Qui dit « affinité », dit histoire commune et participation au même dessein. Les sacrements de l’initiation chrétienne « fondent la vocation commune de tous les disciples du Christ, vocation à la sainteté et à la mission d’évangéliser le monde » (CEC n. 1533). Le sacrement de mariage, non seulement confère les grâces nécessaires à chaque pèlerin sur la terre, mais est ordonné au salut d’autrui. C’est à travers le service de l’autre, l’époux et les membres de toute la famille que chacun chemine vers son Dieu (n. 1534). Déjà « consacrés par le Baptême et la Confirmation pour le sacerdoce commun des fidèles », les chrétiens peuvent recevoir des « consécrations particulières » (n. 1535). « Les époux chrétiens, pour accomplir dignement les devoirs de leur état, sont fortifiés et comme consacrés par un sacrement spécial (GS n 48, 2) » (n. 1535).
Nous aborderons tour à tour l’unité du don manifestée plus particulièrement dans le Baptême, l’Eucharistie et le Mariage. Ces trois sacrements ne participent-ils pas au même mystère nuptial ?
Toute la vie chrétienne porte la marque de l’amour sponsal du Christ et de l’Église. Déjà le Baptême, entrée dans le Peuple de Dieu, est un mystère nuptial : il est, pour ainsi dire, le bain des noces qui précède le repas des noces, l’Eucharistie. Le mariage chrétien devient à son tour signe efficace, sacrement de l’alliance du Christ et de l’Église. Puisqu’il en signifie et communique la grâce, le mariage entre baptisés est un vrai sacrement de la Nouvelle Alliance (CEC n. 1617).
De plus, ils sont étroitement unis l’un à l’autre dans la réflexion des fiancés et la préparation de la célébration liturgique du mariage [1]. Nous soulignerons également le lien entre le mariage, la réconciliation et le sacerdoce ministériel.
I. Le baptême et le mariage
1.1. Une « continuité nuptiale »
Le sacrement de mariage est précédé par la grâce baptismale et fondé sur elle comme toute la vie chrétienne [2]. Réfléchir le lien des deux sacrements nous permet d’éclairer l’un par l’autre et de souligner avec plus de clarté la nouveauté apportée par le Christ.
Par le Baptême, l’être humain est plongé dans l’acte pascal du Christ. L’homme passe par la mort et la résurrection du Christ : il peut renaître à la vraie vie. L’homme revêt ainsi le Christ. « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Rom 6, 3). L’homme déjà être-de-don, y devient « don » à la mesure du Christ, grâce à l’habitation de l’Esprit Saint, le Don incréé. Ainsi les paroles et les gestes du baptisé sont-ils intimement renouvelés, élevés, transfigurés. Le spécifique du baptisé est l’union intime de son être avec celui du Christ, union qui transforme tous ses faits et gestes.
Dans le passage de l’épître aux Ephésiens sur le « grand mystère » (mysterium), l’Apôtre rappelle la signification nuptiale du baptême. Le lien entre mariage et baptême y est explicite. Dans le Baptême et par le don de l’Esprit Saint, le Christ purifie son Épouse et se la donne à lui-même « sainte et immaculée ».
Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle ; il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable (Ep 5, 25-28).
Par le baptême, l’homme et la femme sont incorporés à l’Église, à l’Épouse sans tache. Chacun, avant toute détermination d’un état de vie, est déjà vis-à-vis du Christ dans une relation sponsale : le baptême nous conjoint à l’Epoux de l’Église et de chacun de ses membres. Nous avons déjà manifesté antérieurement ce caractère nuptial et marial de l’Église. Cette union au Christ, à son Acte de salut, atteint chaque baptisé jusque dans son corps :
Le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps… Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? (1 Co 6, 13 et 15).
L’union au Christ engage le corps. Saint Paul l’exprime encore à travers ce violent contraste :
J’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituées, certes non. Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne feront qu’une seule chair. Celui qui s’unit au Seigneur au contraire, n’est avec lui qu’un seul esprit (1 Co 6, 15-17).
La place du corps n’est pas insignifiante puisque chacun se découvre donné à lui-même et aux autres en son corps [3]. Ce don reçu est à la fois le germe, la racine, les prémices et le gage de la donation de tout homme.
C’est dans le corps que j’ai accueilli Dieu et le monde. C’est dans le corps, en me donnant jusqu’à la mort, que je puis me livrer à autrui et à Dieu selon l’appel qui m’est fait. Il n’y a pas d’autres lieux où je puis exister. L’immortalité de l’âme et la résurrection le confirment encore. C’est dans le corps que j’ai été donné à moi pour l’éternité, c’est par le corps que je puis aimer. Et sans donner la vie jusqu’à la dernière goutte de sang, je ne puis accéder à Dieu. La vision de Dieu est un acte par lequel le corps se livre tout entier comme il se reçoit tout entier le jour où il a été créé par Dieu » [4].
Par le baptême, l’homme et la femme appartiennent au Christ jusque dans leur corps. Ils ne s’appartiennent plus à eux-mêmes. Ils sont au Christ. Leur corps ne leur appartient plus. Il faut donc que le Christ lui-même donne les conjoints l’un à l’autre et livre à chacun le corps de l’autre comme Lui-même a livré son corps. L’œuvre du mariage se réalise de telle sorte que le don mutuel des conjoints par la grâce baptismale soit et devienne don au Christ. Ainsi l’union conjugale par la grâce baptismale peut être union au Corps du Christ. Le réalisme nuptial du baptême conduit au signe sacramentel du mariage. Le Christ s’est donné nuptialement à l’homme dans le baptême. Il continue à se donner et à « établir » les hommes dans cette dynamique du don mutuel.
Croire en l’autre, le conjoint, c’est déjà croire en l’Autre, Dieu même, qui se profile à travers ce sacrement : Dieu est le paradis que l’autre annonce prophétiquement, et voile en même temps derrière le sacrement. Croire en Dieu, c’est laisser la grâce du Christ en chaque conjoint donner toute sa confiance en l’autre. Non pas que l’autre la mérite déjà totalement, mais afin qu’il la mérite, et cela à travers les bons comme les mauvais jours [5].
Cette « continuité » entre les deux sacrements manifeste l’initiative de Dieu. Dieu se donne à connaître à travers le don de son Fils. L’acte pascal est nuptial et il engendre à une vie nouvelle. Cette transformation du don humain est un travail de divinisation. Elle établit les époux dans la charité du Christ qui se donne. C’est de son élan qu’ils peuvent s’aimer, se donner et se recevoir grâce au Christ.
Le mariage est une vocation. Il est la réponse à un appel spécifique. Il n’est pas simplement le résultat naturel du développement des relations entre un homme et une femme. Il est plutôt la réponse à Dieu, invitant à donner une expression adulte à la vocation chrétienne reçue dans le baptême, accrue et fortifiée dans la confirmation, et nourrie à la table de l’eucharistie. C’est la réponse à l’appel de Dieu à donner une forme adulte spécifique à la vie du Christ en chacun (cf. LG 11, 1) [6].
1.2. Une mission confiée
L’union personnelle des deux baptisés avec le Christ se spécifie dans la grâce matrimoniale comme une mission particulière. « En leur état de vie et dans leur ordre, ils ont ainsi dans le peuple de Dieu leurs dons propres (1 Co 7, 7) » (LG n 11 b). D’où le lien intime entre la famille chrétienne et l’Église : à nous de l’étudier dans la perspective du « don » :
Pour mieux comprendre ce qui fonde, ce que comprend et ce qui caractérise une telle participation (à la vie et à la mission de l’Église), il faut étudier les liens multiples et profonds qui relient entre elles l’Église et la famille chrétienne et qui font de cette dernière comme « une Église domestique » (Ecclesia domestica), de telle sorte qu’elle soit, à sa façon, une image vivante et une représentation historique du mystère même de l’Église (FC n 49) [7].
Lumen Gentium n. 11 b (haec velut Ecclesia domestica) le souligne et Familiaris Consortio le déploie : les époux reçoivent des dons spécifiques dont ils auront, comme le dit la parabole des talents, à user et à rendre compte [8]. Le don reçu concerne l’Église : il fait des époux et de la famille une Ecclesia domestica. Le sacrement de mariage est pénétré d’une force constructrice de l’Église, Corps du Christ. Le couple chrétien entre dans la communion de tout le corps et, dans ce Corps, il est lui-même une communion : celle de deux êtres donnés l’un à l’autre pour toujours. La famille devient une réalité ecclésiale. Puisque, par le sacrement de mariage, la famille est devenue signe de l’union du Christ et de l’Église, en elle tout le mystère de l’Église est en quelque sorte présent. Comme l’Église universelle n’est pas seulement une juxtaposition d’Églises particulières, mais que dans chaque Église particulière, l’Église universelle est présente en elle et fait de celle-ci une épiphanie de la Catholica. De manière analogique, la communio sanctorum, l’ecclesia est présente sacramentellement dans l’ecclesia domestica.
Comment décrire cette Église domestique ? Chacun des conjoints d’abord est pour l’autre signe du Christ et de l’Église, et en même temps il doit le devenir davantage. Le sacrement est inscrit dans le temps : il y a permanence et déploiement du sacrement que sont les époux l’un pour l’autre [9]. L’histoire sainte de chaque baptisé l’inscrit dans la vie de l’Église. Les témoins du mariage ne manifestent pas seulement le passé des époux, ni l’instant de leur consentement, mais ils attestent également l’avenir ecclésial du nouveau couple et sa mission. Ils restent les témoins bienveillants de la croissance du don : les germes doivent porter des fruits.
Ensuite, dans le partage du « don » qu’ils sont l’un pour l’autre et dans leur communion de vie et d’amour, peut advenir l’enfant, le don qu’est l’enfant pour ses parents et pour l’Église. La vérité du sacrement pousse les conjoints à bâtir l’Église et l’apparition de l’enfant en est un des signes privilégiés.
De leur union, en effet, procède la famille où naissent des membres nouveaux de la cité des hommes, dont la grâce de l’Esprit Saint fera par le baptême des fils de Dieu pour que le peuple de Dieu se perpétue tout le long des siècles. Il faut que par la parole et par l’exemple, dans cette sorte d’Église qu’est le foyer (in hac velut Ecclesia domestica), les parents soient pour leurs enfants les premiers hérauts de la foi, au service de la vocation propre de chacun tout spécialement de la vocation sacrée (LG n. 11 b).
On comprend mieux la mission de cette Ecclesia domestica à partir de l’Église comme organisme vivant. Celle-ci se déploie à travers les espaces géographiques et culturels, mais également à travers les temps. L’Église grandit et atteint sa plénitude à travers les générations différentes. Il n’y a pas de transmission héréditaire de la grâce, mais une famille chrétienne offre un milieu de grâce aux générations qui se succèdent. Le sacrement de mariage est un des lieux de croissance de l’Église. Dans le don mutuel, dans la procréation, la naissance et l’éducation des enfants, les époux offrent avec le Christ un milieu où le don et la charité peuvent être reconnus. À travers la succession des générations, l’abnégation et la gratuité de dons sans repentance, s’écrit l' »Histoire » et s’accroît l' »Église » jusqu’au moment où le nombre des élus sera complet. L’Histoire est pétrie de cette espérance. Elle est portée par les grandes contemplations de l’Apocalypse où le croyant « voit » des myriades et des myriades de saints (Ap 7, 9 ; 19, 1).
II. L’Eucharistie et le mariage
La pratique liturgique de l’Église marque les affinités entre plusieurs sacrements. Le sens de l’un comme de l’autre s’illumine de cette proximité. Tel est, nous semble-t-il, le cas de l’eucharistie et du mariage. Le mariage est souvent célébré à l’intérieur d’une eucharistie. Dans certains courants de spiritualité conjugale (les Equipes Notre-Dame, par exemple), ce lien est fréquemment souligné. Cette unité du mariage et de l’eucharistie est rappelée dans le Catéchisme de l’Église Catholique. Elle jaillit de la dynamique du don du Christ en sa chair [10].
Dans le rite latin, la célébration du mariage entre deux fidèles catholiques a normalement lieu au cours de la Sainte Messe, en raison du lien de tous les sacrements avec le mystère Pascal du Christ. Dans l’Eucharistie se réalise le mémorial de la Nouvelle Alliance, en laquelle le Christ s’est uni pour toujours à l’Église, son épouse bien-aimée pour laquelle il s’est livré. Il est donc convenable que les époux scellent leur consentement à se donner l’un à l’autre par l’offrande de leurs propres vies, en l’unissant à l’offrande du Christ pour son Église, rendue présente dans le sacrifice eucharistique, et en recevant l’Eucharistie, afin que, communiant au même Corps et au même Sang du Christ, ils « ne forment qu’un corps » dans le Christ [11].
