1. Nous poursuivons nos réflexions sur le célibat et sur la virginité pour le Royaume des Cieux.
La continence pour le Royaume des Cieux a certainement un lien avec la révélation du fait que dans le Royaume des Cieux « on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22, 30). C’est un signe charismatique. L’être humain vivant, homme et femme, – qui dans la situation terrestre où d’habitude « les enfants de ce monde prennent femme et mari » (Lc 20, 34), choisit, de sa libre volonté, la continence pour le Royaume des Cieux, indique que dans ce Royaume qui est « l’autre monde » de la résurrection « on ne prend ni femme ni mari » (Mc 12, 25) parce que Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28). Cet être humain, homme et femme, indique donc la virginité eschatologique de l’homme ressuscité, en qui se révélera, dirais-je, la signification conjugale, absolue et éternelle, du corps glorifié dans l’union avec Dieu lui-même, grâce à la vision de Dieu face à face ; et glorifié, également, grâce à l’union d’une parfaite intersubjectivité, qui unira tous ceux qui prennent part à l’autre monde, hommes et femmes, dans le mystère de la communion des saints. La continence terrestre pour le Royaume des Cieux est certainement un signe qui indique cette vérité et cette réalité. C’est le signe que le corps, dont la fin n’est pas la mort, tend à la glorification, et pour cela même est déjà parmi les hommes, dirais-je, un témoignage qui anticipe la future résurrection. Toutefois, ce signe charismatique de l’autre monde exprime la force et la dynamique les plus authentiques du mystère de la Rédemption du corps : un mystère que le Christ a écrit dans l’histoire terrestre de l’homme et a profondément enraciné dans cette histoire. Ainsi donc, la continence pour le Royaume des Cieux porte surtout l’empreinte de la ressemblance avec le Christ qui, dans l’œuvre de la Rédemption, a fait lui-même ce choix pour le Royaume des Cieux.
2. Ainsi, depuis le début, la vie du Christ fut un discret mais net détachement de ce qui a si profondément déterminé la signification du corps dans l’Ancien Testament. Presque contre toutes les attentes de la tradition vétéro- testamentaire, le Christ est né de Marie qui déclara clairement : « Comment est-ce possible ? je ne connais point d’homme » (Lc 1, 34), et professe donc ainsi sa virginité. Et bien qu’il naisse d’elle comme tout homme, comme un fils de sa mère, bien que sa venue au monde soit également accompagnée de la présence d’un homme qui est l’époux de Marie et, devant la loi et les hommes, son mari, la maternité de Marie est cependant virginale ; et à cette maternité virginale de Marie correspond le mystère virginal de Joseph qui, obéissant à la voix venue d’en haut, n’hésita pas « à prendre Marie chez lui … car ce qui a été engendré en elle vient du Saint-Esprit » (Mt 1, 20). Et donc, bien que la conception virginale et la naissance au monde de Jésus-Christ fussent cachées aux hommes, bien qu’aux yeux des citoyens de Nazareth il fut considéré comme « fils du charpentier » (Mt 13, 55) (ut putabatur filius Joseph : Lc 3, 23), les réalité et vérité essentielles de sa conception et de sa naissance se détachent toutefois d’elles-mêmes de ce qui, dans l’Ancien Testament, était exclusivement en faveur du mariage et rendait la continence incompréhensible et socialement peu appréciée. Ainsi, comment pouvait-on comprendre la continence pour le Royaume des Cieux si le Messie attendu devait être un descendant de David et, estimait-on, de descendance royale selon la chair ? Seuls Marie et Joseph qui ont vécu le mystère de sa conception devinrent les premiers témoins d’une fécondité différente de celle de la chair, c’est-à-dire de la fécondité de l’Esprit : « Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint » (Mt 1, 20).
