notion de charisme empêche aussi d’être tenté par une approche « juridique » de la foi où tout aurait été donné par Dieu dans les temps apostoliques, avec ensuite une institution ecclésiale sans assistance providentielle et permanente de l’Esprit Saint.
D’autre part, dans le livre III, Irénée fustige les gnostiques à propos d’une transgression de leur part de la « règle de vérité ». Il semble évident que pour lui cette règle soit implicitement admise dans la Tradition apostolique :
Chacun d’eux est si foncièrement perverti que, corrompant la règle de vérité, il ne rougit pas de se prêcher lui-même. AH III, 2, 1.
De quoi est-il question ici ? Il faut revenir au premier livre de l’Adversus Hæreses où nous est présentée cette règle pour comprendre ce qui est en jeu :
Pour nous, nous gardons la règle de vérité, selon laquelle « il existe un seul Dieu » tout puissant « qui a tout créé » par son Verbe, « a tout organisé et a fait de rien toutes choses pour qu’elles soient » (…). En gardant cette règle, nous pouvons sans peine, quelque variés et abondants que soient les dires des hérétiques, prouver qu’ils se sont écartés de la vérité. AH I, 22, 1.
Tout le paragraphe se découvre comme un symbole trinitaire et il semble bien que pour Irénée ce symbole soit une norme incontournable de la foi reçue des apôtres pour élaborer une doctrine ou vérifier son authenticité. Ces symboles sont nombreux dans l’Adversus Hæreses [50]. De même que l’on a reçu par la Tradition la manière d’interpréter l’Écriture, c’est encore par elle que l’on reçoit la règle de la vérité, ancêtre de notre credo. Alors que pour Justin la référence aux apôtres est vague, Irénée sera le premier Père à donner une importance essentielle à la Tradition apostolique dont le symbole en sera comme un résumé.
Conclusion :
Et aujourd’hui ? Irénée et Dei Verbum
La constitution dogmatique Dei Verbum sur la révélation divine de Vatican II semble avoir fortement été influencée par Irénée dont la doctrine bénéficiait à ce moment là d’un regain d’intérêt depuis le XIXème siècle. En sortie de cet exposé, nous allons essayer de reconnaître les interactions entre l’Adversus Hæreses et Dei Verbum concernant les thèmes que nous avons abordés.
L’unité de l’Écriture
Dans une formulation augustinienne, dont l’idée de fond peut aussi être partagée avec celle de St Irénée, le concile Vatican II sanctionnera l’unité des deux Testaments en réaffirmant la nécessité d’une unique source provenant de Dieu, comme dans la controverse avec les gnostiques :
Dieu donc, inspirateur et auteur des livres des deux Testaments, s’y est pris si sagement que le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien, et que l’Ancien devenait clair dans le Nouveau. DV 16. [51]
Mais surtout, le concile insistera sur le fondement de la prédication apostolique sur l’Ancien Testament, et donc du rapport intime entre Ancien et Nouveau Testament, puisque cette prédication apostolique a été mise par écrit. Nous avons là une référence explicite à une conception irénéenne de la part de Dei Verbum :
Les livres entiers de l’Ancien Testament utilisés dans la prédication évangélique acquièrent et présentent dans le Nouveau Testament leur signification complète, et réciproquement l’éclairent et l’expliquent. DV 16.
Irénée et la théorie des deux sources
La formulation d’un décret du concile de Trente de 1546, le Décret sur la réception des livres saints et des traditions [52], laissa une ouverture à une interprétation erronée qui prendra le nom de « théorie des deux sources » : les théologiens soutenant cette théorie percevaient les Écritures et la Tradition comme deux principes dissociés. Cette théorie divisa fortement les théologiens entre eux et il faudra attendre le concile Vatican II avec Dei Verbum pour mettre un terme à cette dispute. À la suite de St Irénée qui avait promulgué l’idée d’un unique Dieu auteur des deux testaments, une des réponses apportées à la problématique fut l’affirmation d’une unique source divine que nous qualifierons « d’ontologique » [53] pour ces deux sources « normatives » que sont la Tradition et l’Écriture :
La Tradition sacrée et la Sainte Écriture possèdent donc d’étroites liaisons et communications entre elles. Toutes deux, en effet, découlant de la même source divine, se réunissent, peut-on dire, en un seul courant, et tendent à une même fin. DV 9.