D’un point de vue pastoral, la question de l’union des deux sacrements – mariage et eucharistie – se pose souvent étant donné les difficultés des couples mal croyants qui se présentent pour vivre la célébration de leur union. Le sacrement de mariage est un sacrement distinct et peut être célébré seul [12]. Pourquoi cependant le rituel prévoit-il la célébration conjointe des deux sacrements et lui accorde-t-il tant de valeur ?
Le devoir de sanctification qui incombe à la famille chrétienne a sa racine première dans le baptême et sa plus grande expression dans l’Eucharistie à laquelle le mariage chrétien est intimement lié. Le Concile Vatican II a voulu rappeler la relation spéciale qui existe entre l’eucharistie et le mariage en demandant que le « mariage soit célébré ordinairement au cours de la messe » [13] (FC n 57).
En méditant sur le mystère eucharistique, le don que le Christ y fait de lui-même, apparaît archétypique du don mutuel des époux [14]. Les époux sont plongés dans l’Alliance que Dieu propose à son peuple. Mystère d’Alliance que l’Acte du Christ à son Heure accomplit en offrande une fois pour toutes. La Parole faite chair résonne dans nos mots et dans nos propres paroles humaines. C’est l’eucharistie qui édifie l’Église et les époux y trouvent leur mission. Ils parviennent ainsi, dans l’amour du Christ qui les fait vivre, à trouver le repos et la guérison de toutes leurs blessures et leurs peines (Mt 11, 28-30). L’amour est de toujours à toujours. Dans l’histoire de chaque couple, il est eucharistie, mort et résurrection avec le Christ.
L’essentiel de notre propos s’articule autour des axes suivants :
• Le don des époux est à l’image de celui du Christ. C’est le Christ qui donne les époux l’un à l’autre et qui donne aux époux de se donner. Tout don humain, particulièrement dans le consentement conjugal se greffe sur le don du Christ. Pour nous donner, nous avons besoin du Christ. En se donnant, le chrétien donne le Christ.
• Les époux doivent s’offrir eux-mêmes comme « pain et vin » du sacrifice. Par l’épiclèse, le prêtre les offre au Père pour que son Esprit les transfigure. Le don des époux est « transformé » par l’acte du Christ : la charité conjugale construit l’amour, édifie l’Église, guérit les époux. L’amour humain y trouve sa vérité.
2.1. Le mystère de l’alliance
Le mariage, comme l’eucharistie, est pénétré du mystère de l’alliance. Nous allons essayer d’en dessiner quelques traits en montrant le lien des deux sacrements dans l’histoire du salut. La symbolique de l’alliance sous-tend l’architecture et la vie des deux sacrements [15]. Elle justifie la pratique pastorale qui promeut cette unité du mystère.
2.1.1. L’histoire de l’humanité
La création – nous l’avons vu dans les premiers récits de la Genèse – est ferme volonté de Dieu de faire l’homme à son image et de faire « alliance » avec lui. Dès l’origine, le don de Dieu à l’homme se dit avec « effusion » et « abondance ». Ce don divin est « vie et amour ». La structure de l’homme est d’être-don. Il est un être de relation dès l’origine. L’homme est créé pour aimer et se donner : cette structure sponsale, cette « mise en alliance » naturelle s’accomplit dans la reconnaissance du don qu’est la femme. Le don s’exprime dans un visage : Eve, la mère des vivants. « Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair » (Gn 2, 23). Emerveillé devant le don reçu – amour et vie -, devant ce que chacun est l’un pour l’autre et pour Dieu, le premier couple pressent, d’abord dans la joie et le bonheur, l’amplitude du dessein de Dieu. Par le péché, l’homme et la femme prennent le risque de le briser. Ils ne pourront cependant l’anéantir. Par le don originel, Dieu en effet, veut se lier à toute l’humanité : il veut se mettre en alliance avec tous les hommes. C’est ce désir qu’Il poursuit, du premier Adam au second, à travers tous les refus des hommes, en se choisissant un peuple choisi et en lui offrant son Fils. Le mariage en Christ devient un signe privilégié de cette Alliance et il la transfigure [16].
2.1.2. L’histoire d’Israël et de l’Église
L’histoire mouvementée du peuple d’Israël avec son Dieu est celle d’une alliance. Dieu a pris l’initiative de « faire alliance » avec les hommes, de constituer un peuple, de le choisir pour une mission de témoignage aux yeux des nations. « Je suis Yahvé ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Égypte… Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi » (Ex 20, 2-3). Alliances variées, gages de la fidélité de Dieu à son peuple malgré ses refus et ses infidélités. La fidélité de Dieu est à la fois conjugale (Osée 2 et 3) et parentale (Osée 11 – Is 49, 15 – Jr 31, 20). Les prophètes ont scruté ce mystère d’alliance à travers leur parole et leur vie (Os 2, 21-22) [17]. Ils annoncent une Alliance nouvelle inscrite dans les cœurs.
La Bible, qui s’ouvre sur les « noces » d’Adam et d’Eve, s’achève sur celles du Christ et de l’Église (Ap 22, 20). Ce n’est point sans signification. Il existe un lien mystérieux entre l’amour de Dieu pour les hommes et le mariage, au point que le Christ en a fait un sacrement. C’est la seule des relations humaines qui soit élevée à cette dignité. La vieille alliance de la Genèse affaiblie par le péché des hommes, la voici restaurée, plus belle encore, transfigurée dans l’Alliance nouvelle et éternelle. Elle en devient le signe et en même temps une mystérieuse préparation. Si bien que lorsque deux baptisés font « alliance », ils entrent dans une réalité qui va « au-delà, infiniment au-delà » de leur demande et de leur pensée (Ep 3, 20) » [18].
L’envoi de l’Unique, du Fils, « quand vint la plénitude des temps », marque l’avènement de cette nouvelle alliance. En Marie, le Verbe épouse la condition humaine. « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14) : désormais plus rien ne pourra séparer l’homme de son Dieu, puisqu’ils sont intimement unis en Christ. L’Alliance est indéfectible en Christ. Elle se dit en termes d’épousailles. Elle est scellée dans le sang versé et la remise de l’Esprit Saint à l’Église, son épouse (Jn 19, 30). L’Église est comblée du don de Dieu en son époux qu’est le Christ. Elle est sacrement universel du salut (GS 45, 1 et 42, 3), c’est-à-dire don offert au monde entier dans l’Alliance qu’elle vit.
2.1.3. L’histoire sainte du couple
L’histoire des époux se greffe sur celle de l’Église et se coule dans le sacrement qu’elle constitue. L’alliance de tel homme et de telle femme s’inscrit dans celle de l’Église et de son Christ. Cette dernière transforme intimement celle des chrétiens qui s’aiment et désirent vivre en alliance à la suite du Christ. Le mariage « intimement lié » à l’eucharistie (FC n 57) est contracté dans la Nouvelle Alliance, dans le Corps et le Sang du Christ. L’Alliance se retrouve au cœur de l’eucharistie comme au cœur du consentement matrimonial. Comme mystère de communion et d’unité – « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 56) -, l’eucharistie vivifie et fortifie la communion des époux. L’unité qu’ils vivent dans la chair, n’est-elle pas un signe de cette unité profonde et « cordiale » que Dieu veut nouer avec chacun dans le mystère de son corps et son sang ? Plusieurs auteurs ont dessiné l’analogie entre le Christ qui se donne en son corps et le don corporel des époux l’un à l’autre [19], ou celle entre le sacrement de l’ordre et celui du mariage [20].
Les époux en leur être-conjugal sont appelés à représenter « l’Alliance Nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés » (paroles de l’Institution). « Le mariage des baptisés devient ainsi le symbole réel de l’Alliance nouvelle et éternelle, scellée dans le sang du Christ. L’Esprit Saint, que répand le Seigneur, leur donne un cœur nouveau et rend l’homme et la femme capables de s’aimer comme le Christ nous a aimés » (FC n 13). Cette représentation de l’Alliance déploie à l’intérieur de l’être conjugal toute sa grâce spécifique [21]. Elle « informe » les faits et gestes des époux de sorte qu’ils s’aiment comme le Christ, de l’amour même du Christ. C’est l’œuvre de l’Esprit Saint. Tout comme Il « œuvre » dans le pain et le vin, Il transforme le don des époux de telle manière qu’ils puissent s’aimer avec le « cœur nouveau » promis par Jérémie (Jr 31, 31) pour les temps nouveaux. C’est là l’œuvre du Seigneur, « une merveille à nos yeux » (Ps 117, 23).
2.1.4. Les noces éternelles
L’eucharistie est le don du pain et du vin pour la route. Elle est « viatique », quel que soit le moment où le Christ se donne à nous. Elle prépare le Jour où nous « le verrons face-à-face » « tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). L’eucharistie en est l’annonce et les arrhes, la préparation et l’anticipation de l’Alliance éternelle. L’eucharistie est promesse d’immortalité qui donne tout son poids au présent de ceux qui la célèbrent dans la chair. Elle est « attente » de l’époux « jusqu’à ce qu’il vienne » : Maranatha ! Elle situe le présent de l’homme dans l’éternité de Dieu [22].
L’alliance nuptiale entre Dieu et son peuple Israël avait préparé l’Alliance nouvelle et éternelle dans laquelle le Fils de Dieu, en s’incarnant et en donnant sa vie, s’est uni d’une certaine façon toute l’humanité sauvée par Lui, préparant ainsi les « noces de l’Agneau » (Ap 19, 7.9) (CEC n. 1612).
Se marier, c’est accepter de devenir veuf : l’horizon de la mort et de la séparation est au cœur de tout amour. Cet aspect transitoire de l’amour conjugal est transfiguré dans l’Alliance à laquelle nous convie le don eucharistique du Seigneur. Car si « la figure de ce monde passe » (1 Co 7, 31), l’amour lui « ne passera pas » (Hymne à la charité : 1 Co 13, 8). L’alliance des époux repose sur celle du Christ et de l’Église et s’y alimente ; leur amour est plus fort que toute mort. Dès ici-bas, le don demeure vivant à travers toutes les forces de mort, le temps et les péchés des hommes. Le corps, parabole de l’esprit, dit la personne appelée au don éternel et à la vision du Donateur. L’alliance conjugale annonce l’Alliance divine. Le don conjugal conduit dans la charité à la source de tout don.
L’homme et la femme se guident mutuellement vers leur Seigneur. Ils sont « chemin » l’un pour l’autre. La vérité de leur être les conduit à être « Christ » l’un pour l’autre, à perdre leur vie pour que l’autre la trouve : le mystère de l’eucharistie devient chair de leur chair. Chacun confie l’autre à l’Epoux de tous. Le véritable Epoux des noces, c’est l’Agneau immolé, le Christ donné humblement dans l’eucharistie (Ap 19, 6-9) [23]. Le don du mariage est traversé de cette remise l’un de l’autre à Celui qui est source de toute source. L’eucharistie est un moment privilégié de cet abandon.
2.2. L’acte du Christ
La lecture de l’Évangile de saint Jean nous place dans la perspective de « l’Heure » du Christ dans le don total de lui-même. La mort du Christ sur la croix est l' »Heure » de la gloire car s’y manifestent à la fois la vulnérabilité et la puissance divine. Cet acte, par lequel le Christ va jusqu’au bout de l’amour et du don de soi, est prototypique de tout don et inspirateur de toute réflexion sur le don. En expirant sur la croix, Jésus dit : « Tout est consommé » (Jn 19, 30). En se donnant ainsi aux hommes, Dieu a tout donné. Que peuvent faire de plus les hommes sinon communier à cet acte indépassable ?
Dans la mort de Jésus, l’histoire humaine tout entière parvient à sa consommation, à son sommet. Un homme de notre race à été jusqu’au bout de l’amour : il a fait de sa mort un acte parfait d’amour, s’abandonnant sans réserve entre les mains du Père (Lc 23, 46) et entre les mains de ses frères pécheurs (Lc 23, 33-34). Cet acte est indépassable : il porte d’un coup l’histoire à son accomplissement, et si celle-ci continue, c’est pour que les hommes entrent dans cet Acte, le fassent leur, acceptant d’être pris en lui, sanctifiés, consacrés par lui, qui les transforme et leur permet d’aller, eux aussi, jusqu’au bout de l’amour. L’Acte de mourir de Jésus sur la Croix est l’acte auquel l’humanité entière est suspendue, l’Acte qui la sanctifie et la consacre tout entière dans l’amour [24].
Tout don de soi et tout amour véritable prennent leur source dans cet Acte du Christ. La tradition chrétienne ne parle-t-elle pas des « épousailles » du Christ avec l’humanité sur la Croix ? Elle situe la naissance de l’Église dans l’eau et le sang qui sortent du cœur transpercé. Cet acte du Christ a été anticipé la veille de sa mort durant la dernière Cène. Méditons à présent la volonté du Christ de se donner totalement aux hommes pour la vie du monde. « On ne m’ôte pas la vie, je la donne de moi-même » (Jn 10, 18). Entrons dans l’ordre de la gratuité de l’amour.
