1. Soyons transportés d’allégresse, bien-aimés, et donnons libre cours à la joie spirituelle, car voici que s’est levé pour nous le jour d’une rédemption nouvelle, jour dès longtemps préparé, jour d’un éternel bonheur.
Voici, en effet, que le cycle de l’année nous rend le mystère de notre salut, mystère promis dès le commencement des temps, accordé à la fin, fait pour durer sans fin. En ce jour, il est digne que, élevant nos cœurs en haut, nous adorions le mystère divin, afin que l’Église célèbre par de grandes réjouissances ce qui procède d’un grand bienfait de Dieu.
En effet, Dieu tout-puissant et clément, dont la nature est bonté, dont la volonté est puissance, dont l’action est miséricorde, dès l’instant où la méchanceté du diable nous eut, par le poison de sa haine, donné la mort, détermina d’avance, à l’origine même du monde, les remèdes que sa bonté mettrait en œuvre pour rendre aux mortels leur premier état ; il annonça donc au serpent la descendance future de la femme, qui, par sa vertu, écraserait sa tête altière et malfaisante, à savoir le Christ qui devait venir dans la chair, désignant ainsi celui qui, Dieu en même temps qu’homme, né d’une vierge, condamnerait par sa naissance sans tache le profanateur de la race humaine. Le diable, en effet, se glorifiait de ce que l’homme, trompé par sa ruse, avait été privé des dons de Dieu et, dépouillé du privilège de l’immortalité, était sous le coup d’une impitoyable sentence de mort ; c’était pour lui une sorte de consolation dans ses maux que d’avoir ainsi trouvé quelqu’un pour partager avec lui sa condition de prévaricateur. Dieu lui-même, suivant les exigences d’une juste sévérité, avait modifié sa décision première à l’égard de l’homme qu’il avait créé en un si haut degré d’honneur. Il fallait donc, bien-aimés, selon l’économie d’un dessein secret, que Dieu, qui ne change pas et dont la volonté ne peut pas être séparée de sa bonté, accomplît par un mystère plus caché le premier plan de son amour et que l’homme, entraîné dans la faute par la fourberie du démon, ne vînt pas à périr, contrairement au dessein divin.
2. Les temps étant donc accomplis, bien-aimés, qui avaient été préordonnés pour la rédemption des hommes, Jésus-Christ, Fils de Dieu, pénètre dans les bas-fonds de ce monde, descendant du séjour céleste tout en ne quittant pas la gloire de son Père, venu au monde selon un mode nouveau, par une naissance nouvelle. Mode nouveau, car, invisible par nature, il s’est rendu visible en notre nature ; insaisissable, il a voulu être saisi ; lui qui demeure avant le temps, il a commencé à être dans le temps ; maître de l’univers, il a pris la condition de serviteur en voilant l’éclat de sa majesté ; Dieu impassible, il n’a pas dédaigné d’être un homme passible ; immortel, de se soumettre aux lois de la mort. Naissance nouvelle que celle selon laquelle il est né, conçu par une vierge, né d’une vierge sans qu’un père y mêlât son désir charnel, sans que fût atteinte l’intégrité de sa mère. Une telle origine convenait, en effet, à celui qui serait le sauveur des hommes, afin que tout à la fois, il eût en lui ce qui fait la nature de l’homme et ne connût pas ce qui souille la chair de l’homme. Car le Père de ce Dieu qui naît dans la chair, c’est Dieu, comme en témoigna l’archange à la bienheureuse Vierge Marie : « L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi l’enfant qui naîtra de toi sera saint et sera appelé Fils de Dieu. »
Origine dissemblable, mais nature commune : qu’une vierge conçoive, qu’une vierge enfante et demeure vierge, voila qui, humainement, est inhabituel et inaccoutumé, mais relève de la puissance divine. Ne pensons pas ici à la condition de celle qui enfanté, mais à la libre décision de celui qui naît, naissant comme il le voulait et comme il le pouvait. Recherchez-vous la vérité de sa nature ? Reconnaissez qu’humaine est sa substance. Voulez-vous avoir raison de son origine ? Confessez que divine est sa puissance. Le Seigneur Jésus-Christ est venu, en effet, ôter notre corruption, non en être la victime ; porter remède à nos vices, non en être la proie. Il est venu guérir toute faiblesse, suite de notre corruption, et tous les ulcères qui souillaient nos âmes : c’est pourquoi il a fallu qu’il naquît suivant un mode nouveau, lui qui apportait à nos corps humains la grâce nouvelle d’une pureté sans souillure. Il a fallu, en effet, que l’intégrité de l’enfant sauvegardât la virginité sans exemple de sa mère, et que la puissance du divin Esprit, répandue en elle, maintînt intacte cette enceinte de la chasteté et ce séjour de la sainteté en lequel il se complaisait : car il avait décidé de relever ce qui était méprisé, de restaurer ce qui était brisé et de doter la pudeur d’une force multipliée pour dominer les séductions de la chair, afin que la virginité, incompatible chez les autres avec la transmission de la vie, devint, pour les autres aussi imitable grâce à une nouvelle naissance.
