Quarante jours après la naissance du Seigneur, le 2 février, la Présentation au Temple de Jérusalem est un complément du cycle de Noël. La fête est sous le signe de la lumière, en raison de la parole du vieillard Siméon, qui voit dans l’Enfant « la lumière qui éclaire les nations ». Le mot « Chandeleur » vient précisément de candela – la chandelle – reprise dans l’expression Festa candelarum, fête des chandelles. En fait, à l’époque des Romains, il s’agissait d’une célébration en l’honneur du dieu Pan. Toute la nuit, les dévots de cette divinité païenne parcouraient les rues de Rome en agitant des flambeaux. En 472, le pape Gélase 1er décida de christianiser cette fête en la faisant coïncider avec la célébration de la Présentation de Jésus au Temple. De là la bénédiction traditionnelle des cierges avant la Messe et la procession qui anticipe en quelque sorte la nuit pascale. Ce qui souligne l’unité du cycle liturgique et l’orientation de tous les mystères vers la Pâques, où s’accomplit « le salut que Dieu préparait à tous les peuples ». (Pour être complet il faut ajouter qu’au cours des anciennes lupercales romaines, il convenait également de manger une galette de céréales en l’honneur de Proserpine pour obtenir d’elle la fertilité de la terre. Cette pratique s’est maintenue jusqu’à nos jours dans la tradition des crêpes de la Chandeleur !).
La solennité de ce jour veut nous introduire au mystère de l’incarnation comme l’événement de la rencontre entre Dieu et les hommes. Tout le récit de la présentation de Jésus au Temple est empreint de cette « théologie de la rencontre » ou de la « visitation » de Dieu. Une rencontre qui n’a rien de formel : tout se passe dans la simplicité d’un dialogue, d’un échange de regard, d’un sourire, d’un geste respectueux, dans lesquels Dieu et l’homme s’approchent, s’apprivoisent, s’engagent mutuellement.
Car c’est bien le Seigneur qui, porté dans les bras de Marie, entre dans son Temple : il est chez lui dans cet édifice ; c’est lui qu’on y adore. Et pourtant, seul deux vieillards aux yeux déjà éteints, vont le reconnaître là où il se donne à contempler : dans l’humilité d’un enfant offert à nos regards attendris. Dieu n’est pas derrière l’autel des sacrifices ; il ne se rassasie pas du sang des animaux : « c’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice » (Mt 9, 13). Et encore : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un cœur brisé ; du cœur brisé, ô mon Dieu, tu n’as point de mépris ! » (Ps 50). Le cœur que le Seigneur aime est le cœur repentant, qui renonce à vouloir mettre la main sur Dieu, à chercher à le manipuler par sacrifices interposés, et accepte de s’ouvrir à une vraie rencontre, humble et sincère.
Rencontre déconcertante il est vrai : le Verbe éternel cache sa divinité sous le voile de l’humanité qu’il reçoit de la Vierge, et s’offre à nous comme un petit enfant dans les bras de sa mère, tout aussi dépendant d’elle que nous l’avons tous été. En lui nous sommes invités à reconnaître le Fils de Dieu qui se fait Fils de l’homme pour ne pas nous anéantir sous le poids de sa gloire divine. Qui en effet pourrait tenir sous le regard de Dieu ? « L’homme ne saurait me voir et vivre ! » (Ex 33, 20).
Marie et Joseph viennent au Temple pour accomplir un précepte de la Loi ; mais ce faisant, ils présentent aux hommes religieux rassemblés dans le Temple, celui qui vient accomplir tous les préceptes et toutes les lois reçues du Très-Haut dans le contexte de la première Alliance. Pourtant, ce ne sont pas les prêtres chargés du culte, ni les docteurs chargés de l’interprétation de la Torah qui viennent l’accueillir, mais deux « anawim », ces pauvres que Dieu aime précisément en raison de leur humilité de cœur. C’est parce qu’ils ont le cœur pur – purifié de tout orgueil – qu’ils peuvent « voir Dieu » (Mt 5, 8) et reconnaître la présence du Messie dans l’enfant présenté ce jour-là au Temple.
La grande conversion à laquelle nous sommes invités dès les premières pages de l’Évangile consiste à nous laisser surprendre par un Dieu déconcertant, qui cherche à engager avec nous un dialogue empreint de simplicité, de familiarité. N’est-ce pas ce que fera Jésus tout au long de sa vie publique ? Il appelle ses disciples « pour être avec lui », il les invite à entrer dans son intimité ; il vit avec eux en communauté – ce que ne faisait aucun rabbi de l’époque – il trouve sa joie à partager leur convivialité, et instituera même le mémorial de sa Pâques au cours d’un repas.
Aujourd’hui « le Roi de gloire, le Seigneur, le fort, le vaillant des combats, le Dieu de l’univers » nous visite ; il « veut demeurer chez nous » (Lc 19, 5). Ne le cherchons pas dans l’éclat du feu ou dans la rumeur du tonnerre : il vient à nous comme le pauvre, le mendiant d’amour ; comme un enfant dépendant, ou comme ce frère ou cette sœur qui ont besoin de mon aide, de mon accueil, de mon écoute, de mon sourire. Notre cœur est-il suffisamment simplifié pour laisser à Dieu la liberté de nous visiter de manière aussi déconcertante ? Notre regard est-il assez purifié de l’orgueil pour le reconnaître dans un enfant ? Notre désir de la rencontre est-il assez fort pour lui faire une place et lui répondre amour pour amour ?
En rappelant le lien entre la Fête de la Présentation et la Journée de la Vie Consacrée, le pape Benoît XVI exhortait les religieux à être au sein du Peuple de Dieu « comme des sentinelles que l’on aperçoit et qui annoncent la vie nouvelle déjà présente dans l’histoire ». Le dévouement complet des personnes consacrées à Dieu et à leurs frères, « doit devenir pour le monde d’aujourd’hui le signe éloquent de la présence du Règne de Dieu. Leur façon de vivre et d’agir doit manifester sans équivoque la pleine appartenance au seul Dieu. Leur abandon total dans les mains du Christ et de l’Église est le message fort et clair de la présence de Dieu en un langage compréhensible aussi à nos contemporains. Ceci est le premier service que les personnes consacrées rendent à l’Église et au monde ».
Le pèlerinage de foi et de consécration de la Vierge Marie constitue l’archétype de celui de chaque baptisé. Il l’est d’une façon particulière pour ceux qui embrassent la vie consacrée. Comme il est réconfortant de savoir que Marie est à nos côtés, en tant que Mère et Maîtresse, sur notre itinéraire de consécration ! Ô Marie, Mère du Christ et notre Mère, nous te remercions de l’attention avec laquelle tu nous accompagnes sur le chemin de la vie, et nous te demandons : présente-nous aujourd’hui à nouveau à Dieu, notre unique bien, afin que notre vie, ardente d’Amour, soit pour Lui un sacrifice vivant, saint et agréable (Jean-Paul II, Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur, 2 février 2002).