L’instant est solennel. Jésus l’a voulu dans le cadre de la Pâque juive. Il connaît la haine de ceux qui refusent son témoignage. Il connaît celui qui va le trahir. En cet instant, Jésus prend sa vie en main et parle de lui-même comme d’un pain qui « doit être livré » et « saisi » par les hommes. Dans la maîtrise parfaite de ce qu’il est, le Don du Père, il donne sa vie, vérifie sa prédication, authentifie ses gestes de puissance, fait advenir le Royaume dont il a annoncé la venue sur les routes de Palestine. Jésus n’est pas seulement la victime passive innocente : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Sa vie lui appartient : il lui revient d’accomplir toutes les Écritures par le don de Lui-même jusqu’à mourir. Il manifeste ainsi l’être de l’homme : être-de-don qui a capacité d’ordonner sa vie, de dire « oui » ou « non » au don qu’il est pour les autres et pour Dieu. Le Christ l’avait dit : « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui s’y attache en ce monde la gardera pour la Vie éternelle » (Jn 12, 25). Sa vie, toute vie humaine, est faite pour être donnée. On ne réussit, on n’accomplit sa vie qu’en la donnant. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Jésus se fait pain de ses disciples, pain des hommes.
Jésus « se rompt lui-même, avant même d’être rompu par nous tous, ses frères pécheurs ; il se partage : consommant sa mort lui-même, il devient capable de se partager entre tous dans un partage où il est vraiment tout entier à chacun : il passe au Père dans les autres et, nous regardant tous, il dit : « Mon corps, c’est vous ». La Parole par laquelle il se livre est efficace : il est déjà mort, il vit déjà au cœur des siens. La Passion ne fera qu’accomplir ce qu’il a dit : les hommes seraient d’ailleurs bien incapables de faire mourir celui qui est la Vie, s’il ne voulait lui-même mourir pour eux et par eux, dans l’amour » [25].
Ce soir-là, Jésus rassemble le passé de ses jours dans le présent de son Acte. Il condense aussi le futur en affirmant librement la liberté de son don. Son sang versé révèle le prix de ce don. Il révèle aussi à l’homme que sa grandeur est dans le don total de lui-même. Le sang du Christ est don de vie, source d’une communion au-delà de toute mort. Dans l’eucharistie, ceux qui boivent le sang du Christ demeurent en Lui (Jn 6, 56) et sont entraînés dans le dynamisme du don de sa vie, par amour.
La mémoire de ce don est un rite sacré confié par Lui à la mémoire des hommes. Elle est le mémorial et l’actualité d’un passé éternel. Ce don s’actualise en Église par l’Esprit Saint :
Pour accomplir le dessein de ton amour, il s’est livré lui-même à la mort et, par sa résurrection, il a détruit la mort et renouvelé la vie. Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (Prière eucharistique n 4).
L’Acte du Christ ouvre dans l’Église le chemin de la communion avec Lui. Jésus Lui-même l’a demandé à ses disciples à ce moment : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19).
L’Église est tout entière invitée à entrer dans l’Acte qui la sauve et la consacre : nous sommes sauvés, nous faisons de notre vie un acte d’amour parfait dans la mesure où « nous faisons ceci en mémoire de lui », dans la mesure où nous nous prenons, où nous nous rompons dans la mort à nous-mêmes et où nous devenons réellement le pain des autres, à la gloire du Père. L’Acte de mourir de Jésus, son acte parfait d’amour, est re-présenté (rendu présent dans un symbole) à l’humanité, jusqu’à la fin des siècles dans l’eucharistie. La messe est le moment où cet Acte nous rejoint et où nous le laissons s’emparer de nous, nous consacrer et nous « transsubstantier », pour que, nous aussi, nous allions jusqu’au bout de l’amour » [26].
Les époux sont invités à travers le sacrement de mariage à entrer dans cet Acte du Christ donné à l’Église pour toute l’humanité. Ils sont pour l’Église « le rappel permanent de ce qui est advenu sur la croix » (FC n 13). Les époux engagent leur couple dans l’Acte du Christ qui sauve le monde. Dans cet engagement, ils rendent visibles l’eucharistie dans la vie quotidienne. L’eucharistie fait « advenir » le don du Christ dans la charité du couple et de la famille. Toutes les sphères de la vie humaine doivent être intégrées dans l’acte eucharistique. Cette intégration suppose la « purification » des désirs, la mort à soi-même, le désintéressement et l’humilité. Cette transformation s’opère dans le don du Christ. Les époux associés à l’action du Christ qui s’offre au Père [27] sont « incorporés » au corps livré du Christ. Le culte pénètre la chair et la liberté des époux. Ils ont d’une manière spécifique à vivre cette exhortation de saint Paul : « Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel » (Rom 12, 1). Chacun reçoit l’autre de Dieu et, dans le Christ-Prêtre, l’offre à Dieu, le lui « donne » en sacrifice. « T’aimer, pour moi, c’est te donner au Christ. Ne pas te garder pour moi, mais t’offrir à Dieu ». Les époux s’offrent mutuellement à Dieu pour se recevoir encore et toujours de Lui. Ce sacerdoce rend grâce à Dieu pour le don de l’autre : « Ce que j’ai reçu gratuitement, à Toi, Seigneur, je Le rends. Tout est tien. Je le rends gratuitement et librement à l’auteur de tout don ». Une charité cultuelle anime l’aventure spirituelle des époux : chacun se voit offert à Dieu par l’autre et reçoit par lui les fruits de ce sacrifice mutuel. La sanctification des époux à travers le sacerdoce commun assumé l’un pour l’autre s’exerce puissamment dans l’éducation à la foi des enfants et l’humble offrande de leur vie à Dieu [29].
Cette transformation et cette communion dans le sacrifice sont réellement à l’œuvre en eux. Comme Il agit pour « actualiser » le don du Christ et changer le pain et le vin en Corps et Sang, l’Esprit Saint transforme les époux qui s’offrent à suivre le Christ :
Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit : qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière eucharistique n 2).
Cette incorporation des époux leur donnera de coopérer au salut du monde avec le Christ, de témoigner de la Bonne Nouvelle, de rayonner la joie de leur amour, de reconnaître l’éternel mérite de leurs actes. Telle est la responsabilité missionnaire des époux en communion avec l’offrande du Christ.
Seigneur notre Dieu,
Tu as appelé par leur nom N. et N.
pour qu’en se donnant l’un à l’autre
ils deviennent une seule chair et un seul esprit ;
donne-leur
le corps de ton Fils
par qui se réalisera leur unité.
Tu es la source de leur amour
et tu as mis en eux
le désir de bonheur qui les anime ;
donne-leur
le sang de ton Fils
qui sanctifiera leur amour et leur joie. »
(Prière de bénédiction nuptiale n. 4)
2.3. Le Christ comme Parole de vie et d’amour
2.3.1. Au creuset de la Parole
Dans l’eucharistie, le Christ nous convie à la table de sa parole donnée et à celle de son corps et de son sang. Au commencement de son Évangile, Jean nous dit : « Le Verbe s’est fait chair et Il a demeuré parmi nous. Et nous avons vu sa gloire » (Jn 1, 14). L’Oint du Seigneur est « Parole » adressée aux hommes pour leur libération et pour leur bonheur. Le Christ est le Verbe, la Parole du Père. Il nous « dit » qui est le Père. La plénitude du mystère divin se manifeste en cette Parole. « Qui m’a vu, a vu le Père. Pourquoi dis-tu : « Montre-nous le Père » ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres » (Jn 14, 9-10). La Révélation est « enseignement » du mystère du Dieu Trinité. Dieu n’est pas réduit au silence et nous non plus. Il se dit et nous pouvons dire qui Il est. Dieu n’est pas muet et nous pouvons nous aussi « parler » de l’amour. Nous pouvons dire ce qu’Il est en nous et pour nous. Le IVe Évangile nous enseigne, dans le temps et dès avant le temps, les rapports du Père et du Fils comme ceux de l’amour qui se donne. L’amour se définit par le don de soi et de ses biens (Exercices spirituels n 231).
Le Verbe incarné parle aux époux au cœur de leur cœur, mais aussi dans l’Écriture proclamée. L’écoute du Christ suppose des cœurs ouverts et prêts à vivre l’aventure de la Parole. Ce qui est murmuré au cœur d’un des époux peut être proclamé à l’autre pour qu’ensemble, ils mettent « en pratique » les volontés de Dieu et correspondent ainsi à sa volonté d’amour dans leur vie. La liturgie eucharistique est une éducation à l’écoute d’une parole qui les dépasse et les appelle. La Parole les précède de toujours. Elle appelle à une nouvelle obéissance : l’obéissance de l’amour. Saint Paul dit aux époux : « Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres ; femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur.. ». Ce passage, lourd de nombreux malentendus, ne nie pas l’égale dignité entre l’homme et la femme. De fait, l’épouse, autant que l’époux, exerce le sacerdoce des baptisés dans la vie conjugale. Tous deux ont cependant à s’offrir à Dieu. Les prophètes ont dénoncé durant des siècles chez le peuple d’Israël un péché qui hante toute alliance : endurcir son cœur, ne plus écouter son Dieu ni autrui. Il s’agit encore et toujours de « circoncire ses oreilles » pour écouter la volonté de Dieu sur chacun des époux et sur leur couple [29].
Cet « exercice spirituel » d’écoute de la Parole se prolonge dans toute la vie conjugale qui doit être « écoute et obéissance mutuelles » pour la plus grande gloire de Dieu. Le conjoint est un autre « Christ » qui parle à l’autre. Chacun des conjoints est appelé à écouter l’autre comme Marie écoutait et « gardait tout en son cœur » (Lc 2, 19). Le dialogue dans le couple – dialogue si important et si difficile – se fonde sur la certitude que, dans leurs échanges, Dieu « dit quelque chose » de Lui-même et de leurs vies. Le Verbe incarné est la source du dialogue conjugal. Il lui donne sa profondeur. Il est comme un écho permanent du cri d’Adam quand il reçoit sa femme de Dieu : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). De louange en louange, chaque membre du couple est appelé à entrer dans la louange éternelle.
2.3.2. Une Parole qui édifie l’Église
Nous avons déjà évoqué l’Ecclesia domestica qu’est la famille comme fruit du sacrement de baptême. Il faut à présent la relier à l’eucharistie pour qu’elle revête toute sa dimension de gratuité et de don. La famille est d’Église. Elle est Église aussi, si « l’Eucharistie fait l’Église » [30]. Comment l’Église domestique, la famille peut-elle grandir et se construire sinon à partir de l’eucharistie ? La famille, comme unité et corps spirituels, « fait corps » dans le Corps du Christ. « Dans le don eucharistique de la charité, la famille chrétienne trouve le fondement et l’âme de sa « communion » et de sa « mission » : le pain eucharistique fait des différents membres de la communauté familiale un seul corps, une manifestation et une participation à la vaste unité de l’Église » (FC n 57). L’intimité de la « manducation » du Corps du Christ rejaillit sur la croissance de l’Ecclesia domestica : elle s’y manifeste et donne à la famille de « représenter » le corps vivant de son Christ.
La famille, comme l’Église, grandit à partir de l’eucharistie. Le don du Christ suscite le don des époux l’un à l’autre, le don généreux de la vie, la paternité et maternité spirituelles, les multiples dons de soi dans l’Église et pour la société [31].
2.3.3. Une Parole d’action de grâce
Le don de la vie du Christ suscite action de grâce et louange pour « tant de merveilles ». La mémoire de l’action du Seigneur éveille les cœurs à cette louange pour le don du Père en son Fils Jésus-Christ. En se regardant l’un l’autre et en faisant mémoire de leur amour, les époux sont appelés à cette louange : louange de leur vie, louange dans leur vie quotidienne, louange au cœur de l’eucharistie. La célébration de leur mariage les a associés à l’action de grâce de l’Église. Comment « rendre au Seigneur tout le bien qu’il nous a fait », sinon en élevant « la coupe de bénédiction » (1 Co 10, 16) et en faisant don de moi-même avec le Christ.