3. Mais ce fait même, bien-aimés, que le Christ ait choisi de naître d’une vierge, n’apparaît-il pas dicté par une raison très profonde ? C’est à savoir que le diable ignorât que le salut était né pour le genre humain, et crût, la conception due à l’Esprit lui échappant, que celui qu’il voyait non différent des autres n’était pas né différemment des autres. Celui, en effet, en qui il constata une nature identique à celle de tous, avait, pensa-t-il, une origine semblable à celle de tous ; il ne comprit pas qu’était libre des liens du péché celui qu’il ne trouva pas affranchi des faiblesses de la mortalité. Car Dieu, qui, dans sa justice et sa miséricorde, disposait de multiples moyens pour relever le genre humain, a préféré choisir pour y pourvoir la voie qui lui permettrait de détruire l’œuvre du diable en faisant appel non à une intervention de puissance, mais a une raison d’équité. Car, non sans fondement, l’antique ennemi, dans son orgueil, revendiquait sur tous les hommes les droits d’un tyran, et, non sans raison, il accablait sous sa domination ceux qu’il avait enchaînés au service de sa volonté, après qu’ils eussent d’eux-mêmes désobéi au commandement de Dieu. Aussi n’était-il pas conforme aux règles de la justice qu’il cessât d’avoir le genre humain pour esclave, comme il l’avait dès l’origine, sans qu’il eût été vaincu par le moyen de ce qu’il avait lui-même réduit en servitude. A cette fin, le Christ fut conçu, sans l’intervention d’un homme, d’une vierge que l’Esprit-Saint et non une union charnelle rendit féconde. Et, tandis que, chez toutes les mères, la conception ne va pas sans la souillure du péché, cette femme trouva sa purification en celui-là même qu’elle conçut. Car, là où n’intervint pas de semence paternelle, le principe entaché de péché ne vint pas non plus se mêler. La virginité inviolée de la mère ignora la concupiscence et fournit la substance charnelle. Ce qui fut assumé de la mère du Seigneur, ce fut la nature, et non la faute. La nature du serviteur fut créée sans ce qui en faisait une nature d’esclave, car l’homme nouveau fut uni à l’ancien i de telle façon qu’il prit toute la vérité de sa race, tout en excluant ce qui viciait son origine.
4. Lors donc que le Sauveur miséricordieux et tout-puissant ordonnait les premiers moments de son union avec l’homme, dissimulant sous le voile de notre infirmité la puissance de la divinité inséparable de l’homme qu’il faisait sien, la perfidie d’un ennemi sur de soi se trouva déjouée, car il ne pensa pas que la naissance de l’enfant engendré pour le salut du genre humain lui fût moins asservie que celle de tous les nouveau-nés. Il vit, en effet, un être vagissant et pleurant, il le vit enveloppé de langes, soumis à la circoncision et racheté par l’offrande du sacrifice légal. Ensuite, il reconnut les progrès ordinaires caractéristiques de l’enfance et, jusque dans les années de la maturité, aucun doute ne l’effleura sur un développement conforme à la nature. Pendant ce temps, il lui infligea des outrages, multiplia contre lui les avanies, y ajouta des médisances, des calomnies, des paroles de haine, des insultes, répandit enfin sur lui toute la violence de sa fureur, et le mit à l’épreuve de toutes les façons possibles ; sachant bien de quel poison il avait infecté la nature humaine, il ne put jamais croire exempt de la faute initiale celui qu’à tant d’indices il reconnut pour un mortel. Pirate effronté et créancier cupide, il s’obstina donc à se dresser contre celui qui ne lui devait rien, mais, en exigeant de tous l’exécution d’un jugement général porté contre une origine entachée de faute, il dépassa les termes de la sentence sur laquelle il s’appuyait, car il réclama le châtiment de l’injustice contre celui en qui il ne trouva pas de faute. Voilà pourquoi deviennent caducs les termes malignement inspirés de la convention mortelle, et, pour une requête injuste dépassant les limites, la dette tout entière est réduite à néant. Le fort est enchaîné par ses propres liens et tout le stratagème du malin retombe sur sa propre tête. Le prince de ce monde une fois ligoté, l’objet de ses captures lui est arraché. Notre nature, lavée de ses anciennes souillures, retrouve sa dignité, la mort est détruite par la mort, la naissance rénovée par la naissance ; car, d’un coup, le rachat supprime notre esclavage, la régénération change notre origine et la foi justifie le pécheur.
