Pourquoi l’Église ne peut-elle être qu’opposée au mariage entre personnes du même sexe ?
Vous remarquerez que dans ce débat, l’Église catholique ne met pas en avant la croyance mais une position éthique, car ce sont des biens fondamentaux qui sont en jeu. L’Église développe deux types d’objections : l’une liée à la différence sexuelle, l’autre à la place de l’enfant dans l’homoparentalité. Elle pointe aussi le flou qui entoure le sens du mot mariage.
Aujourd’hui, neuf personnes sur dix pensent que le mariage est la célébration sociale de l’amour. Pourquoi, alors, ne pas le célébrer entre deux personnes du même sexe qui s’aiment ? Or, anthropologiquement, traditionnellement, juridiquement, universellement, le mariage n’est pas que cela. Il est l’union entre un homme et une femme en vue de procréation : si on enlève la différence de sexe et la procréation, il ne reste rien, sauf l’amour, qui peut rompre.
Le mariage est aussi une institution et pas seulement un contrat. L’institution du mariage est définie par un corpus de droits et de devoirs des époux entre eux et envers les enfants. La société y intervient comme tiers, considérant qu’elle en a besoin pour l’intérêt général. La société a-t-elle « besoin » de l’amour homosexuel, de couples homosexuels solidaires. Peut-être, mais j’en doute.
La réalité est faite de couples hétérosexuels non mariés avec enfants, de couples mariés sans enfant, de couples homosexuels, avec ou sans enfants… L’Église catholique n’a-t-elle pas au fond des difficultés à accepter les évolutions sociétales ?
Ce n’est pas parce que des couples mariés sont stériles ou choisissent de ne pas avoir d’enfant, que le sens de l’institution change. Elle ménage toujours une place pour l’enfant. En outre, les changements sociologiques actuels me semblent superficiels par rapport à une réalité anthropologique qui demeure.
Si le mariage se limitait à une célébration de l’amour, il n’y aurait plus de fondement pour la filiation, la parenté. Or, qui dit mariage, dit filiation. Aujourd’hui, parenté et conjugalité sont dissociées de fait, mais l’institution continue de les articuler. La présomption de paternité est le cœur du mariage civil. Il articule conjugalité et parentalité et lie la filiation à la naissance. Le droit, et nos contemporains, continuent de penser qu’il est bon d’être le fils ou la fille de ceux dont on est né car la dissociation entre filiation et naissance est cause de souffrance.
Les partisans de l’homoparentalité disent que la différence sexuelle n’a pas d’importance, qu’il n’est pas important qu’un enfant soit né d’untel et d’unetelle ; ils occultent la naissance. Affirmer cela, c’est dire poliment que le corps ne compte pas. C’est grave, car cela revient à penser que tout vient de la volonté et de la culture. Or, le corps aussi est important et le rôle de toute civilisation est de tenir ensemble nature et culture. On est homme ou femme, on peut engendrer ou pas. Il y a là des limites. L’opposition de l’Église s’apparente donc à une résistance à la volonté de toute puissance.
Si l’on vous suit, l’adoption par des couples hétérosexuels ou des célibataires devrait aussi être évitée ?
L’adoption est toujours une souffrance. Mais, dans le cas des couples hétérosexuels, cette souffrance est rattrapée par le fait que le couple adoptant est analogue aux parents biologiques. Le projet actuel nie cette analogie. Quant à l’adoption ouverte aux célibataires, elle a un avantage par rapport à l’adoption par des couples homosexuels : elle dit la carence. En posant qu’il n’y a pas de père ou de mère, la loi dit la vérité. La future loi dirait que l’enfant a deux pères ou deux mères ; elle affirmerait donc une fiction et gommerait la souffrance. Ou alors il faudra dire à l’enfant qu’il a trois parents…
L’Etat ne doit-il pas prendre en compte les nouvelles réalités ?
Il y a une différence entre faire face, accompagner des réalités de familles très complexes et définir, a priori, ce que sera désormais une famille. La société n’est pas dans son rôle en encourageant la précarité. Par ailleurs, les enfants élevés dans des couples homosexuels sont déjà protégés et ces couples entrent dans un cadre juridique. La compagne ou le compagnon du parent peut obtenir une délégation de l’autorité parentale.
Ils ne bénéficient pas pour autant d’une égalité de droits…
Le droit est inférieur, mais c’est normal, car le deuxième membre du couple n’est pas le père ou la mère. L’inégalité n’est pas créée par la loi : elle vient de la situation dans laquelle deux adultes ont mis un enfant. Ce n’est pas à la société de gommer cette inégalité. On confond l’égalité de droits et le droit à l’égalité. C’est un peu cynique de vouloir réformer la loi pour justifier son comportement. On ne peut pas changer la définition de la filiation et de la famille pour tous, pour répondre à la demande de quelques milliers de duos homosexuels minoritaires, qui ont des conduites certes respectables, mais qui posent des questions. Or là, les homosexuels veulent entrer dans la norme en la subvertissant.
Vous récusez donc que le projet de loi soit présenté au nom de l’égalité ?
Absolument. Le slogan du « mariage pour tous » supposerait que le mariage est un bien de consommation auquel tout le monde devrait avoir accès. Refuser cela ne signifie pas être discriminatoire à l’encontre des couples homosexuels. La discrimination consiste à ne pas accorder les mêmes droits dans des conditions similaires. Or, face à la procréation, les couples homos ne sont pas dans la même situation que des couples hétéros. Structurellement, ils ne peuvent pas procréer. En revanche, je pense qu’il y aura discrimination envers les enfants si la loi définit, a priori, que des milliers d’enfants seront privés des biens élémentaires que sont un père et une mère.
Avez-vous compris les propos de Mgr Barbarin, semblant faire un lien entre mariage homosexuel, polygamie et inceste ?
Je ne prononcerai pas le mot inceste mais je vois effectivement dans la création du mariage pour tous l’amorce d’une dérégulation et d’un déni des limites.
Aujourd’hui, l’Église s’efforce de clarifier sa position sur l’homosexualité. Appeler à accueillir les personnes en réprouvant leurs actes est-il tenable ?
On a un héritage biblique, qui objectivement a horreur de l’homosexualité. Mais Jésus n’en parle jamais et pour l’Église l’amour est la valeur suprême. Aussi l’amour entre deux hommes ou deux femmes ne pose pas problème à l’Église ; c’est l’érotisme qui est plus trouble. Ce n’est pas homophobe que de dire que dans les relations homosexuelles, il y a une limitation spécifique. Pour cette raison, l’Église appelle les homosexuels à la continence. Et puis, il faut distinguer entre la parole magistérielle et celle du terrain, plus nuancée.
L’Église a-t-elle eu raison de lancer le débat ?
L’Église remplit un rôle de suppléance, en rappelant que les mots ont un sens. Aujourd’hui, plusieurs termes se diluent : mariage est remplacé par conjugalité, maternité ou paternité par parentalité. Si dans le code civil, « père » et « mère » deviennent « parent », qui sera le parent 1, lequel le parent 2 ? L’Église parle car d’autres ne le font pas. N’y aurait-il pas une forme d’intimidation de la part de certaines associations ? Je me pose la question.