Le texte du concile Vatican II ne peut ainsi plus être interprété de manière à rendre la Tradition indépendante de l’Écriture, comme on a pu le faire pour les textes des conciles de Trente ou de Vatican I. Il est clair désormais que la Tradition possède une base scripturaire provenant des Écritures saintes et que les Écritures ne peuvent êtres comprises que par la Tradition dans laquelle elles ont été rédigées [54] :
Il est donc évident que la Tradition sacrée, la sainte Écriture et le Magistère de l’Église sont entre eux, selon le sage dessin de Dieu, tellement liés et associés, qu’aucun d’eux n’a de consistance sans les autres. DV 10.
La succession apostolique et le charisme de la vérité
Enfin, pour Dei Verbum comme pour l’Adversus Hæreses on conserve le thème de « charisme de la vérité », associé nécessairement à celui de « succession épiscopale » [55]. Seul ce charisme, découlant de l’assistance permanente de l’Esprit Saint, garantit une juste et féconde interprétation des Écritures :
Cette tradition qui vient des Apôtres se développe dans l’Église sous l’assistance du Saint-Esprit : grandit en effet la perception des choses et des paroles transmises, par la contemplation et l’étude qu’en font les croyants qui les gardent dans leur cœur, par la proclamation qu’en font ceux qui avec la succession épiscopale ont reçu un charisme assuré de la vérité. DV 8.
Un Père pour la postérité
Nous le voyons, la théologie profondément scripturaire d’Irénée n’a pas été sans influence sur nous dans une approche renouvelée de l’Écriture et de la Tradition, ce qui fera dire encore très récemment à Benoît XVI à qui nous laisserons le dernier mot :
La Tradition apostolique est ainsi appelée car elle est née du témoignage des Apôtres et de la communauté des disciples au temps des origines, elle a été consignée sous la direction de l’Esprit Saint dans les écrits du Nouveau Testament et dans la vie sacramentelle, dans la vie de foi, et c’est à elle – à cette Tradition, qui est toute la réalité toujours actuelle du don de Jésus – que l’Église se réfère constamment comme étant son fondement et sa norme, à travers la succession ininterrompue du ministère apostolique. […] Celle-ci n’est pas la simple transmission matérielle de ce qui fut donné au début aux apôtres, mais la présence efficace du Seigneur Jésus, crucifié et ressuscité, qui accompagne et guide dans l’Esprit la communauté qu’il a rassemblée. [56]
Notes
[1] Cf. André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée » in Revue d’histoire et de philosophie religieuse n° 40, Paris, 1960, p. 32.
[2] Cf. une étude très intéressante parue dans un article de : Bernard Sesboüé, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée, À propos d’un texte difficile d’AH III » in Nouvelle revue théologique n° 103, Paris, 1981, p. 872-887.
[3] André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 32.
[4] Cf. Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livres V – VII, trad. fr. Gustave BARDY, Sources Chrétiennes n° 41, Cerf, Paris, 1955, V.
[5] Une polémique existe sur la date de la mort de St Jean : certains historiens font remonter la mort de St Jean en 66, faisant de lui un martyr de Jérusalem, ce qui rendrait donc caduc le témoignage de Polycarpe.
[6] Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, op. cit., V, 24.
[7] A. ORBE, « Irénée » in Angelo Di Bernardino, dir., adaptation fr. François Vial, dir., Dictionnaire Encyclopédique du Christianisme Ancien, 2 tomes, Cerf, Belgique, 1990, p. 1231.
[8] Irénée de Lyon, Démonstration de la prédication apostolique, trad. fr. L. FROIDEVAUX, Sources Chrétiennes n° 62, Cerf, Paris, 1974.
[9] Jacques FANTINO, o. p., La théologie d’Irénée, Cogitatio fidei, Cerf, Paris, 1994, p. 28.
[10] « Testimonia » : Ces écrits judéo-chrétiens, aujourd’hui disparus, servaient à l’interprétation de l’Écriture avant même la composition du N. T. Les recueils étaient composés de citations bibliques et midrash classés par thèmes ou mots clefs. Des tentatives de recomposition de ces recueils sont en cours grâce à une critique textuelle poussée des écrits apostoliques et apologétiques.
[11] Cf. l’ouvrage de Bernard Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ, Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Desclée, Paris, 2000.
[12] Sauf mention contraire, la traduction de l’Adversus Hæreses utilisée pour les citations est la suivante : Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, nouvelle édition, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, Sagesses Chrétiennes, Cerf, Paris, 2001. Cette traduction est une révision (légère) de l’édition dont elle est directement inspirée : Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, livre III, t. 1, Texte et traduction, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, et Louis Doutreleau, s. j., Sources Chrétiennes n°211, Cerf, Paris, 1974.