5. Toi donc, qui que tu sois, qui te glorifies pieusement avec foi du nom chrétien, apprécie à sa juste valeur la faveur de cette réconciliation. C’est à toi, en effet, autrefois abattu, à toi chassé des trônes du paradis, à toi qui te mourais en un long exil, à toi réduit en poussière et en cendre, à toi à qui ne restait aucun espoir de vie, à toi donc qu’est donné, par l’incarnation du Verbe, le pouvoir de revenir de très loin à ton Créateur de reconnaître ton Père, de devenir libre, toi qui étais esclave, d’être promu fils, toi qui étais étranger, de naître de l’Esprit de Dieu, toi qui étais né d’une chair corruptible, de recevoir par grâce ce que tu n’avais pas par nature, enfin d’oser appel Dieu ton Père, si tu te reconnais devenu fils de Dieu par l’esprit d’adoption. Absous de la culpabilité résultant d’une conscience mauvaise, soupire après le royaume céleste, accomplis volonté de Dieu, soutenu par le secours divin, imite les anges sur la terre, nourris-toi de la force que donne une substance immortelle, combats sans crainte et par amour contre les tentations de l’ennemi, et, si tu respectes les serments de la milice céleste, ne doute pas d’être un jour couronné pour ta victoire dans le camp de triomphe du roi éternel, lorsque la résurrection préparée pour les justes t’accueillera pour te faire partager le royaume céleste.
6. Animés de la confiance qui naît d’une si grande espérance, bien-aimés, demeurez donc fermes dans la foi sur laquelle vous avez été établis, de peur que ce même tentateur, à la domination de qui le Christ vous a désormais soustraits, ne vous séduise à nouveau par quelqu’une de ses ruses et ne corrompe les joies propres à ce jour par l’habileté de ses mensonges. Car il se joue des âmes simples en se servant de la croyance pernicieuse de quelques-uns, pour qui la solennité d’aujourd’hui tire sa dignité non pas tant de la naissance du Christ que du lever, comme ils disent, du « nouveau soleil ». Le cœur de ces hommes est enveloppé d’énormes ténèbres et ils demeurent étrangers à tout progrès de la vraie lumière, car ils sont encore à la remorque des erreurs les plus stupides du paganisme et, n’arrivant pas à élever le regard de leur esprit au-dessus de ce qu’ils contemplent de leurs yeux de chair, ils honorent du culte réservé à Dieu les luminaires mis au service du monde.
Loin des âmes chrétiennes cette superstition impie et ce mensonge monstrueux. Aucune mesure ne saurait traduire la distance qui sépare l’éternel des choses temporelles, l’incorporel des choses corporelles, le maître des choses qui lui sont soumises : car, bien que celles-ci possèdent une beauté admirable, elles ne possèdent cependant pas la divinité qui seule est adorable.
La puissance, la sagesse, la majesté qu’il faut honorer, c’est donc celle qui a créé de rien tout l’univers, et, selon une raison toute puissante, a produit la terre et le ciel dans les formes et les dimensions de son choix. Le soleil, la lune et les astres sont utiles à ceux qui en tirent parti, sont beaux pour ceux qui les regardent, soit ; mais qu’à leur sujet grâces soient rendues à leur auteur et que soit adoré le Dieu qui les a créés, non la créature qui le sert. Louez donc Dieu, bien-aimés, dans toutes ses œuvres et tous ses jugements. Qu’en vous aucun doute n’effleure la foi en l’intégrité de la Vierge et en son enfantement virginal. Honorez d’une obéissance sainte et sincère le mystère sacré et divin de la restauration du genre humain. Attachez-vous au Christ naissant dans notre chair, afin de mériter de voir régnant dans sa majesté ce même Dieu de gloire qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, demeure dans l’unité de la divinité dans les siècles des siècles. Amen.