Le mal existe. Il fait scandale. Qu’il soit provoqué par des cataclysmes naturels, qu’il résulte des carences ou des égoïsmes humains, le malheur, surtout quand il frappe des innocents, suscite toujours étonnement et indignation. Au sentiment de fatalité s’ajoute celui d’une révolte. Pourquoi ? A qui la faute ? Dieu serait-il le responsable tout désigné du mal qui survient dans notre monde ?
Le C.E.C n’ignore ni la réalité du mal qui donne à la création son visage de violence et de détresse, ni le réflexe spontané d’un besoin de comprendre qui, faute d’explication, en rejette la responsabilité sur le Créateur. Le chrétien ne saurait s’en tenir à une attitude de procès. C’est dans la Révélation qu’il puise les assurances en mesure d’apporter la réponse au scandale du mal. Cette réponse, il faut la chercher dans la foi au mystère du Christ, Fils de Dieu, victime innocente sur la Croix du péché des hommes.
Présence du mal
C’est une évidence : le mal existe. D’où vient-il (C.E.C § 385) ? Il implique une question « aussi pressante qu’inévitable, aussi douloureuse que mystérieuse » (C.E.C § 309). « La foi en Dieu peut être mise à l’épreuve par l’expérience du mal et de la souffrance ». Dieu semble absent (C.E.C § 272).
Il n’y a pas « de réponse rapide » à cette question. « C’est l’ensemble de la foi chrétienne qui constitue la réponse… Il n’y a pas un trait du message chrétien qui ne soit pour une part une réponse à la question du mal » (ibid.).
Du mal physique, qui tient au « devenir » d’une création en marche vers sa perfection (C.E.C §§ 310, 302), se distingue le mal moral qui tient au péché et qui « est grave » (C.E.C § 311).
« Présent dans l’histoire de l’homme » (C.E.C § 386) depuis les origines (C.E.C § 388), le péché a « envahi » et « inondé » ce monde. Il est « universel » (C.E.C § 401). A cette présence universelle du mal et du péché dans la création, on a cru fournir des explications. L’une a recours à la dualité de deux principes qui s’opposent depuis le commencement : le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres (C.E.C § 285).
Un tel dualisme n’est pas compatible avec la foi au Dieu créateur de l’univers (C.E.C § 286). Il ne faut pas le confondre non plus avec ce que l’Évangile nous apprend de celui que Jésus désigne comme le Père du mensonge, « l’homicide dès l’origine » (Jn 8, 44) [C.E.C § 394]. Il s’agit ici du démon, le « Mauvais » (C.E.C § 2851), dont l’influence et le pouvoir de séduction ne sont niables ni sur les personnes ni sur la société, mais qui ne sauraient être mis en parallèle avec la souveraineté du Créateur (C.E.C § 395).
Une création inachevée
La pensée chrétienne, nourrie des Livres saints, ne saurait identifier la Toute-Puissance de Dieu avec un pouvoir aveugle sur l’existence des créatures (C.E.C § 271-272). Il faut comprendre d’abord que « la création n’est pas sortie tout achevée des mains du Créateur » (C.E.C § 302). Il a confié aux hommes la « responsabilité de soumettre la terre et de la dominer » (C.E.C § 307,373). Ils sont comme les « intendants » de Dieu. Il y a ainsi comme une « seigneurie de l’homme sur la création » qui légitime la recherche scientifique et la technique (C.E.C § 2293-2294).
Surtout, il faut considérer que « Dieu ne donne pas seulement à ses créatures d’exister, mais aussi la dignité d’agir elles-mêmes » (C.E.C § 306). Elles « doivent cheminer vers leur destinée ultime par choix libre » (C.E.C § 311). La liberté dont l’homme a été doté implique pour lui « la possibilité de choisir entre le bien et le mal » (C.E.C § 1730-1732).
Devenant « esclave du péché » (C.E.C § 1733), l’homme peut faire échec à Dieu. Mais Dieu respecte cette liberté (C.E.C §§ 387,311). Il n’est, « ni directement, ni indirectement, la cause du mal moral » (ibid.).
C’est donc dans la foi, et la foi seule, que le chrétien qui, comme tout homme, est soumis à l’épreuve du péché et du malheur, peut leur donner sens (C.E.C § 312). Il apprend que rien n’est fatal ni irrémissible. La souffrance humaine qui naît de la détresse physique et qui meurtrit les innocents eux-mêmes est-elle plus injuste que la passion et la mort du Christ, victime innocente sur la Croix (C.E.C § 601) ? Le chrétien sait aussi que toute souffrance reçoit de celle du Christ la valeur de rédemption pour le péché des hommes (C.E.C §§ 618,1506).
En définitive, le mystère du mal, dont il ne faut pas nier qu’il est pour beaucoup une pierre d’achoppement sur le chemin de la foi, ne peut s’éclairer qu’à la lumière de la Révélation qui présente dans sa globalité le dessein de salut voulu par Dieu et accompli par le Christ (C.E.C §§ 616,411-412).
Donner sens à la souffrance
La réflexion sur le problême du mal serait incomplête si elle ne s’achevait par une double considération : celle de la place que tient la souffrance en toute vie humaine (C.E.C §§ 1500-1501), et celle de la prière pour « ne point succomber à la tentation et être délivré du mal » (C.E.C §§ 2846,2850).
La souffrance se révèle avec des visages multiples. Elle donne à l’homme le sentiment « de son impuissance, de ses limites et de sa finitude » (C.E.C § 1500). Pas moins que les autres, le chrétien n’est soustrait à l’épreuve qui peut « conduire à l’angoisse, au repliement sur soi ; parfois même au désespoir et à la révolte contre Dieu » (C.E.C § 1501). Mais au regard purifié de la foi, il rejoint en sa peine le Christ solitaire et abandonné, offert en victime sur la Croix. Convié par Lui à porter sa croix (Mt 10, 38), il se sait associé à son mystère de compassion et de rédemption (C.E.C §§ 604, 618, 1506).
Enfin, il y a la prière. C’est le Seigneur qui, enseignant le Notre Père à ses disciples, a formulé les deux dernières demandes qui sollicitent la grâce de nous libérer et de nous délivrer de cet empire du mal qui ne cesse de nous séduire et de nous violenter. Cette prière, Il l’a Lui-même adressée à son Père : « Je ne Te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais » (Jn 17, 15 ; voir C.E.C § 2850).
Terminons par cette belle formule du CEC :
Dans cette ultime demande, I’Église porte toute la détresse du monde devant le Père. Avec la délivrance des maux qui accablent l’humanité, elle implore le don précieux de la paix et la grâce de l’attente persévérante du retour du Christ (C.E.C § 2854).