[13] Contre les gnostiques qui divisent l’humanité en trois catégories d’hommes (les charnels, les psychiques et les pneumatiques), Irénée opposera une conception tripartite de l’homme corps, âme et esprit, pour montrer à ses adversaires que le corps fait partie intégrante de l’homme et que l’on ne peut le mépriser. Cf. Bernard Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ, Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Desclée, Paris, 2000, p. 93s.
[14] L. Regnault cité par Jacques Fantino, o. p., La théologie d’Irénée, op. cit., p. 8-9. Cf. aussi Jacques Fantino, o. p., in Irénée de Lyon, Connaissance des Pères de l’Église n° 82, Nouvelle Cité, Mortagne-au-Perche, 2001, p. 9-10.
[15] AH IV, 33, 8 : « C’est une connaissance vraie, comportant : l’enseignement des apôtres ; l’organisme originel de l’Église répandu à travers le monde entier ; la marque distinctive du corps du Christ, consistant dans la succession des évêques auxquels les apôtres remirent chaque Église locale ». Cf. AH III, 5, 1.
[16] Cf. AH IV, 1, 1 – 5, 19, 3.
[17] Titre en grec : « Ελεγκοη και ανατροφ θη υευδωνυ μου γνωσεωη ». AH IV, Pr. 1. Comparer avec Jacques FANTINO, o. p., Irénée de Lyon, op. cit., p. 3.
[18] AH II, Pr. 2 : « Dans ce présent livre, nous traiterons seulement de ce qui nous est utile, selon que le temps le permettra, et nous réfuterons, sur ses points fondamentaux, l’ensemble de leur système ».
[19] Jacques Fantino donne une variante intéressante du plan traditionnel de l’Adversus Hæreses : hormis quelques réfutations rationnelles, le livre II tendrait plutôt à démontrer le fondement des systèmes gnostiques sur les Écritures seules. À partir de là, les livres III à V effectuant une tentative de réfutation à partir des Écritures, les systèmes gnostiques s’écrouleraient sans recours. Cf. : Jacques FANTINO « Irénée de Lyon (vers 140-200) sa vie son œuvre » in Irénée de Lyon, op. cit., p. 4-5.
[20] AH III, 25, 7 : « Nous remettons au prochain livre le soin d’apporter les paroles du Seigneur pour compléter ce qui vient d’être dit ».
[21] André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 35.
[22] Termes clefs : « paradosis, paradidonai, traditio, tradere, graphè, scriptura ».
[23] André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée » art. cit., p. 34.
[24] Ibid, p. 39.
[25] Cf. Gilbert NARCISSE, o. p., Premier pas en théologie, Parole et Silence, Toulouse, 2005, p. 330.
[26] Bernard SESBOÜÉ, Tout récapituler dans le Christ, Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Desclée, Paris, 2000, p. 44.
[27] Cf. AH III, 11, 8.
[28] Cf. André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 18.
[29] Cf. Van den Eynde, E. Flesseman, cité par André Benoît, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 32, n. 1.
[30] AH III, 4, 2 : « [Les barbares] possèdent le salut, écrit sans papier ni encre par l’Esprit dans leurs cœurs, et ils gardent scrupuleusement l’antique Tradition. […] Ainsi, grâce à l’antique tradition des apôtres, rejettent-ils jusqu’à la pensée de l’une quelconque des inventions mensongères des hérétiques ».
[31] Cf. AH III, 4, 1.
[32] Cf. Ibid, Pr. – 5, 3.
[33] Remarquons ici que le titre ajouté dans la traduction des Sources Chrétiennes concernant le préliminaire du livre III était auparavant intitulé : « La tradition des apôtres » (cf. F. Sagnard, o. p., Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1952). Dans une édition critique plus récente du texte, ce titre sera avantageusement remplacé par : « La vérité des Écritures » (cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, livre III, t. 1, Texte et traduction, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, et Louis Doutreleau, s. j., Sources Chrétiennes n°211, Cerf, Paris, 1974). Cf. Bernard SESBOÜÉ, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée, À propos d’un texte difficile d’AH III », art. cit., p. 872-887.
[34] AH 1, 1 : « Il n’est pas non plus permis de dire qu’ils [les apôtres] ont prêché avant d’avoir reçu la connaissance parfaite, comme osent le prétendre certains, qui se targuent d’être les correcteurs des apôtres ».
[35] Jacques FANTINO, o. p., La théologie d’Irénée, op. cit., p. 17, n. 20.