La bénédiction originelle (Gn 1, 28) n’a jamais disparu. Elle s’accomplit dans le présent de chaque couple qui s’unit « dans le Seigneur » [32]. Toute bénédiction s’achève dans la bénédiction du nouvel Adam et de la nouvelle Eve : l’alliance des époux est tissée de la joie de l’épouse proche de son époux au cœur du mystère pascal. Reconnaissance, gratitude, action de grâce, louanges… les époux « avouent » leur « dette d’amour » vis-à-vis de Dieu qui les a donnés l’un à l’autre à travers le don du corps et du sang du Christ. La prière d’action de grâce imprime au cœur des époux l’humilité et la modestie. Elle garde leurs yeux ouverts sur la grandeur de ce don, sa beauté, mais aussi sa fragilité. « Ce trésor, ne le portons-nous pas dans des vases (corps) d’argiles pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous » (2 Co 4, 7).
Cette gratuité est nécessaire à la vitalité du don de soi, affermi dans le don du Christ à tous. « Il est vraiment juste et bon de te rendre grâces, de t’offrir notre action de grâces toujours et partout, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur ». Les diverses « préfaces » des messes de mariage explicitent les raisons et le contenu de cette action de grâces : dons, propriétés, fins, biens du mariage redisent la « beauté » du dessein de Dieu. L’amour des époux est associé dans la grâce eucharistique à l’amour trinitaire. « Et maintenant que le mystère de ton amour se révèle encore une fois à nos yeux, nous unissons notre louange à celle de tous les vivants qui sont auprès de toi pour chanter et proclamer : Saint!… »
2.3.4. Une Parole de pardon ou la grâce d’un cheminement
L’amour est ambigu et fragile. Il court le risque de l’illusion et de la désillusion. Méfiance, jalousie, soupçon, peuvent l’accompagner. L’amour ne peut vivre et grandir dans le mariage sans pardonner. Les refus et les trahisons de ce don existent entre les époux comme à l’égard de Dieu. Le don proposé par Dieu dans le sacrement ne rencontre pas un acquiescement total. Dès les origines, l’homme et la femme se replient sur eux-mêmes, se cachant de la source de tout don.
Le sacrement du mariage offre une expérience concrète de la fidélité de Dieu à travers nos propres infidélités.
Pour ceux qui cherchent à imiter Dieu, il va falloir donner sans compter ; sinon c’est le marchandage, le contrôle, l’analyse, le discours, et finalement le refus de se donner. (…) La psychologie va s’employer à réduire ces frustrations. Mais Jésus, lui, les guérit. Se voir frustré, c’est la conséquence de faire des comptes avec celui qu’on aime. C’est le chemin inverse de l’amour qui est « don » sans retour. Qui sème chichement récolte chichement (2 Co 9, 6) [33].
La liberté peut s’être refusée ou reprise. Elle demeure appelée à la grâce du pardon. Les époux demeurent toujours appelés à s’aimer dans le pardon. Pardonner, c’est donner deux fois. Et Jésus nous invite à pardonner 7 fois 77 fois, c’est-à-dire toujours (Mt 18, 21). La logique du don suppose une générosité qui revient toujours vers l’autre, même après les offenses.
C’est par la foi en Dieu que nous sommes purifiés de nos péchés et sauvés ; c’est par la foi en l’autre que chaque époux expérimente la bonté miséricordieuse de Dieu et que chacun, en accueillant cet amour gratuit de l’autre pour lui, en reçoit aussi tous les fruits : de pardon, de grâce et de vie renouvelée [34].
Demander et donner le pardon, c’est préparer l’accueil du don eucharistique et c’est se préparer à pouvoir pardonner également. Chacun peut devenir Christ pour son conjoint et manifester la tendresse du pardon offert par l’Innocent qui a donné sa vie pour tous. Le Christ pardonne en chaque eucharistie et y offre aux époux les gages de sa miséricorde. Le dynamisme du don est imprimé au cœur du couple par le pardon divin.
L’eucharistie – et le sacrement de pénitence et de réconciliation – l’attestent. Le sang du Christ a été « versé en rémission des péchés ». Le sang et le don de l’Alliance pardonnent les égoïsmes rencontrés, remettent les faiblesses et les fautes, effacent les déceptions et les limites. L’amour humain est racheté dans le sang du Christ. Toutes les blessures du couple peuvent être « élevées » sur la croix du Christ ressuscité. Par le sacrifice eucharistique les époux éprouvent la force régénératrice du don infini de Dieu. L’Esprit sanctificateur les purifie de leurs souillures et il construit un être-de-don toujours plus fort et plus transparent de la grâce divine. Don et pardon sont plus qu’une réparation : il s’agit d’une régénération.
L’espace infini du « don et du pardon » invite les époux à une recherche à la mesure du Don reçu. Il offre la découverte incessante de l’amplitude de l’amour. « Si tu savais le don de Dieu » (Jn 4, 10) : cette parole de Jésus fonde la fidélité de l’homme à sa femme et de l’épouse à son époux. Toute la vie conjugale suffit-elle pour pénétrer la profondeur de ce don divin ? Il s’agit pour l’homme comme pour la femme de « trouver le trésor caché dans le champ » (Mt 13, 44), de laisser se révéler à travers l’autre le « visage » du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive » (Jn 4, 10). Les époux chrétiens cheminent sous le soleil de l’eucharistie. Leur soif sera comblée quand ils laisseront l’autre leur « donner et leur montrer » le visage du Christ. C’est Lui qui, dans le long cheminement de l’amour humain, apparaît et donne l’eau vive. Son Esprit Saint ouvre l’intelligence du cœur et permet à l’homme et à la femme d’explorer, l’un grâce à l’autre, « la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de l’amour de Dieu qui défie toute connaissance » (Ep 3, 18-19). Le mariage chrétien est comparable à « une très haute montagne qui met les époux dans le voisinage immédiat de Dieu » [35]. « C’est en se donnant que l’on reçoit, c’est en s’oubliant que l’on se trouve, c’est en pardonnant que l’on obtient le pardon » (prière de saint François d’Assise) [36]. Telle est la logique spirituelle du don et du pardon dans la vie de l’homme et de la femme.
III. Lien avec le sacrement de la réconciliation
La source du pardon se trouve dans l’acte sauveur du Christ sur la croix. Le baptême est pour tout homme le véritable passage de la mort à la vie : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtus le Christ » (Gal 3, 27). Cette joie du baptisé se fortifie dans la vie qu’il mène. Nous le savons : elle se ternit dans les refus de la grâce et les péchés personnels. Pour aimer en vérité et goûter la joie de tout amour, l’expérience chrétienne mesure sa faiblesse et la bonté du Seigneur qui renouvelle la grâce baptismale à travers la confession. Le don est renouvelé par le pardon toujours offert. « La conversion au Christ, la nouvelle naissance du Baptême, le don de l’Esprit Saint, le Corps et le Sang du Christ reçus en nourriture, nous ont rendus « saints et immaculés devant Lui » (Ep 1, 4), comme l’Église elle-même, épouse du Christ, est « sainte et immaculée devant Lui » (Ep 5, 27). Cependant, la vie nouvelle reçue dans l’initiation chrétienne n’a pas supprimé la fragilité et la faiblesse de la nature humaine, ni l’inclination au péché que la tradition appelle la concupiscence, qui demeure dans les baptisés pour qu’ils fassent leurs preuves dans le combat de la vie chrétienne aidés par la grâce du Christ. Ce combat est celui de la conversion en vue de la sainteté et de la vie éternelle à laquelle le Seigneur ne cesse de nous appeler » [37].
Comment espérer s’aimer toute une vie sans s’exercer à pardonner à l’autre ? Comment espérer goûter la joie de cet amour sans expérimenter la miséricorde divine ? Le sacrement de réconciliation est une « nécessité d’amour ». Il n’est pas seulement une œuvre humaine de restauration ou de pacification de l’agressivité, mais il est le mouvement d’un « cœur contrit » (Ps 51, 19) attiré par la grâce divine. Cette seconde conversion appartient aussi à la vie du sacrement de mariage. « L’eau du baptême et les larmes de la Pénitence » (Saint Ambroise) baignent ensemble l’amour de l’homme et de la femme. Il convient d’en percevoir les enjeux dans la préparation au mariage comme dans la vie conjugale afin qu’elle porte tous ses fruits.
3.1. Un don blessé
Les époux se sont engagés à se livrer entièrement l’un à l’autre et à Dieu « pour le meilleur et pour le pire ». Le consentement est fondé sur la liberté humaine qui peut se démettre d’elle-même et se renier. L’alliance promise peut être blessée, meurtrie, parfois rompue pendant un temps ou par des actes d’infidélités. Quand le péché apparaît dans la vie personnelle, il retentit dans le couple [38]. Le péché et ses conséquences ouvrent une brèche aux forces de désintégration qui peuvent affecter les divers domaines de la vie conjugale et familiale. En se détournant de Dieu, l’homme se détourne de son conjoint qui est pour lui sacramentellement et de manière « proche » le visage du Christ. La vie chrétienne est un combat spirituel où chacun continue d’être affronté aux conséquences du péché. L’expérience de nos « premiers parents » est suggestive. Après le péché des origines, « l’harmonie dans laquelle ils étaient établis grâce à la justice originelle est détruite ; la maîtrise des facultés spirituelles de l’âme sur le corps est brisée ; l’union de l’homme et de la femme est soumise à des tensions ; leurs rapports seront marqués par la convoitise et la domination » (CEC n°400). La grâce du baptême en Christ nous a sauvés d’une lutte sans issue, mais la lutte demeure. Par le péché, et comme à l’origine, la transparence du don personnel risque d’être voilée. Dans l’unité profonde qu’ils sont, les époux sont blessés par le péché de l’un ou de l’autre. Il ne suffit pas qu’ils s’opposent ou se blessent mutuellement, il suffit que l’un des époux se refuse à Dieu sur un chemin qu’ils ont décidé de prendre ensemble. Si la beauté du sacrement de mariage appelle à une sanctification mutuelle et à une communion des dons, le péché de l’un à l’intérieur de cet amour unitif peut être une grave blessure pour le couple, pour le conjoint, pour la famille. L’éloignement de Dieu aveugle l’homme et la femme sur eux-mêmes et sur l’alliance conclue. Le péché change le regard que chacun porte sur son conjoint et ses enfants.
Pourtant, si le péché de l’un rejaillit sur l’autre, il n’en demeure pas moins que chacun des époux a sa conscience personnelle et que la liberté de l’un est irréductible à celle de l’autre. Le mystère du refus au cœur de la conscience individuelle conduit parfois le conjoint à vivre une impuissance de l’amour. Comment la porter sans la grâce du Christ et la possibilité de son pardon ? Le vrai mal qui ronge l’amour des époux ne réside pas toujours dans ses effets psychologiques et physiologiques, mais dans le péché de l’un ou de l’autre, de l’un et de l’autre. L’alliance humaine est faite à l’image de l’alliance du Christ avec son Église. Elle est appelée à être sans tache. Dans son chemin avec Dieu et vers Lui, les époux rencontrent de nombreux obstacles. Le péché en est un qu’il convient de nommer, d’avouer et de confesser pour en recevoir le pardon. Ne pas pouvoir ou ne pas vouloir se libérer du péché par la miséricorde de Dieu, c’est refuser la lumière et cheminer petit à petit hors de la joie qu’apporte tout amour humain. Qui ne voit combien la beauté du sacrement de mariage peut être blessée et déchirée par une conscience personnelle qui s’endort, se refuse à la conversion ou à l’humilité de la confession de son péché ? Qui ne comprend ainsi les nombreuses difficultés et crises conjugales que les hommes d’aujourd’hui comme de toujours ne parviennent pas à dépasser sans la grâce du Christ Sauveur ? L’amour humain a besoin du pardon pour grandir, pour guérir, pour devenir à l’image de l’amour divin qu’il représente sacramentellement.
3.2. La fécondité du pardon
Si l’amour en sa source, est pure gratuité du don, si l’homme comme la femme sont des êtres-de-don qui trouvent leur identité comme leur vocation dans le don d’eux-mêmes, si Dieu lui-même est toujours prêt à donner ce qu’il est, l’homme et la femme peuvent fonder leur soif d’un pardon sur une certitude qu’il est possible et qu’il sera fécond au point de traverser les déserts et les morts de leur vie. Dans la logique du don, une réconciliation en acte, un par-don, une « régénération », sont toujours possibles. Elles appartiennent à la richesse et à la bonté de Dieu qui se sont incarnées en Christ dans l’histoire humaine. La miséricorde est ce don gratuit qui purifie et régénère l’amour humain. L' »impératif catégorique » du pardon est un lieu de témoignage où le sacrement de mariage est vivifié à nouveau pour être lumière devant les hommes.
Par le prêtre, les époux peuvent rencontrer personnellement le Christ qui les accueille et les mène au Père de toute miséricorde. Par le sacrement de réconciliation, les époux se mettent au cœur de l’Église sainte et immaculée : ils sont baignés de son amour et s’ouvrent à nouveau à leur propre mystère d’Église domestique. L’homme et la femme, en se reconnaissant humblement pécheurs, se montrent mutuellement que le pardon, comme leur amour, les dépasse et vient d’au-delà d’eux-mêmes. Cette lumière peut être une assurance contre tout défaitisme et tout fatalisme. La force qui vient d’en-haut est une force victorieuse de tout mal et de toute faiblesse.
