1. Des paroles du Christ sur la future résurrection des morts que les Évangiles synoptiques rapportent tous les trois (Matthieu, Marc, Luc) nous sommes passés à l’anthropologie paulinienne de la résurrection. Nous avons analysé le chapitre 15 de la première épître aux corinthiens (1 Co 15, 14-46).
Selon les paroles de l’Apôtre, le corps humain se révèle dans la résurrection comme incorruptible, glorieux, plein de force, spirituel. La résurrection n’est donc pas seulement une manifestation de la vie qui triomphe de la mort – une sorte de retour final à l’arbre de Vie dont l’homme a été éloigné à cause du péché originel – ; elle est aussi une révélation des ultimes destins de l’homme dans toute la plénitude de sa nature psychosomatique et de sa subjectivité personnelle. A la suite des autres apôtres, Paul de Tarse a expérimenté lui aussi, lorsqu’il a rencontré le Christ ressuscité, l’état de son corps glorifié ; se basant sur cette expérience, il annonce dans Rm 8, 28 la Rédemption du corps et, dans 1 Co 15, 42-49, l’accomplissement de cette Rédemption dans la résurrection future.
2. La méthode littéraire que Paul applique ici correspond parfaitement à son style. Il se sert d’antithèses qui rapprochent et en même temps opposent ; elles servent ainsi à nous faire comprendre la pensée paulinienne au sujet de la résurrection : soit dans sa dimension cosmique, soit en ce qui concerne la caractéristique de la structure interne même de l’homme terrestre et céleste. En effet, en opposant Adam et le Christ (ressuscité) – c’est-à-dire le premier Adam et le dernier Adam – l’Apôtre indique, en un certain sens, les deux pôles entre lesquels, dans le mystère de la Création et de la Rédemption, l’homme a été placé dans le cosmos ; on pourrait même dire que l’homme a été mis en tension entre ces deux pôles dans la perspective des desseins éternels concernant, des origines à la fin, sa même nature humaine. Quand il écrit : « Le premier homme, issu de la terre, est terrestre ; le second homme, vient du ciel » (1 Co 15, 47), Paul a dans l’esprit aussi bien l’Adam-homme que le Christ lui- même comme homme. Entre ces deux pôles – entre le premier et le dernier Adam – se déroule le processus qu’il exprime par ces mots : « Et de même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, ainsi nous serons revêtus de l’image du céleste » (1 Co 15, 49).
3. Cet homme céleste – l’homme de la résurrection dont le Christ ressuscité est le prototype – est moins antithèse et négation de l’homme de la terre (dont le premier Adam est le prototype), que plutôt – et surtout – son accomplissement et sa confirmation. Il est l’accomplissement et la confirmation de ce qui correspond à la constitution psychosomatique de l’humanité dans le cadre des desseins éternels, c’est-à-dire dans la pensée et dans le plan de Celui qui, à l’origine, créa l’homme à son image et ressemblance. L’humanité du premier Adam, homme de la terre, porte en soi une particulière potentialité (qui est capacité et aptitude) à accueillir tout ce que devient le « deuxième Adam », l’Homme céleste, c’est-à-dire le Christ : ce qu’il devient dans sa résurrection.
Cette humanité à laquelle ont part tous les hommes, fils du premier Adam, avec l’héritage du péché – étant charnelle – est à la fois corruptible et porte en soi la potentialité de l’incorruptibilité.
Cette humanité qui, dans toute sa constitution psychosomatique se révèle corruptible, contient toutefois l’intime désir de la gloire, c’est-à-dire l’aptitude et la tendance à devenir glorieuse, à l’image du Christ ressuscité. Enfin, cette humanité dont l’Apôtre dit – conformément à l’expérience de tous les hommes – qu’elle est faible, qu’elle a un corps psychique, contient l’aspiration à devenir pleine de force et spirituelle.
4. Ici nous parlons de la nature humaine intégrale, c’est- à-dire dans sa constitution psychosomatique. Paul parle au contraire du corps. Nous pouvons toutefois admettre, sur la base du contexte immédiat et du contexte lointain, que pour lui il ne s’agit pas seulement du corps, mais de l’homme tout entier, dans sa constitution corporelle, donc également dans sa complexité ontologique. Il est en effet incontestable que, si précisément dans tout le monde visible (cosmos), seul ce corps, qu’est le corps humain, contient en puissance la résurrection, – c’est-à-dire le désir et la capacité de devenir définitivement incorruptible, glorieux, plein de force, spirituel, – ceci advient parce que, persistant depuis l’origine dans l’unité psychosomatique, il peut saisir et reproduire dans cette « terrestre » image et ressemblance de Dieu également l’image « céleste » de l’ultime Adam, le Christ. L’anthropologie paulinienne de la résurrection est à la fois cosmique et universelle : tout homme a en soi l’image d’Adam et chacun est également appelé à porter en soi l’image du Christ, l’image du Ressuscité. Cette image est la réalité de l’autre monde, la réalité eschatologique (saint Paul écrit : nous revêtirons) ; mais entre-temps, elle est déjà d’une certaine manière une réalité de ce monde, étant donné qu’elle a été révélée en lui grâce à la résurrection du Christ. C’est une réalité greffée dans l’homme de ce monde, réalité qui mûrit en lui en vue de l’accomplissement final.
5. Toutes les antithèses qui se suivent dans le texte paulinien aident à tracer une esquisse valable de l’anthropologie de la résurrection. Cette esquisse est en même temps plus détaillée que celle qui ressort du texte des Évangiles synoptiques (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 34-35), mais par ailleurs elle est en un certain sens plus unilatérale. Les paroles du Christ transmises par les Synoptiques nous ouvrent la perspective de la perfection eschatologique du corps, soumis pleinement à la profondeur divinisante de la vision face à face où trouveront leur source inépuisable tant la virginité perpétuelle (unie à la signification conjugale du corps) que la permanente intersubjectivité de tous les êtres humains qui prendront part (comme hommes et femmes) à la résurrection. L’esquisse paulinienne de la perfection eschatologique du corps glorifié semble se maintenir plutôt dans le cadre de la structure intérieure même de l’homme-personne. Son interprétation de la résurrection future semble se rattacher au dualisme corps- esprit qui constitue la source du système de forces intérieur de l’homme.
6. Ce système de forces subira un changement radical dans la résurrection. Les paroles de Paul qui le suggèrent de manière explicite ne sauraient toutefois être entendues et interprétées selon l’esprit de l’anthropologie dualiste [1], comme nous chercherons à le démontrer au cours de nos analyses suivantes. Il conviendra en effet que nous consacrions encore une réflexion – à la lumière de la première épître aux Corinthiens – à l’anthropologie de la résurrection.
Note
[1] Paul ne tient absolument pas compte de la dichotomie grecque âme et corps… L’apôtre recourt à une sorte de trichotomie où la totalité de l’homme est corps, âme et esprit … Tous ces termes sont mouvants et la division elle-même n’a pas de frontière fixe. Il y a insistance sur le fait que le corps et l’âme sont capables d’être pneumatiques, spirituels » (B. RIGAUX, Dieu l’a ressuscité. Exégèse et théologie biblique, DUCULOT, Gembloux, 1973, p. 406-408).