[36] Cf. AH III, 3, 1-3. A propos de la succession apostolique, André Benoît ( « Résumé des discutions », d’après les notes prises par B. Keller et J.-M. Hornus, in Revue d’histoire et de philosophie religieuse n° 40, Paris, 1960, p. 44) fait une distinction entre Tradition et Succession chez St Irénée. Pour lui la Tradition garde le dépôt de la foi mais l’institution humaine aurait tendance à surajouter au cours du temps des éléments contraires à la foi. Nous voyons bien toute l’importance que ce débat peu prendre dans les forums de discutions œcuméniques.
[37] Notons aussi dans ce même texte qu’Irénée reconnaît la légitimité d’une tradition ecclésiale par son attachement à l’Église de Rome : « avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église ». Ibid, 3, 2.
[38] Irénée ne parle pas des différentes formes de successions épiscopales antérieures au IIème siècle comme la succession sous forme collégiale. Il semble que pour lui la succession épiscopale sous sa forme individuelle remonte aux apôtres (Cf. Jacques Fantino « Irénée de Lyon (vers 140-200) sa vie son œuvre » in Irénée de Lyon, op. cit., p. 6. Pour avoir un aperçu des problématiques posées sur la succession épiscopale).
[39] Cf. AH IV, Pr.
[40] Madeleine SCOPELLO « Irénée et les Gnostiques » in Irénée de Lyon, Connaissance des Pères de l’Église n° 82, Nouvelle Cité, Mortagne-au-Perche, 2001, p. 15. Cf. AH III, 4, 3.
[41] Cf. AH I, 22, 2.
[42] André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 37.
[43] Cf. Bernard SESBOÜÉ, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée, À propos d’un texte difficile d’AH III », art. cit., p. 886.
[44] Pour ce passage nous avons préféré la trad. fr. de B. Sesboüé, différente essentiellement sur ce point de celle de A. Rousseau : « … qui ont mis par écrit l’Évangile, Écritures dans lesquelles ils ont consigné leur pensée sur Dieu ». Pour la critique textuelle cf. Ibid, p. 872-873.
[45] AH III, 5, 1 : « [Les apôtres] ont exposé la doctrine sur Dieu. Or ils y ont bien fait voir que notre Seigneur Jésus-Christ est la Vérité et qu’il n’y a pas de mensonge en lui », trad. fr. Bernard Sesboüé, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée, À propos d’un texte difficile d’AH III », art. cit., p. 873.
[46] AH III, 5, 1.
[47] André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée », art. cit., p. 38.
[48] Comparer avec la trad. fr. de Jacques Fantino, o. p., La théologie d’Irénée, op. cit., p. 35 : « ils possèdent la succession à partir des apôtres ». Texte lat. : « his qui successionem habent ab apostolis ».
[49] Suite du texte : « Quant à tous les autres, qui se séparent de la succession originelle, quelle que soit la façon dont ils tiennent leurs conventicules, il faut les regarder comme suspects : ce sont des hérétiques à l’esprit faussé, ou des schismatiques pleins d’orgueil et de suffisance, ou encore des hypocrites n’agissant que pour le lucre et la vaine gloire. Tous ces gens se sont égarés loin de la vérité ».
[50] Citons un exemple particulièrement intéressant par rapport au Symbole des Âpôtres tel que nous le connaissons aujourd’hui : « Et ils [les barbares] gardent scrupuleusement l’antique Tradition, croyant en un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu’il renferme, et au Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui, à cause de son surabondant amour pour l’ouvrage par lui modelé, a consenti à être engendré de la Vierge pour unir lui-même par lui-même l’homme à Dieu, qui a souffert sous Ponce Pilate, est ressuscité et a été enlevé dans la gloire comme Sauveur de ceux qui seront sauvés et Juge de ceux qui seront jugés »…. AH III, 4, 2.
[51] La traduction de Dei Verbum utilisée pour les citations est la suivante : Concile Vatican II, Dei Verbum, trad. fr. M. le chanoine G. Blond et R. P. Y. Congar, o. p., in Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, Canada, 2001.
[52] Concile de Trente, 4ème session, « Décret sur la réception des livres saints et des traditions », in Denzinger, Symbole et définition de la foi catholique, Cerf, Paris, 1996, n° 1501. Cf. Gilbert Narcisse, o. p., Premier pas en théologie, Parole et Silence, Toulouse, 2005, p. 325-326.