De plus, le pardon de Dieu touche chaque membre du couple au fond de son être. Il y a en vérité « renaissance » des virtualités profondes de l’âme humaine dans le pardon sacramentel. Le regard posé, malgré les effets du péché et ses conséquences psychologiques et affectives, peut être à nouveau celui de Dieu, celui de l’amour promis le jour du mariage. Et s’il faut croire saint Paul, « là où le péché a abondé, la grâce surabonde » (Rm 5, 20), c’est-à-dire que l’amour offert à nouveau dans les cœurs est « bon ». Dans certains cas, avec la collaboration des époux, cet amour est, comme à Cana, un vin nouveau, meilleur que celui des premiers temps de la noce. Car l’amour qui surgit dans le pardon ne peut faire abstraction de la vérité. En avouant son péché, la vérité vient au jour dans la lumière de Dieu. Cette lumière est une bénédiction pour le pécheur et pour le couple.
Le pardon sacramentel restaure les conjoints qui veulent en vivre. L’amitié et l’union à Dieu, fortifiée par la grâce reçue, change leur regard sur l’autre, sur les autres. L’homme peut voir à nouveau sa femme comme celle qui lui est donnée par Dieu, comme celle qui est une « merveille » à ses yeux. La véritable identité de chacun est retrouvée : un chemin d’échange des dons est à nouveau possible car l’autre redevient aimable pour ce qu’il est. Le pardon reçu mène à l’humilité de l’amour. Retrouver un trésor que l’on croyait perdu, c’est le regarder avec une tendresse nouvelle et en goûter comme à neuf sa beauté. Si Dieu accueille ma faiblesse, il me revient de faire de même vis-à-vis de mon conjoint et des membres de ma famille. « Celui à qui on pardonne peu, montre peu d’amour » (Luc 7, 47). Au contraire, celui qui vit du pardon, goûte l’amour vrai. Ainsi peu s’installer la circulation de la miséricorde dans l’alliance conjugale.
Dans la parole d’absolution, les conjoints peuvent puiser une force nouvelle pour vivre leur grâce propre. Si nous avons besoin de nous pardonner mutuellement parce que nous sommes pécheurs et imparfaits, c’est en Christ l’occasion d’aimer l’autre tel qu’il est et de dialoguer avec lui de manière toujours neuve et plus profonde. La perception des limites de tout amour humain ne peut dépasser les frustrations et les blessures mutuelles s’il n’y a pas remise des dettes, pardon, acceptation et mise en œuvre par les paroles et les œuvres d’un amour qui est redonné. Le sacrement de réconciliation, prière personnelle pour chacun des époux, les renvoie dans la vie quotidienne à renouer les liens d’une prière commune et d’un bien restauré : l’unité du couple et sa beauté dans tous les dons reçus et partagés.
L’appel du pardon résonne dans toute vie de couple. Les époux, unis sacramentellement, trouvent dans l’aveu de leurs faiblesses et de leurs fautes, le lieu d’un approfondissement de leur être fait pour donner et pour pardonner. Le Christ est la mesure de tout pardon. La puissance dont il revêt les conjoints par son esprit dans l’absolution sacramentelle, est à chaque fois recréation de l’amour conjugal et renouveau du consentement. Que ce pardon soit donné et redonné dans le temps illustre la puissance d’aimer de Dieu dont l’unique désir est de voir resplendir de sa lumière les visages de ceux qui témoignent de Lui. Don et pardon rythme l’amour sacramentel. Don et pardon lient le sacrement du mariage et celui de la réconciliation.
IV. Lien avec le sacerdoce ministériel
4.1. Ce que se disent les sacrements l’un à l’autre
Les époux qui contractent un mariage sacramentel le font ordinairement dans le cadre d’une eucharistie. Dans certaines circonstances, le sacrement de mariage est célébré sans lien direct avec celle-ci. Dans les deux situations, les baptisés sont en contact avec un ministre ordonné : un diacre, un prêtre ou un évêque. Que ce soit dans le cadre de la préparation ou de la liturgie, cette « rencontre » entre les époux et le ministre ordonné est éclairante du mystère même de l’amour humain dans le plan divin : du lien entre le Christ-Epoux et l’Église son Épouse.
La question de l’articulation entre les deux sacrements permanents que sont le couple marié et le ministre ordonné mérite d’être posée sous des angles différents. Elle est d’une étonnante actualité. Elle suggère les richesses comme les faiblesses de notre pastorale et de notre théologie. En effet, un ensemble de problématiques nouvelles surgissent dans le peuple chrétien à partir de l’accueil des nombreux candidats sans contact vivant avec la pratique sacramentelle de l’Église et pour qui la foi n’a pas de résonnance personnelle. Quand faut-il refuser le sacrement ? Faut-il le faire ? Quel type de préparation convient-il d’offrir ? Faut-il résolument penser à un catéchuménat pour ce sacrement ? Un rite d’accueil ou un autre signe ne sont-ils pas à trouver pour établir une progression vers le consentement proprement dit ? Il s’agit véritablement du défi posé par la préparation des jeunes au sacrement.
D’autre part, c’est l’économie sacramentelle tout entière qui est mise à l’épreuve aujourd’hui. Dans notre monde sécularisé, elle semble privée de significations. Comme si les yeux du baptisé ne parvenaient plus à distinguer l’œuvre divine dans l’histoire sainte de l’Église et de l’humanité. Des travaux nombreux ont été réalisés sur le sens et le poids existentiels des rites. Une catéchèse adaptée est recherchée en de nombreux lieux. Mais les mutations culturelles semblent obscurcir plutôt qu’éclairer la portée « salvifique » des symboles sacramentels. Ces signes sacrés produisant la grâce ne « sont plus pratiqués » et les catégories d’enseignement de leur réalité semblent faire défaut ou rester imperméables à la raison et au cœur de nombreux contemporains. De fait, on souligne fortement depuis Vatican II la ministérialité de l’Église (l’Église-sacrement). Les sacrements expriment les symboles réels de la foi de l’Église. Cet perspective « souligne à juste titre la dimension de la foi qui est essentielle à la sacramentalité de l’Église, mais elle laisse dans l’ombre le rapport entre le Christ et les sacrements et comment s’articule la ministérialité de l’Église par rapport à l’action du Christ dans les sacrements. Les sacrements sont-ils d’abord le lieu où l’Église se reçoit du Christ, ou bien sont-il surtout le lieu où elle exprime devant le monde sa foi au Christ ? Quelle est la part du Christ et de l’Église dans l’action sacramentelle, en particulier quand il s’agit du mariage » [39]. La présence du ministère ordonné est appelée à jouer un rôle déterminant dans cette double prise de conscience.
Dans l’Église latine, les ministres du sacrement sont les époux eux-mêmes. « On considère habituellement que ce sont les époux qui, comme ministres de la grâce du Christ, se confèrent mutuellement le sacrement du Mariage en exprimant devant l’Église leur consentements » (CEC 1623). Dans une théologie plus orientale, cette considération sur le « qui ? » est le ministre est résolue autrement. Ce point, que ce soit dans les dialogues oecuméniques comme dans la réflexion théologique, semble devoir être un lieu d’approfondissement si l’on ne désire pas se perdre dans des oppositions stériles. » Dans les liturgies orientales, le ministre du sacrement (appelé « Couronnement ») est le prêtre ou l’évêque qui, après avoir reçu le consentement réciproque des époux, couronne successivement l’époux et l’épouse en signe de l’alliance matrimoniale » (CEC n. 1623).
C’est au 12ème siècle que l’Église d’Occident a choisi le consentement comme acte constitutif du mariage (réalité signifiante), en donnant à ce terme un sens plus radical que celui que lui donnait le droit romain. Il s’agissait du consentement « in esse » (initial), donné une fois pour toutes et ne pouvant pas être repris. Il ne s’agit pas donc du mariage « in fieri », en devenir, continué. On comprend que l’on ait pu dire à partir de cette définition : « ce n’est pas l’amour qui fait le mariage, c’est le consentement ». Les époux se font « fiance » définitive et totale en se disant « oui ». L’acte sexuel, conjugal dès lors après le consentement, confirme ce « oui » et le scelle. Un acte sexuel isolé et/ou une longue expérience sexuelle ne définissent pas le lien du mariage. Il faut toujours une parole de liberté qui se fait chair. Sans refaire l’historique de la position latine, on voit combien « aujourd’hui » elle rend compte de l’avènement du sujet (le « je », le « tu », le « nous »), de la richesse du personnalisme chrétien, de l’importance de l’intersubjectif, du caractère essentiel de la liberté qui est mise en jeu. Cette liberté est essentielle à la fécondité de tout sacrement. Dans le mariage, elle est réellement au centre puisqu’elle est liée au don confiant d’une personne à une autre, don que l’on ne peut déléguer à autrui. Le contrat est à ce point personnel que je ne puis déléguer personne à ma place pour donner et recevoir le consentement et le signer.
4.2. Un paradoxe riche pour la dynamique des sacrements en jeu
4.2.1. L’importance du consentement
Il est paradoxal et remarquable de noter que l’invitation au consentement comme le rite lui-même ne font pas référence explicite à la personne du Christ, comme à l’œuvre de l’Esprit, ou la reconnaissance de la Paternité divine. Les mots utilisés sont ceux de tout homme de bonne volonté qui accepte le plan de la vérité de l’homme et de la femme. Le dialogue des époux est déterminant. Il exprime leur liberté. Il se fait « en présence » de l’Église et d’un ministre ordonné. Les époux ont certainement l’intuition que la permanence du lien conclu, comme la radicalité de ses exigences, viennent d’au-delà du mystère de leur propre relation. Mais l’expression du consentement ne pose pas une vérification de la foi des deux baptisés comme conditions pour administrer le sacrement et pour sa validité. Ce point met en évidence la profondeur de l’intersubjectif. En disant « oui » l’un à l’autre, les époux sont à l’intérieur d’un réseau relationnel, humain et chrétien : une communauté croyante qui les accueille en son ministère ordonné. Le consentement lui-même est situé dans la relation du nouveau couple avec le ministre ordonné qui approuve et bénit. Le ministère confirme, discerne, explicite l’implicite du rite :
Ce consentement que vous venez d’exprimer en présence de l’Église, que le Seigneur le confirme, et qu’Il vous comble de sa bénédiction.
Désormais, vous êtes unis par Dieu dans le mariage.
Recueillez-vous en pensant à ce que Dieu a fait pour vous.
Les trois formules manifestent que l’Église en son ministre ordonné voit une œuvre de Dieu dans cet engagement. Le ministre révèle aux époux ce que Dieu a fait dans l’intimité de leur propre liberté et dans leur engagement public. Les époux n’ont-ils pas besoin de cette lumière pour réaliser la portée spirituelle et théologale de leur consentement ? Le ministre ordonné montre explicitement aux époux ce qu’ils sont devenus par grâce et ce qu’ils ont à devenir dans l’Église et dans le monde. Cette explicitation est nécessaire, particulièrement pour le conjoint qui n’a pas encore reçu le don de la foi. Ces paroles et la bénédiction qui suivra montrent explicitement comment le mariage est sacramentel et donc ecclésial. Tout comme pour chaque sacrement, les époux ministres du sacrement ne se le donnent pas entièrement. Il leur est donné par Dieu en son Église. Le ministre ordonné manifeste ce caractère du don qui reste « donné ». Il est donc bien ministre de la célébration du sacrement en tant que tel. La bénédiction explicitera encore le travail divin en son Église et en cette nouvelle ecclesiola. Elle situera toute la vie des époux à la suite du Christ dans la puissance de l’Esprit. L’aspect de mission le confirmera aussi. La bénédiction peut être assimilée à une épiclèse sur les époux.
En conclusion, il n’est pas possible de comprendre le consentement comme un acte des époux, ministres du sacrement, isolé d’autres liens intersubjectifs et ecclésiaux. Ils ne se donnent pas le sacrement sans accepter, comprendre et vivre la réalité d’une grâce qui leur est offerte. Ils ont à éprouver combien Dieu est bon et leur donne de se donner. Ils ont à mesurer que l’Église est la matrice de leur « oui ». S’ils ne peuvent sortir de leur splendide isolement de sujets, comment pourraient-ils accéder au « nous » ? Si nous considérons les époux de manière exclusive comme « les seuls ministres » du sacrement, les seuls acteurs de la relation, comment être sûr qu’une telle relation est conjugale, c.-à.-d. ouverte par définition à l’altérité et aux tiers ? Pour qu’un mariage soit sacramentellement valide, depuis le Concile de Trente, la présence d’un ministre ordonné est rendue nécessaire [40]. Cette indication liturgique n’est-elle pas éclairante pour le rapport entre les conjoints qui se marient et le ministère ordonné ?
