Aux chanoines de Lyon sur la conception de sainte Marie,
J’ai appris que l’on tient quand même pour jour festif et saint, dans l’Église et par l’Église, la naissance de la Vierge, avec d’autant plus de force que l’Église juge qu’elle a reçu la sanctification dans le sein, et qu’elle en a été ainsi rendue sainte. Et je lis au sujet de Jérémie, qu’avant de sortir du ventre de sa mère, il a été sanctifié et je ne considère pas autrement Jean Baptiste, qui a reconnu hors du sein le Christ dans le sein […].
Aussi, ce que l’on s’accorde à reconnaître à quelques hommes, on ne peut pas ne pas l’accorder à la Vierge, elle grâce à qui toute la nature mortelle s’est élevée vers la vie. Il ne fit pas de doute que la Mère du Christ a été sainte avant d’être née, et l’Église ne commet absolument pas de faute en considérant que le jour de sa naissance est saint et en le célébrant partout et chaque année avec allégresse. Et je pense qu’une bénédiction de sanctification plus abondante est descendue en elle, qui a non seulement sanctifié sa naissance mais a gardé ensuite sa vie indemne de tout péché, ce qui, croit-on, n’a été donné à aucun autre né d’une femme. Il convenait que la Reine des vierges, par le privilège d’une sainteté particulière, menât une vie sans péché, elle qui, alors qu’elle enfanterait le destructeur du péché et de la mort, obtiendrait pour tous le don de la vie et de la justice. Sa naissance est donc sainte, puisque la sainteté répandue en elle et sortant de son ventre l’a rendu sainte.
Pourquoi ajouter quelque chose à ces honneurs ? Pour que soit honorée la conception, disent-ils, qui a précédé l’honorable engendrement, puisque si cette dernière n’avait pas eu lieu avant, cet honorable engendrement n’existerait pas. Et quoi, si quelqu’un, à cause du même argument, affirmait qu’il faut rendre les honneurs solennels à chacun de ses parents ? Mais on pourrait réclamer pour la même raison la même chose pour ses grands parents et ses aïeux, et cela tendrait à l’infini et il n’y aurait pas assez de fêtes […].
Où est donc la sainteté de la conception ? Dit-on que la Vierge a été préservée par la sanctification, dans la mesure où elle a été conçue déjà sainte, et par là, sa conception a été sainte, de même que l’on dit qu’elle a déjà été sanctifiée dans le sein de telle sorte que s’en est aussi suivie une naissance sainte ? Mais il n’est pas possible qu’elle soit sainte avant d’avoir été, puisqu’elle n’était pas avant d’avoir été conçue. A moins que dans l’accouplement, la sainteté se soit mêlée à la conception, de sorte qu’elle a été à la fois conçue et sanctifiée ? On ne peut admettre un tel raisonnement. Car comment y aurait-il sainteté sans la sanctification de l’Esprit, et association avec le saint Esprit là où il a péché ? Et assurément, comment n’y aurait-il pas péché, là où concupiscence il y a eu ? Sauf à dire peut-être qu’elle n’a pas été conçue d’un homme mais du saint Esprit mais cela ne s’est jusqu’à présent jamais entendu (…). Et si l’on peut parler de ce que l’Église pense et ce qu’elle pense est vrai, je dis que la glorieuse Vierge a conçu du saint Esprit et non qu’elle a été conçue de lui, je dis que vierge elle a engendré et non qu’elle a été engendrée d’une vierge. Où serait du reste le privilège de la Mère de Dieu, celui de s’enorgueillir du don d’un enfant et de l’intégrité de sa chair, si on l’accordait également à sa mère ? Ce n’est pas honorer la Vierge, mais lui retirer un honneur. Si donc il ne lui est absolument pas possible d’être sanctifiée avant la conception, puisqu’elle n’était pas, ni pendant sa conception, à cause de la présence du péché, il reste qu’il faut croire qu’elle a reçu la sanctification après la conception, quand elle existait déjà dans le sein, sanctification qui, en la préservant du péché, rend sa naissance sainte et non sa conception.
C’est pourquoi, même s’il a été accordé à peu de fils d’hommes de naître avec la sainteté, il n’en a pas été d’être conçu ainsi, de sorte que le privilège de la conception sainte a été préservé pour le seul qui a sanctifié tous les hommes et que le seul à venir sans péché, a fait réparation des péchés. Ainsi, seul le Seigneur Jésus a été conçu du saint Esprit, parce qu’il est le seul à être saint avant sa conception. (…) Puisqu’il en est ainsi, quelle serait la raison de la fête de la Conception ? Ceci convenu, affirmerait-on que la conception est sainte, là où il n’y a pas eu le saint Esprit, pour ne pas dire là où il y a eu péché, ou la fêtera-t-on, alors qu’elle n’est absolument pas sainte ? La glorieuse Vierge se passera bien volontiers de cet hommage, où l’on honore le péché et l’on suppose une fausse sainteté. [1]
Texte original latin
Ad canonicos Ludgdunense de Conceptione S. Mariae.