[53] J’ai opéré une distinction entre « sources ontologiques » et « sources normatives » pour mettre en évidence les débats postconciliaires à Vatican II sur la définition du mot « source ». Henri DE LUBAC, s. j., La révélation divine, Traditions chrétiennes, Cerf, Paris, 1983, p. 177 : « Or, par un contresens apparemment incroyable, on a opposé ici Vatican II à Trente, en disant que Vatican II n’admet plus qu’une seule source là où Trente en reconnaissait deux, et de surcroît, que cette unique source, c’est l’Écriture. Ce sont là deux erreurs ». H. de Lubac précisera qu’au sens ontologique du terme, il ne peut y avoir qu’une seule source, Ibid p. 177 : « La révélation vient de Dieu, manifesté et agissant dans le Christ ».
[54] Henri DE LUBAC, s. j., La révélation divine, Traditions chrétiennes, Cerf, Paris, 1983, p. 173 : « La Tradition est toujours mentionnée avant l’Écriture, afin de respecter l’ordre chronologique, puisque, à l’origine de tout, il y a ‘cette Tradition qui vient des apôtres’, et puisque c’est déjà au sein d’une communauté déjà constituée que les Livres saints ont été composés ou reçus ».
[55] DV 8 : « Pour que l’Évangile fut gardé à jamais intact et vivant dans l’Église, les Apôtres ont laissé comme successeurs les évêques, auxquels ‘ils ont transmis leur propre charge d’enseignement’ ». Ce texte fait explicitement référence à AH III 3, 1.
[56] BENOÎT XVI, Audience générale du mercredi 26 avril 2006, texte intégral de la catéchèse, trad. fr. Zenit, Liberia Editrice Vaticana, 2006.
Bibliographie
Voici les références complètes des documents utilisés pour ce texte. Dans les notes, l’Adversus Hæreses et Dei Verbum sont référencés respectivement par AH et DV. La citation par défaut de l’Adversus Hæreses est celle de la collection Sagesse Chrétienne de 2001 qui diffère légèrement de l’édition de 1974 en Source Chrétienne du même traducteur.
Sources
- Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, nouvelle édition, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, Sagesses Chrétiennes, Cerf, Paris, 2001.
- Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, livre III, t. 1, Texte et traduction, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, et Louis Doutreleau, s. j., Sources Chrétiennes n°211, Cerf, Paris, 1974.
- Irénée de Lyon, Démonstration de la prédication apostolique, trad. fr. L. Froidevaux, Sources Chrétiennes n° 62, Cerf, Paris, 1974.
- Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, trad. fr. Annie Jaubert, Sources Chrétiennes n° 167, Cerf, Paris, 1971.
- Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, trad. fr. B. Botte, o. s. b., Sources Chrétiennes n° 11 bis, Cerf, Paris, 1968.
- Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livres V – VII, trad. fr. Gustave Bardy, Sources Chrétiennes n° 41, Cerf, Paris, 1955.
- Concile Vatican II, Dei Verbum, trad. fr. M. le chanoine G. Blond et R. P. Y. Congar, o. p., in Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, Canada, 2001.
Commentaires
- André BENOÎT, « Écriture et Tradition chez Saint Irénée » in Revue d’histoire et de philosophie religieuse n° 40, Paris, 1960, p. 32-43.
- BENOÎT XVI, Audience générale du mercredi 26 avril 2006, texte intégral de la catéchèse, trad. fr. Zenit, Liberia Editrice Vaticana, 2006.
- Henri DE LUBAC, s. j., La révélation divine, Traditions chrétiennes, Cerf, Paris, 1983.
- Angelo DI BERNARDINO, dir., adaptation fr. François Vial, dir., Dictionnaire Encyclopédique du Christianisme Ancien, 2 tomes, Cerf, Belgique, 1990.
- Jacques FANTINO, o. p., La théologie d’Irénée, Cogitatio fidei n°180, Cerf, Paris, 1994.
- Gilbert NARCISSE, o. p., Premier pas en théologie, Parole et Silence, Toulouse, 2005.
- Adelin ROUSSEAU, moine de l’abbaye d’Orval, et Louis Doutreleau, s. j., Contre les hérésies, livre III, t. 1, Introduction, notes justificatives et tables, Sources Chrétiennes n° 210, Cerf, Paris, 1997.
- Bernard SESBOÜÉ, Tout récapituler dans le Christ, Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Desclée, Paris, 2000.
- Bernard SESBOÜÉ, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée, À propos d’un texte difficile d’AH III » in Nouvelle revue théologique n° 103, Paris, 1981, p. 872-887.
- Collectif, Irénée de Lyon, Connaissance des Pères de l’Église, n. 82, Nouvelle Cité, Mortagne-au-Perche, 2001.