4.2.2. Articulation du sacerdoce ministériel et commun des fidèles
La célébration du sacrement de mariage articule le sacerdoce commun des fidèles et celui du ministre ordonné. Cet événement hautement symbolique introduit dans une circulation du don qui fonde la place et le rôle de chacun. L’amour des fiancés est présenté publiquement à l’Église. Il s’agit bien d’une offrande d’amour digne d’être à l’intérieur du « mysterium » de l’Église et de l’action eucharistique singulière qui accompagne leur mariage. Le ministre ordonné accueille, bénit et consacre cette offrande des époux et les rend à eux-mêmes dans l’état nouveau où ils sont. Le ministre ordonné redonne le don offert pour qu’il soit offert dans l’Église aux hommes. Une mission surgit de l’acte sacramentel et de cette offrande eucharistique. « S’engager dans la voie du mariage, c’est apprendre à aimer une personne pour mieux savoir en aimer d’autres » (J.-C. Sagne). L’amour de l’universel passe par le singulier de l’époux choisi et aimé.
La Commission Théologique Internationale analysait ainsi le sens des époux ministres du sacrement : « Le sacrement de mariage étant la libre consécration au Christ d’un amour conjugal naissant, les conjoints sont évidemment les ministres d’un sacrement qui les concerne au plus haut point. Cependant, ils ne pas ministres en vertu d’un pouvoir qu’on dirait « absolu » et dans l’exercice duquel l’Église, à strictement parler, n’aurait rien à voir. Ils sont ministres comme membres vivants du corps du Christ où ils échangent leur serments, sans que jamais leur décision, irremplaçable, fasse du sacrement la pure et seule émanation de leur amour… Leur amour dès lors ne se donne le sacrement de mariage sans que l’Église y consente elle-même, et sous une dorme différente de celle que l’Église établit comme la plus expressive du mystère auquel le sacrement introduit les époux » [41].
Cela signifie que « la ministérialité des époux n’est pas absolue, ni isolée » [42]. La mission du ministre ordonné nous semble particulièrement importante par ce qu’il est sacramentellement (il représente le Christ-Tête) et par la bénédiction épiclétique qu’il est appelé à prononcer sur le nouveau couple. Reprenons quelques étapes importantes de la célébration.
4.2.2.1. L’invitation à prononcer le consentement
Cette invitation est faite par le ministre ordonné aux fiancés. Le prêtre appelle les époux à faire le don libre d’eux-mêmes l’un à l’autre, à Dieu et à l’Église. Il s’agit d’un appel à « dire librement et sans contrainte » leur volonté de s’aimer avec et de l’amour même de Dieu. Par sa présence et cette invitation, le prêtre témoigne que Dieu les précède en amour. Par grâce, ils peuvent se donner à Lui, à l’Église, à leur conjoint. Ils peuvent se donner dans la singularité de leur personne et également, dès la promesse échangée, dans l’unité de leur nouveau couple. Le don vient de Dieu et retourne à Dieu : le ministre ordonné en témoigne devant tous. Le don mutuel touche la singularité des personnes : l’homme à la femme et réciproquement, l’homme à Dieu, la femme à Dieu, et ainsi à l’Église. L’unité nouvelle est offerte et accueillie par « celui qui met en ordre » la communauté de par son ministère ordonné.
4.2.2.2. La conclusion du consentement
Le prêtre y manifeste toute la réalité du mystère qui s’est accompli dans l’Esprit Saint. Il révèle au couple et à l’assemblée l’œuvre de Dieu et il la confirme par la parole.
4.2.2.3. Les bénédictions
Les bénédictions des alliances et la bénédiction nuptiale caractérisent le ministère ordonné. Ce point est essentiel. « Dans la tradition orientale, le prêtre doit non seulement assister, mais bénir le mariage. Bénir signifie agir en vrai ministre du sacrement, en vertu de son pouvoir de sanctification sacerdotale, pour que les époux soient unis par Dieu à l’image de l’union nuptiale indéfectible du Christ avec l’Église, et qu’ils soient consacrés par la grâce sacramentelle » [43]. Dans la perspective théologique et canonique des églises orientales, la bénédiction est donc requise pour la validité du sacrement, liée à l’épiclèse sacerdotale par laquelle les époux reçoivent l’Esprit Saint comme communion d’amour du Christ et de l’Église. « L’action du Saint-Esprit et non l’action des conjoints est primordiale : l’acte constitutif du mariage est un rite sacré »[44]. »Sans aucun doute, c’est l’échange des consentements entre les époux, considéré comme l’élément indispensable « qui fait le mariage ». Mais pour que le mariage devienne, selon les paroles de saint Paul, « mystère de grande portée, qui s’applique au Christ et à l’Église » (Ep 5, 32), pour qu’il soit « dans le Seigneur », est requise l’intervention du sacerdoce ministériel de l’Église a laquelle le Christ a confié la célébration et l’administration des sacrements, source de la grâce rédemptrice. Telle est la perspective plus « mystérique » de la tradition orientale qui, pour des raisons théologiques et oecuméniques, devrait être prise en considération pour un rapprochement des deux perspectives ».
Dans les deux traditions, c’est l’Église qui reste le signe et le garant du don de l’Esprit Saint que les époux reçoivent en s’engageant l’une vers l’autre comme chrétiens. « On pourrait dire que le rôle du prêtre dans le droit oriental est celui d’un bénissant et dans le droit latin, celui d’un assistant » [45]. « Dans une tentative, donc, de solution cohérente entre les perspectives latine et orientale, on pourrait affirmer que les ministres du sacrement de mariage sont les époux et le prêtre bénissant » « [46]. Cette présence du ministre ordonné (évêque, prêtre ou diacre) ajoute en outre une référence à la gratuité du don du Christ dont l’amour crucifié dépasse toujours la dimension « d’élévation » de l’éros naturel. En tant qu’agapè qui assume, rachète et transfigure l’éros, il est représenté par le ministre apte à présider l’Eucharistie » [47].
4.3. La mission eucharistique du prêtre
Il rend à Dieu, dans l’action de grâce, ce qui a été accompli. Il redonne l’amour offert des époux à l’Église toute entière et à eux-mêmes, fortifiés et confirmés par le mystère pascal du Sauveur. Il manifeste sacramentellement cet échange de dons. Aux époux qui se sont offerts jusqu’en leur corps, il offre le corps du Sauveur qui sauve et transfigure leur amour. Le lien eucharistique n’est pas seulement un « secours », un soutien ou une source de grâce. « Il exprime avant tout l’identité sacramentelle du couple, leur appartenance objective au témoignage et au rayonnement sacramentel de l’Église. C’est pourquoi la célébration conjointe des deux sacrements comporte un message qui concerne toute la vie et qui leur trace dès la fondation du foyer le chemin d’une spiritualité spécifique, ecclésiale et missionnaire » [48].
En conclusion
C’est la prise de conscience de ce don nuptial aux multiples dimensions qui fortifie la spiritualité propre des époux et qui les propulse dans l’Esprit Saint à devenir des protagonistes de la mission de l’Église. Si les conditions de cette prise de conscience ne sont pas réunies lors de la célébration sacramentelle, le couple risque d’en rester à une vue assez courte de sa recherche du bonheur et à ne pas percevoir vivement la vocation au service de Dieu que leur amour pleinement humain doit vivre, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, comme mission ecclésiale. On pourrait craindre que cette ecclésialisation de l’amour conjugal et familial porte atteinte à la vocation propre des époux qui s’enracine dans la sanctification de l’amour humain. Mais cette crainte disparaît quand on considère l’acte de foi initial qui a consigné définitivement dans les mains de Dieu, dès le début, les fruits spirituels ou corporels que Dieu voudra bien leur donner en retour. « Si le conjoint chrétien est capable d’accomplir cet acte de remise total de soi, sa communion limitée s’ouvre alors à l’universalité de l’Église catholique, et son amour, qui semble limité à un cercle si restreint, obtient une participation effective à la réalisation du Règne de Dieu sur la terre » [49]. La participation de la communion conjugale à la communion ecclésiale ne peut qu’affirmer la qualité de l’amour humain, car il lui permet de puiser à la source trinitaire qui se donne en partage dans le mystère nuptial du Christ et de l’Église. La communion des époux croît dans la mesure où elle s’ouvre à l’archétype de tout amour qui se révèle sous les espèces de l’Eucharistie et du lavement des pieds [50].
C’est ainsi que s’articule le sacerdoce ministériel avec le sacerdoce commun des fidèles baptisés qui reçoivent le don de se marier en Christ et dans son Église. Cette articulation ne se comprend que dans un échange de « dons » où la nuptialité des époux entre réellement dans celle du Christ-Epoux. Car l’Epoux unique de chacun assume leur offrande mutuelle dans la sienne, les bénit d’une bénédiction particulière, proprement nuptiale et les conduit ainsi au Père dans le concret de leur histoire sainte. Cette œuvre du Christ est assurée de manière sacramentelle et visible par le ministre ordonné.
4.4. Permanence des sacrements et interpellation pastorale mutuelle
Le prêtre doit accorder une importance particulière aux familles dans son ministère car il existe une connivence spirituelle entre la paternité spirituelle liée à sa mission et celle des parents. La famille fait grandir l’Église et enseigne au prêtre ce qu’il est. Le prêtre doit en prendre soin parce que la famille chrétienne est actuellement le plus grand motif de crédibilité de l’Église pour le monde (cf. Texte du Cardinal Danneels). D’autre part, par sa connaissance intime, fraternelle et spirituelle des familles, le ministère ordonné sera éveillé à une manière particulière de traiter une paroisse. Conduire une famille et une paroisse relève d’un même don, d’un même art. Prêtres et familles, Église et familles ont cause commune ; C’est à l’intérieur des familles que l’Église grandit, se fortifie, se développe : dons, charismes et vertus fleurissent dans les familles et se sèment à tout vent des autres familles du monde et de l’Église.
La famille peut donner le témoignage au prêtre de l’articulation des différences au sein d’une même communauté ainsi du respect de chacun dans sa singularité. Cette manière de vivre l’unité à l’intérieur d’un même sacrement est très enrichissante pour le prêtre. L’hospitalité et l’accueil d’une famille, dans l’habitat comme au repas, montrent au prêtre le chemin d’une ouverture toujours plus grande de sa propre communauté. La manière dont le prêtre peut prendre place dans chaque famille est d’un grand enjeu pour la compréhension de son propre mystère, de sa mission, de sa place dans l’Église. L’image que nous avons de l’identité sacerdotale se forge le plus souvent au sein de notre propre famille. Si les enfants d’une famille rencontrent un prêtre pressé, stressé, fatigué, ils risquent de garder cette image pour toute leur vie. S’ils découvrent un homme de Dieu dans son humanité et sa vocation, cette découverte sera déterminante pour leur vie de baptisé. Une famille qui critique toujours les prêtres rencontrés ne tisse pas un berceau favorable à la foi pour les enfants. Elle peut même faire avorter des appels divins.
La famille est appelée à interpeller les prêtres dans leur ministère et dans la manière de l’exercer : la prédication et les vertus telles que la patience et la confiance. Les familles rappellent au prêtre l’importance d’une parole inculturée, plantée dans la vie de tous les jours. La prédication en vérité ne doit pas seulement « arroser » le peuple chrétien de paroles justes et bonnes : il s’agit de les semer et de les planter au cœur de la famille. La vérité des rapports entre les familles et les prêtres éduquera ces derniers à planter la Parole, à ne pas jouer un rôle et à être vrai. La prédication reçue dans les familles doit viser la vérité, le bien et le beau. Les trois transcendantaux transparaissent ou non dans la parole de l’évangélisateur. Que ceux qui écoutent n’aient crainte de témoigner de ce qu’ils comprennent ou vivent suite à la parole entendue. Les familles poursuivent leur interpellation des ministères ordonnés en leur rappelant la nécessité à la fois de faire mémoire de la Loi et de montrer les chemins de la miséricorde. Enoncer la Loi et annoncer la miséricorde est une œuvre quotidienne dans une vie familiale. Cet équilibre entre les symboles paternels et maternels, entre l’exigence et la bonté, forme le substrat de la vie quotidienne de la famille. Le prêtre, dans sa solitude, n’exerce pas toujours cet art : il lui faut apprendre et recevoir des familles des leçons particulières dont il pourra se servir pour toutes les missions reçues. Amour et vérité se rencontrent ainsi dans les vies de chacun et nous éduquent à la patience. À l’image des parents qui savent bien ne pas pouvoir tout obtenir tout de suite de leurs enfants, le prêtre doit apprendre la patience pour chaque brebis de son troupeau et marcher ainsi au rythme de la plus faible en la portant, en l’attendant, en l’encourageant. Les vertus familiales inspirent ainsi la manière de vivre du prêtre : la confiance en la parole semée et qui portera son fruit au « jour du Seigneur », la gratuité d’une vie offerte et d’un travail qui ne peut être soumis aux mêmes critères d’évaluation que ceux d’une entreprise. Spontanément, l’œuvre éducative de la famille rejoint la mission paternelle du prêtre : elle peut en être le paradigme.