3. L’histoire de la naissance de Jésus n’est certainement pas sans lien avec la révélation de cette continence pour le Royaume des Cieux, dont Jésus parlera un jour à ses disciples. Mais cet événement restera caché aux hommes de ce temps-là et même aux disciples. Il se dévoilera peu à peu aux yeux de l’Église, sur la base des témoignages et des textes évangéliques de Matthieu et de Luc. Le mariage de Marie avec Joseph, dans lequel l’Église honore Joseph comme époux de Marie et Marie comme son épouse, cache en même temps en soi le mystère de la parfaite communion des personnes, de l’homme et de la femme, dans le pacte conjugal, ainsi que le mystère de cette exceptionnelle continence pour le Royaume des Cieux ; continence qui servait dans l’histoire du salut à la plus parfaite fécondité de l’Esprit-Saint. Mieux, elle sera, en un certain sens, la plénitude absolue de cette fécondité, étant donné que c’est précisément dans les conditions nazaréennes du pacte de Marie et Joseph, dans le mariage et la continence, que s’est réalisé le don de l’incarnation du Verbe éternel : le Fils de Dieu, consubstantiel au Père, conçu et né comme homme du sein de la Vierge Marie. La grâce de l’union hypostatique est, dirais-je, vraiment liée à cette plénitude absolue de la fécondité surnaturelle, fécondité dans l’Esprit à laquelle a pris part une créature humaine, Marie, dans l’ordre de la continence pour le Royaume des Cieux. La maternité divine de Marie est également, en un certain sens, une révélation surabondante de cette fécondité dans l’Esprit-Saint auquel l’homme soumet son esprit quand il choisit librement la continence dans le corps : précisément la continence pour le Royaume des Cieux.
4. Cette image devait peu à peu se révéler à la conscience de l’Église dans la suite des générations toujours nouvelles des confesseurs du Christ, quand se consolida en eux – en même temps que l’Évangile de l’enfance – la certitude de la maternité divine de la Vierge qui avait conçu par l’opération du Saint-Esprit. Bien que de manière seulement indirecte – mais toutefois de façon essentielle et fondamentale – cette certitude devait aider à comprendre, d’une part, la sainteté du mariage et d’autre part, le désintéressement du mariage en vue du Royaume des Cieux, dont le Christ avait parlé à ses disciples. Néanmoins, quand il leur en avait parlé pour la première fois (comme l’atteste Mt 19, 10-12), ce grand mystère de sa conception et de sa naissance, ne leur était pas connu, il leur était resté caché, à eux comme à tous les auditeurs et interlocuteurs de Jésus de Nazareth. Quand le Christ leur parlait de « ceux qui se sont faits eunuques pour le Royaume des Cieux » (Mt 19, 12), les disciples étaient capables de le comprendre seulement sur la base de son exemple personnel. Cette continence devait se graver dans leur conscience comme un trait particulier de ressemblance avec le Christ qui était resté lui-même célibataire pour le Royaume des Cieux. L’éloignement de la tradition de l’Ancienne Alliance où le mariage et la fécondité procréatrice dans le corps avaient été une condition religieusement privilégiée, devait s’effectuer principalement en se basant sur l’exemple du Christ lui-même. Progressivement, s’enracine dans la conscience la signification particulière du « pour le Royaume des Cieux » : cette fécondité spirituelle et surnaturelle de l’homme dont la source est l’Esprit-Saint (Esprit de Dieu), et à laquelle, dans un sens spécifique et dans des cas déterminés, la continence est utile.
Cette continence est précisément la continence pour le Royaume des Cieux. Ces éléments de la conscience évangélique (c’est-à-dire la conscience propre à la Nouvelle Alliance dans le Christ), nous les trouvons plus ou moins tous chez saint Paul. Nous chercherons à le montrer au moment opportun.
En résumé, nous pouvons dire que le thème principal de nos réflexions a été aujourd’hui le rapport entre la continence pour le Royaume des Cieux, proclamée par le Christ, et la fécondité surnaturelle de l’esprit humain qui provient de l’Esprit-Saint.