Sed et ortum virginis didici nihilominus in Ecclesia et ab Ecclesia indubitanter habere festivum atque sanctum, firmissime cum Ecclesia sentiens in utero eam accepisse ut sancta prodiret. Et de Ieremia siquidem lego quod, priusquam de vulva exiret, sanctificatus sit, et de Ioanne Baptista non secus sentio, qui ex utero Dominum in utero sensit […].
Quod itaque vel paucis mortalium constat fecisse collatum, fas certe non est suspicari tantae Virgini esse negatum, per quam omnis mortalitas ermesit ad vitam. Fuit procul dubio et Mater Domini ante sancta quam nata, nec fallitur omnino sancta Ecclesia sanctum reputans ispum Nativitatis eius diem et omni anno cum exsultatione universae terrae votiva celebritate suscipiens. Ego puto quod et copiosor sanctificationis benedictio in eam descenderit, quae ipsius non solum sanctificaret ortum, sed et vitam ab omni deinceps peccato custodiret immunem, quod nemini alteri in natis quidem mulierum creditur esse donatum. Decuit nimirum Reginam virginum, singularis privilegio sanctitatis, absque omni peccato ducere vitam, quae dum peccati mortisque pareret peremptorem , munus vitae et justitiae omnibus obtineret. Sanctus igitur ortus, quoniam immersa prodiens ex utero sanctitas sanctum fecit illum.
Quid adhuc addendum his putamus honoribus ? Ut honoretur, inquiunt et conceptus, qui honorandum praeivit partum, quoniam si ille non praecessisset, nec iste esset qui honoratur. Quid, si alius, propter eamdem causam, etiam utrique parenti eius festos honores asserat deferendos ? Sed et de avio et proavis idipsum posset pro simili causa quilibet flagitare, et sic tenderetur in infinitum, et festorum non esset numerus […].
Unde ergo conceptionis sanctitas ? An dicitur sanctificatione praeventa, quatenus jam sancta conciperetur ac per hoc sanctus fuerit et conceptus, quemadmodum sanctificata iam in utero dicitur, ut sanctus sequeretur et ortus ? Sed non valuit ante sancta esse quam esse, siquidem non erat antequam conciperetur. An forte inter amplexus maritales sanctitas se ipsi conceptioni immiscuit, ut simul et sanctificata fuerit, et concepta ? Ne hoc quidem admittit ratio. Quomodo namque aut sanctitas absque Spiritu sanctificante, aut Sancto Spiritu societas cum peccato fuit ? Aut certe peccatum quomodo non fuit, ubi libido non defuit ? Nisi quis forte dicat de Spiritu Sancto eam, et non de viro conceptam fuisse, sed id hactenus inauditum (….). Et si licet loqui quod Ecclesia sentit, et verum ipsa sentit, dico gloriosam de Spiritu Sancto concepisse, non autem et conceptam fuisse, dico peperisse virginem, non tamen et partam a virgine. Alioquin ubi erit praerogativa Matris Domini, qua singulariter creditur exsultare et munere prolis, et integritate carnis, si tantumdem dederis et matri ipsius ? Non est hoc Virginum honorare, sed honori detrahere. Si igitur ante conceptum sui sanctificari minime potuit, quoniam non erat, sed nec in ipso quidem conceptu, propter peccatum quod inerat, restat ut post conceptum in utero iam exsistens, sanctificationem accepisse credatur, quae, excluso peccato, sanctam fuerit nativitatem, non tamen et conceptionem.
Quamobrem, etsi quibus vel paucis filiorum hominum datum est cum sanctitate nasci, non tamen et concipi, ut uni sane servaretur sancti praerogativa conceptus, qui omnes sanctificaret, solusque absque peccato veniens, purgationem faceret peccatorum. Solus itaque Dominus Iesus de Spiritu Sancto conceptus, quia solus et ante conceptum sanctus. (…) Cum haec ita se habeant, quaenam iam erit festivae ratio Conceptionis ? Quo pacto, inquam, aut sanctus asseretur conceptus, qui de Spiritu Sancto non est, ne dicam de peccato est, aut festus habebitur qui minime sanctus est ? Libenter gloriosa hoc honore carebit, quo vel peccatum honorari, vel falsa induci videtur sanctitas.