Cette richesse de la vie familiale ne devrait-elle pas être vécue directement par le ministre ordonné ? Cette question ne doit pas être posée sous forme alternative : ou … ou. Ce n’est pas le célibat comme tel ni le mariage qui sanctifient, mais l’amour que l’on vit dans l’un ou l’autre de ces états. La sainteté familiale est un repère pour le don sacerdotal du célibat et réciproquement. L’amour familial tend à encourager le prêtre dans le don exclusif de son être au Christ et à son peuple. Les diacres permanents mariés peuvent éclairer d’un jour nouveau cette relation mariage sacerdoce. Ils sont au cœur de l’articulation et parfois au cœur des tensions entre les deux états et les grâces qui leur appartiennent. Leur témoignage peut nous aider à mieux comprendre le lien intime entre les deux sacrements : la particularité de chaque famille nourrit le caractère universel du ministère sacerdotal. Pour le diacre permanent, la réception du sacrement de l’ordre met la particularité de son amour conjugal au service permanent d’un amour pour tous et d’un service des autres familles et célibataires de la communauté.
[1] Le sacrement de la Confirmation appartient au triptyque des sacrements de l’initiation. Il est bon et spirituellement important de le recevoir et d’en vivre avant le mariage. Si l’un des époux n’est pas confirmé et que cette démarche peut se réaliser avant le mariage, il faut le faire. Si ce n’est pas possible, il convient de la prévoir après le mariage pour donner toute sa fécondité spirituelle à ce dernier.
[2] « Dans l’Église, le baptême n’est pas seulement une ‘porte’ d’accès aux autres sacrements, il nous de nouvelles relations juridiques génératrices de droits et devoirs relatifs notamment aux sacrements, à la Parole et autres aides spirituelles de l’Église (cc. 208-223) », J.-P. SCHOUPPE, « L’incidence du baptême sur le droit au mariage », dans Le nouvel Agenda Canonique n°6 (1998) 2.
[3] « C’est dans le corps et pas ailleurs que se jouent nos destinées, que se découvre l’ouverture à la médiation d’autrui et au respect de ce qu’il est, que s’expérimente la présence de Dieu qui donne à l’humanité de se régénérer au-delà de la mort en engendrant de nouvelles générations. Il est le lieu précis où nous sommes donnés à nous-mêmes, où les autres nous sont donnés, où Dieu s’est donné à nous. C’est particulièrement vrai pour les chrétiens qui connaissent les mystères du corps du Christ, c’est vrai aussi de tout homme, même s’il ne le sait pas ou s’il le méconnaît. Chaque homme naît donné à son corps dans l’amour par amour pour aimer. L’amour n’advient jamais qu’à travers le corps. Il faut que l’être humain ait éprouvé corporellement la joie de vivre pour pouvoir en donner la joie » ( A. CHAPELLE, Sexualité et chasteté, Bruxelles, IET, 1989-1990, p. 47 ).
[4] Ibid., p. 48.
[5] A.-M. HENRY, « Se marier. Amour et jeunesse », dans Esprit et Vie n 5 (1985) 52.
[6] R.L. BURKE, « Le Concile Vatican II et la législation du mariage : la perspective du canon 1095 », dans R. LATOURELLE (éd.), Vatican II. Bilan et perspectives. Vingt-cinq ans après (1962-1987), « Recherches », Nouvelle série n 15, 16, 17, Montréal-Paris, Bellarmin/Cerf, 1988, Vol. 2, p. 250.
[7] L’encyclique emploie au moins 15 fois cette expression « Ecclesia domestica » avec des nuances diverses. La formule est fort ancienne. Du temps de saint Paul, elle désignait « l’Église qui se réunit chez eux (Prisca et Aquilas) » (Rm 16, 3-5). L’usage de cette terminologie s’est étendu dans les premiers siècles, en Orient comme en Occident, aux assemblés locales réunies dans les maisons chrétiennes. Saint Jean Chrysostome l’utilisait souvent en conviant les fidèles rentrés à la maison à méditer ensemble la parole et à prier afin que leur maison devienne une Église domestique. La formule acquiert au Concile Vatican II de nouvelles harmoniques théologiques et ecclésiologiques (L. LIGIER, Il matrimonio. Questioni teologiche e pastorali, Roma, Città Nuova, 1988, p. 205-208.
[8] « Dans la grâce du sacrement de mariage sont accordés aux différents membres du cercle familial les charismes typiques de leur état de vie : le don et la tâche d’époux et de père, qui permet de se prodiguer avec force et générosité pour garantir le développement unitaire de tous les membres de la famille ; le don et la tâche d’épouse et de mère qui fait de la femme le centre affectif des siens, avec cette délicate et attentive tendresse qui lui est propre. Mais, en ce qui concerne les parents, il importe de ne pas oublier le don et la tâche des maîtres de vie et de foi qui les rend capables de veiller à la croissance et à la formation des enfants ; et en ce qui concerne les jeunes, le don et la tâche de fils en vertu desquels ils doivent contribuer de manière précieuse « à l’édification de la communauté familiale et à la sanctification même des parents », en leur obéissant et en les respectant. La vie est un don, et la présence des enfants rend toujours plus conscients de tout ce qu’il y a de beau et de positif dans l’existence venue gratuitement de Dieu » (JEAN-PAUL II, « Les charismes dans la famille », Homélie à la paroisse Saint-Gaëtan, Rome, Oss. Rom. (le 19 janvier 1986) 4).
[9] Permanence et croissance dans une union avec le Christ, telle est la grâce sacramentelle. Ainsi l’exprimait un couple belge, observateurs au Synode sur la famille en 1980 : « Vivre chrétiennement notre mariage, c’est le vivre avec Dieu. C’est reconnaître que Jésus-Christ habite notre amour humain et croire qu’il le guérit et le transforme ; en particulier, c’est croire qu’il bâtit avec nous, à longueur de jours, notre « communauté profonde de vie et d’amour », elle-même ouverte sur le don. Car qu’est-ce que se marier, si ce n’est « se donner l’un à l’autre pour se donner ensemble » ? Dès lors, tout ce que nous vivons concrètement pour construire, dans la patience et la persévérance, l’unité de notre foyer est déjà louange et offrande à Dieu ; nous écouter et nous parler, respecter nos différences, nous entraider, discerner ensemble les responsabilités et les priorités, partager nos aspirations les plus profondes, exprimer dans la tendresse le don des cœurs par le don des corps, dire notre gratitude et notre pardon. C’est aussi une louange et une offrande à Dieu, dans la droite ligne du sacrement de mariage, de vouloir nous donner ensemble : vouloir donner la vie par amour et accueillir l’enfant comme un cadeau du Seigneur, assumer dans son quotidien paternité et maternité, travail familial et professionnel, hospitalité et service des autres. Si la charité habite ce quotidien, Dieu y reconnaît son œuvre et son image » (P. et M.-J. VERCRUYSSE, « Famille chrétienne, communauté en dialogue avec Dieu », dans Oss. Rom. (Ed. Française hebdomadaire), 9 mars 1982, p.11.
[10] « Il y a un lien profond, une attraction mutuelle, entre ces deux sacrements. Il est tout à fait indiqué que l’on passe de l’alliance des époux à l’Alliance entre Dieu et l’humanité, dans la célébration du Christ mort et ressuscité pour nous. Le mariage uni à l’eucharistie, la vie durant d’ailleurs, insère la petite communauté conjugale, qui n’est pas une fin en soi, dans la communauté chrétienne où le Chris se donne pour nous sanctifier » (G. DANNEELS, « La vie conjugale comme « sacrement » », dans Pastoralia 10/97, p.179.
[11] Catéchisme de l’Église Catholique, Paris, Mame/Plon, 1992, n 1621, p. 345.
[12] « Il ne faut pas « automatiquement » une messe, mais il faut de toute façon une liturgie de prière qui encadre le rite. Au-delà du couple, il faut aussi voir l’entourage. Peut-être que les époux ne sont pas très intéressés par l’eucharistie, mais la communauté chrétienne qui les accueille peut les porter dans cette célébration. Ce n’est pas pour cela que les époux doivent communier. Ce n’est pas non plus parce que ceux-ci ne sont pas disposés à communier qu’ils ne peuvent pas prendre part à l’eucharistie. Celle-ci n’est pas uniquement un repas ! Elle est d’abord un culte rendu à Dieu, une action de grâce, l’offrande du Christ au Père » (G. DANNEELS, « La vie comme « sacrement » », dans Pastoralia 10/97, p.179.
[13] Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium n 78.
[14] « L’union entre deux êtres, vous le savez bien, vaut ce que vaut ce qu’ils mettent en commun. Or vous qui puisez dans l’eucharistie la vie même du Christ, c’est cela, cette vie du Christ, que vous avez d’abord à mettre en commun. Et cette vie en vous est joyeuse connaissance du Père, jaillissement d’amour filial. Mais elle est aussi amour des créatures, de toutes les créatures : l’admiration, la pitié, la tendresse du Seigneur vous habitent. Et puisque c’est la volonté de Dieu que vous vous aimiez l’un l’autre d’amour privilégié, votre amour pour votre conjoint est le premier à être transformé par la grâce de l’eucharistie. Elle lui apporte purification, affinement, nouveauté de vie. Elle vous amène à désirer, pour celui que vous aimez, infiniment plus que ce qu’ambitionnent l’un pour l’autre les époux les plus amoureux, mais ignorants de la promesse du Christ, je veux dire l’amour et la joie de Dieu, la sainteté. (…) Entre mari et femme qui possèdent cette vision eucharistique du corps, on devine sans peine que seront transformées les relation sexuelles elles-mêmes. Ce n’est plus un « corps de mort » mais un corps de sainteté qu’ils se donnent l’un à l’autre pour s’exprimer leur amour d’enfants de Dieu » (H. CAFFAREL, « Mariage et eucharistie », dans L’Anneau d’Or 117-118 (1964) 254 et 255).
[15] « Mais l’Église pressent que le mystère du mariage chrétien s’enracine profondément dans le mystère de l’Église, en lien avec le baptême et l’eucharistie. Le Père a envoyé sa parole dans le monde, progressivement (He 1, 1). Mais quand la Parole a pris corps, quand le Verbe a pris chair en Jésus, l’alliance est devenue infrangible. Dieu et l’homme sont unis inséparablement dans la chair du Fils Unique, « deux en une seule chair ». L’alliance sera scellée dans le sang et dans l’eau quand l’épouse sortira du côté du nouvel Adam endormi sur la Croix (Jn 19, 34) après qu’il ait « remis l’Esprit » (Jn 19, 30). Le mariage des chrétiens qui reproduit ce mystère en tire une noblesse et une exigence nouvelles. L’Église ne peut faire marche arrière sur ce point sans atteindre toute l’économie nouvelle à sa source, le mystère du Christ, vrai Dieu et vrai Homme, et le mystère de l’Église, épouse, renouvelée, sanctifiée et purifiée par le Christ « dans le bain d’eau qu’une parole accompagne » (Ep 5, 25) » (J. JULLIEN, « L’alliance éprouvée », dans Christus (1983) 396).
[16] « Adam, le premier homme créé, en découvrant Eve et en lui donnant son nom (Gn 2, 22-25) ne crée pas l’amour. Il y consent. Sa parole n’est pas créatrice. Mais elle est révélatrice ; elle dévoile une réalité cachée, mais déjà présente, déjà donnée. Elle désigne un amour qu’Adam ne fabrique pas, mais qu’il invente (au sens étymologique), qu’il trouve caché comme un trésor à lui offert. L’homme n’a pas à fabriquer le mariage et la famille, à l’inventer de toutes pièces (au sens moderne). Il entre dans un ordre – comme disaient les théologiens du Moyen Age – un ordre dont il ne lui appartient pas de changer les constitutions. C’est pourquoi Adam ne prend pas Eve, il la reçoit des mains de Dieu et la « connaît ». Ce que le premier Adam entrevoit, le second Adam, le premier-né d’entre les morts, le révèle pleinement en accomplissant l’Alliance, en annonçant l’amour extrême jusqu’à la vie donnée et la mort acceptée, et en vivant ce qu’il a annoncé. Le mariage chrétien devient le signe de cette Alliance qui rejaillit en lui, sanctifiant et transfigurant l’amour dans toutes ses composantes » (J. JULLIEN, Demain la famille, Paris, Mame, 1992, p. 200-201).
