1. Durant notre entretien de mercredi dernier j’ai cité le chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens (Ep 5, 22-33). Maintenant, après ce regard introductif, il convient d’examiner comment ce passage – si important, soit pour le mystère de l’Église, soit pour le caractère sacramentel du mariage – s’encadre dans le contexte immédiat de l’épître entière.
Tout en sachant qu’il existe une série de problèmes discutés par les biblistes concernant les destinataires, la paternité et même la date de composition de l’épître aux Ephésiens, il faut constater que celle-ci a une structure très significative. L’auteur la commence en présentant l’éternel plan du salut de l’homme en Jésus-Christ.
Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ … qui nous a élus en lui pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté à la louange de gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé. En lui nous trouvons la Rédemption par son sang, la rémission des péchés selon la richesse de sa grâce… pour réaliser ce dessein quand les temps seront accomplis : ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ.
Après avoir présenté, avec des paroles pleine de gratitude, le plan qui est en Dieu de toute éternité et, en même temps, se réalise déjà dans la vie de l’humanité, l’auteur de l’épître prie le Seigneur pour que les hommes (et principalement les destinataires de la missive) connaissent le Christ en tant que Chef :
Il l’a constitué au sommet de tout, tête pour l’Église qui est son corps, la plénitude de celui qui se réalise entièrement en toute chose.
L’humanité pécheresse est appelée à une vie nouvelle dans le Christ en qui les païens et les juifs doivent s’unir comme dans un temple (Ep 2, 11-21). L’apôtre est le propagateur du mystère du Christ parmi les païens, les principaux destinataires de son épître, où il écrit que « fléchissant les genoux en présence du Père, il demande qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire, [les] armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en eux l’homme intérieur » Épître aux Éphésiens 3, 14-16.
2. Après une si profonde et suggestive révélation du mystère du Christ dans l’Église, l’auteur passe, dans la seconde partie de son épître, à des directives plus détaillées qui visent à définir la vie chrétienne comme vocation jaillissant du plan divin, dont nous avons parlé précédemment, c’est-à-dire du mystère du Christ dans l’Église. Ici également l’auteur aborde différentes questions qui ont gardé toute leur importance pour la vie chrétienne. Il exhorte à conserver l’unité, soulignant en même temps qu’une telle unité se construit sur la multiplicité et la diversité des dons du Christ. Chacun reçoit un don différent, mais tous les chrétiens doivent, comme tels, « revêtir l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ep 4, 24). A cela se rattache un rappel catégorique à surmonter les vices et à acquérir les vertus correspondant à la vocation que tous les hommes ont reçue dans le Christ (Ep 4, 25-32). L’auteur écrit :
Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui nous a aimés et s’est offert pour nous … en sacrifice .
3. En Ep 5, ces rappels se font encore plus circonstanciés. L’auteur condamne sévèrement les abus des païens. Il écrit :
Jadis vous étiez dans les ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière.
Puis :
Ne vous montrez donc pas inconsidérés, mais sachez voir quelle est la volonté du Seigneur. Et ne vous enivrez pas de vin (Pr 23, 31) … mais cherchez votre plénitude dans l’Esprit. Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur.
L’auteur de l’épître veut indiquer par ces paroles le climat de vie spirituelle qui devrait animer toute communauté chrétienne. A ce point, il passe à la communauté domestique, c’est-à-dire à la famille. Il écrit en effet :
Cherchez votre plénitude dans l’Esprit … En tout temps et à tout propos, rendez grâce à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ … Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Seigneur.
Et ainsi nous abordons précisément ce passage de l’épître qui fera l’objet de notre particulière analyse. Il sera facile de constater que le contenu essentiel de ce texte classique se présente là où se croisent les deux principaux fils conducteurs de toute l’épître aux Ephésiens : – le premier, le mystère du Christ qui, en tant qu’expression du plan divin pour le salut de l’homme, se réalise dans l’Église ; – le second, la vocation chrétienne qui en tant que modèle de vie des baptisés, individuellement et en communautés, correspond au mystère du Christ, c’est-à-dire au plan divin pour le salut de l’homme.
4. Dans le contexte immédiat du passage cité, l’auteur de l’épître s’efforce d’expliquer comment la vie chrétienne ainsi conçue doit se réaliser et se manifester dans les rapports entre tous les membres d’une famille ; donc, non pas seulement dans les relations entre le mari et la femme (dont traite précisément Ep 5, 22-33 que nous avons choisi) mais également celles entre parents et enfants. L’auteur écrit :
Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur : cela est juste. Honore ton père et ta mère, tel est le premier commandement auquel soit attachée une promesse ; pour que tu sois heureux et jouisses d’une longue vie sur la terre. Et vous, parents, n’exaspérez pas vos enfants, mais élevez-les dans l’éducation et la discipline du Seigneur.
Il parle ensuite des devoirs des serviteurs à l’égard des maîtres et, vice versa, des maîtres à l’égard des serviteurs, c’est-à-dire des esclaves (Ep 6, 5-9), ce qui se réfère également aux directives concernant la famille au sens le plus large. La famille est constituée en effet non seulement par les parents et les enfants (dans l’ordre de succession des générations) : y appartiennent aussi, au sens large, les serviteurs et les servantes, les esclaves de l’un et l’autre sexe.
5. Ainsi donc le texte de l’épître aux Ephésiens que nous nous proposons d’analyser en profondeur est situé dans le contexte immédiat des enseignements sur les devoirs moraux de la société familiale (les Haustafeln ou codes domestiques suivant la définition de Luther). Nous trouvons de semblables instructions dans d’autres épîtres (Col 3, 18-4, 1 ; 1P 2, 13-3, 7). Du reste, ce contexte immédiat fait partie de notre passage en ce sens que le texte classique que nous avons choisi a également trait aux devoirs réciproques des maris et des femmes. Il faut cependant noter que Ep 5, 22-33, considéré en soi, est centré exclusivement sur les époux et sur le mariage ; et ce qui concerne la famille, également au sens le plus large, se trouve déjà dans le contexte. Mais avant de passer à une analyse approfondie du texte, il convient d’ajouter que l’épître se conclut par un merveilleux encouragement à la bataille spirituelle (Ep 6, 10-20), par de brèves recommandations (Ep 6, 21-22) et un vœu final (Ep 6, 23-24). Cette invitation à la bataille spirituelle semble se fonder logiquement sur l’argumentation de toute la lettre. Elle est, pour ainsi dire, l’explicite accomplissement de ses fils conducteurs principaux.
Ayant ainsi sous les yeux la structure globale de l’épître aux Ephésiens nous chercherons au cours de la prochaine analyse d’éclairer le sens des paroles : « Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ » (Ep 5, 21), adressées aux maris et aux femmes.