[17] « La conjonction des deux thèmes conjugaux et parentaux se retrouve en Jérémie (Jr 31, 20 et 22) et dans les autres textes sur l’Alliance. En même temps il souligne qu’il n’y a pas de pardon sans re-création : « Car ton époux, ce sera ton Créateur… ton Rédempteur, ce sera le Saint d’Israël »… (Is 54, 5-8). Celui qui est le rédempteur, celui qui rachète la fidélité de l’épouse, c’est le créateur : justement parce qu’il est créateur, il est capable de changer des cœurs de pierre en cœurs de chair (Ez 36, 46) » (J. JULLIEN, Demain la famille, Paris, Mame, 1992, p. 130).
[18] J. JULLIEN, Demain la famille, Paris, Mame, 1992, p. 46.
[19] « « Voyez, mon Dieu, car ceci est mon corps ». Ainsi l’homme prie sur le corps de la femme au moment où ils forment un seul. Si ces mots ont un sens, ils signifient que la liberté s’empare de l’instinct pour que chacun, libre de soi et disponible, fasse un avec l’autre. Or, je crois que c’est là le cœur même de l’amour : une découverte de la liberté, la plus difficile de toutes » (R. HABACHI, Commencements de la créature, Paris, Centurion, 1965, p. 123).
[20] Une comparaison de saint Thomas en montre l’importance : « Certains propagent et maintiennent la vie spirituelle par un ministère uniquement spirituel : c’est l’affaire du sacrement de l’ordre ; d’autres le font par un ministère à la fois corporel et spirituel : ce que réalise le sacrement de mariage, qui unit l’homme et la femme pour qu’ils engendrent une descendance et l’élèvent en vue du culte de Dieu » (THOMAS d’AQUIN, Contra Gentiles, IV, 58, trad. Bernier-Kerouanton, Paris, Lethielleux, 1957, p. 313.
[21] « En célébrant l’eucharistie, les époux, célèbrent ce que, radicalement, ils sont appelés à vivre. Eucharistie et mariage sont tous les deux sacrements de l’Alliance, c’est-à-dire de l’amour « jusqu’au bout ». On pourrait dire que si la première est traditionnellement appelée sacrement de l’Alliance « sous les espèces » du pain et du vin, le second pourrait être dit sacrement de l’Alliance « sous les espèces » du corps et de la vie des conjoints. Dans l’un et l’autre cas, c’est d’être livré qu’il s’agit. Les époux qui communient puisent à la source commune de leur amour. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » (Jn 15, 13) » (X. LACROIX, Le Mariage… Tout simplement, Paris, éd. de l’Atelier/Ouvrières, 1994, p. 89).
[22] « La disparition du conjoint qui a été fidèle « jusqu’à la mort » est le moment où se manifeste à la fois la force de l’amour conjugal et que celui-ci n’est pas l’ultime but de la vie humaine. Nous sommes appelés à plus encore. Nos noces terrestres ne sont que le signe et l’ébauche des Noces en vue desquelles nous avons été créés : les Noces éternelles, celles de l’humanité-épouse avec le Christ-époux. Plus l’Esprit-Saint habite en nous, plus nous aspirons à celles-ci. Mais il n’y a pas de concurrence entre ces deux noces. L’une aide à mieux comprendre l’autre ; elles s’éclairent et s’enrichissent mutuellement. Le mariage nous apprend concrètement ce qu’est l’existence nuptiale, tandis que l’attente du Royaume nous apprend que la vérité du mariage est au-delà du mariage. cf. Ap 22, 17 » (X. LACROIX, Le Mariage… Tout simplement, Paris, éd. de l’Atelier/Ouvrières, 1994, p. 126).
[23] « Car, depuis Jésus, l’attente eschatologique se trouve inscrite au cœur même du mariage. En effet, les époux chrétiens savent qu’ils ne peuvent désormais rien préférer au Christ. Bien sûr, dans la relation conjugale, lorsqu’ils s’abandonnent l’un à l’autre dans le don d’eux-mêmes total et réciproque, ces époux se livrent en même temps au Christ qui, dans le même acte, se donne aussi à eux. Pourtant, encore une fois, ils savent que l’amour du Christ doit passer avant tout et que parfois l’abstention de relation sexuelle pourra devenir, lorsqu’elle est moralement requise et même lorsqu’elle est plus librement choisie (1 Co 7, 5), le signe de leur amour inconditionnel du Seigneur » (M. SEGUIN, La contraception et l’Église. Bilan et prospective, Paris/Montréal ; Médiaspaul/Paulines, 1994, p. 216).
[24] J.-M. HENNAUX, « Voeu et promesse. Supprimer les vœux temporaires ? » dans Vie Consacrée 44 (1972) 6.
[25] J.-M. HENNAUX, « Jusqu’au bout de l’amour (Jn 13, 1) », dans Si tu savais le don de Dieu, Paris, Equipes Notre-Dame, 1982, p. 30.
[26] J.-M. HENNAUX, « Jusqu’au bout de l’amour (Jn 13, 1) », dans Si tu savais le don de Dieu, Paris, Equipes Notre-Dame, 1982, p. 30.
[27] L’offrande est essentielle dans la spiritualité conjugale. L’Abbé H. Caffarel l’exprimait ainsi : « Pour que ce sacrifice du Christ devienne le vôtre, il ne suffit pas que vous offriez son corps et son sang. Le don de la bague ne tient pas lieu du don du cœur et de la vie, il le suppose. De même, l’offrande du corps et du sang du Christ exige votre propre don intérieur. Le don de chacun de vous, sans doute, mais aussi le don de votre petite communauté conjugale. Ce don a de multiples aspects auxquels nous allons réfléchir : vous avez à vous offrir l’un l’autre à Dieu, à vous offrir l’un et l’autre, ensemble, à offrir vos enfants, et plus largement tout ce qui fait votre existence.
Je viens de dire que vous avez à vous offrir l’un l’autre. Du fait de votre mariage, en un sens très réel et très fort, vous appartenez à votre conjoint, de même que lui vous appartient. Demandez-lui donc : « Offre-moi à Dieu, je me veux hostie entre tes mains, comme je t’offre à lui, toi, autre moi-même, mon meilleur bien ». C’est, croyez-moi, une grande chose que cette offrande de l’un par l’autre à la messe, elle est l’affirmation par chacun de son désir que l’autre entre toujours plus avant dans l’intimité du Seigneur. Un tel foyer est à l’abri de cette idolâtrie qu’est parfois l’amour conjugal : Dieu y est premier aimé et premier servi » (H. CAFFAREL, « Mariage et Eucharistie », dans L’Anneau d’Or 117-118 (1964) 250).
[28] « Mais le mariage est fait pour porter des fruits. Ces fruits, les enfants, sont, entre les mains des époux, leur offrande caractéristique, celle que le couple est seul à pouvoir présenter au sacrifice du Christ. (Pour des chrétiens mariés, ce devrait être d’abord pour avoir une offrande à présenter au Seigneur qu’ils décident d’avoir un enfant). Vous me direz peut-être : n’est-ce pas plutôt au baptême que nous offrons notre enfant au Christ ? Oui, en un sens. Mais le baptême, ne l’oubliez-pas, est tout orienté vers l’eucharistie. Présenter votre enfant au baptême, l’emmener pour la première fois à la messe, le conduire à la Table Sainte, c’est une seule et même offrande. Et voilà bien ce qu’après le don de vous-mêmes vous avez de meilleur à offrir à la messe. De même qu’entre les mains du prêtre le pain et le vin deviennent le corps eucharistique du Christ, de même entre vos mains le fruit de votre amour devient le corps mystique du Christ, membre du corps mystique » (H. CAFFAREL, « Mariage et Eucharistie », dans L’anneau d’Or 117-118 (1964) 251.
[29] On appréciera la richesse de l’apport conciliaire au rituel du mariage avec les nombreuses propositions de lectures. Ces lectures expriment les appels que Dieu fait au couple et le désir des conjoints d’y correspondre. La Parole de Dieu en ce jour particulier de leur mariage, est à la fois « charte et mission » nouvelles pour les chrétiens qui s’engagent l’un vis-à-vis de l’autre dans l’Église.
[30] Cette formule a été remise à l’honneur particulièrement dans l’œuvre du P. H. de Lubac. Dans Corpus Mysticum, il écrit : « l’Église et l’Eucharistie se font chaque jour l’une par l’autre »… (p. 292-293). « A la lettre donc, l’Eucharistie fait l’Église »… (p. 104). Dans Méditation sur l’Église, il reprend la même idée : « Au sens le plus strict, l’Eucharistie fait l’Église » (p. 129).
[31] « (…) Le don de notre amour répond au don de Dieu. Il se concrétise dans notre offrande apportée à l’autel : nous-mêmes et notre couple avec toute notre vie ; la vie à la maison avec ses joies et ses fêtes, avec ses soucis et ses travaux ; le travail professionnel si important pour la construction de ce monde voulu par Dieu ; nos engagements de toutes sortes, nos relations multiples et, en définitive, le monde entier auquel nous sommes liés de mille manières. C’est tout cela que nous présentons à Dieu dans chaque eucharistie avec le pain et le vin « fruits de la terre et du travail des hommes » ! Et sur tout cela va être prononcée la parole de Dieu appelant l’Esprit qui transforme » (R. TANDONNET, « Si tu savais le don de Dieu, dans Equipes Notre-Dame (1992) 21).
[32] Rappelons les termes même de la bénédiction de l’épouse dans l’ancien rituel : « Dieu, qui avez donné à l’union conjugale une consécration qui en faisait un mystère si élevé, que le lien nuptial figurait par avance l’union mystique du Christ et de l’Église ; Dieu, par qui la femme est unie à l’homme, et par qui cette communauté, voulue avant toute autre, est enrichie de la seule bénédiction dont nous n’ayons été privés ni par le châtiment du péché originel, ni par la punition du déluge, regardez »… (J. FEDER, Missel quotidien des fidèles, Tours, Mame, 1957, p. 1647).
[33] J. MARIN, Aimer, c’est pardonner, Nouan-le-Fuzelier, Ed. le Lion de Juda, 1991, p. 68.
[34] A.-M. HENRY, « Se marier. Amour et jeunesse », dans Esprit et Vie n 5 (1985) 52-53.
[35] JEAN-PAUL II, « Homélie à Kinshasa », 3 mai 1980, n 1.
[36] Au témoignage de la Reine Fabiola de Belgique, le 31 août 1994, en la cathédrale Saint-Michel à Bruxelles, cette prière fut celle de leur couple durant des années. En l’écoutant récitée par la Reine ce jour-là, les participants à cet hommage au roi Baudouin de Belgique, étaient invités à rendre grâce à Dieu pour la personnalité de ce dernier et à prendre conscience de la mission et de la force d’un couple chrétien.
[37] CEC n. 1426.
[38] Nous nous inspirons également d’un excellent article de J.-M. MEYER, « Le pardon construit l’amour. Les fruits du pardon dans le couple », dans un COLLECTIF, Le sacrement du pardon. Théologie et pastorale, Colloque à Ars, 17-19 décembre 1998, Saint Maur, Parole et Silence, 1999, p.59-67.
[39] M. OUELLET, « La célébration du sacrement de mariage dans la mission de l’Église », dans DC n°2264 (2002) 186.
[40] Le Code prévoit une forme extraordinaire de célébration pour des cas très exceptionnels de danger de mort et d’absence de prêtres dans les pays de mission.
[41] Commission Théologique Internationale, La sacramentalité du mariage chrétien. Seize thèses de christologie sur le sacrement de mariage, 1-6 décembre 1977, EV 6, 472.
[42] M. OUELLET, p.190.
[43] Congrégation pour les Églises orientales, Instruction pour l’application des prescriptions liturgiques du Code des canons des Église orientales (6 janvier 1996), Lib. Edit. Vaticana.
[44] R. METZ, Le nouveau droit des Église orientales catholiques, Paris, Cerf, 1997, 213.
[45] Ibid., 214.
[46] D. SALACHAS, « Le sacrement du mariage dans les deux Codes », L’Année canonique 40 (1998) 119-14, ici p.138.
[47] M. OUELLET, p.191.
[48] M. OUELLET, p.191 et 192.
[49] BALTHASAR, H.U von, Christlicher Stand, Johannes, Einsiedeln, 1977, p. 201-202 ; ou bien dans M. OUELLET, « Mariage chrétien, péché et conversion », dans Anthropotes 16/1 (2000) 19-41, 20-24.
[50] M. OUELLET, p.192.