Le vêtement liturgique ne doit pas être pensé en dehors de l’action liturgique, mais pour elle. C’est un vêtement qui a une fonction, un but précis. Un but autre que celui de couvrir le corps, de le préserver du froid et du chaud, de parer celui qui le porte, etc.
Ce n’est pas un vêtement de théâtre, il n’aide pas à entrer dans un rôle, à situer un personnage mais il doit faire percevoir que nous sommes dans une action qui est « mystère de foi ». Il ne doit pas accaparer l’attention de celui qui le porte, ni de ceux qui le voient, mais contraindre à la dignité, et s’harmoniser avec la louange émerveillée qui est l’atmosphère de la liturgie. C’est un vêtement de célébration. Ce n’est pas un vêtement de statuaire, il n’est pas fait pour être porté par un homme immobile, mais doit accompagner, souligner les gestes du célébrant, les rendre plus visibles et plus beaux.
Ce vêtement, contrairement au vêtement profane, n’est pas fait pour mettre en valeur la personnalité de celui qui le porte il doit être, au contraire, assez intemporel pour lui permettre de s’effacer dans le mystère qu’il célèbre. Il doit être sans ambiguïté vêtement liturgique chrétien, et s’insérer dans seize siècles de tradition. Mais pour correspondre à notre sensibilité d’aujourd’hui, il peut et doit avoir son évolution, la marque de son époque, de son pays, du lieu où il doit être porté avec son éclairage propre et la communauté pour laquelle il est fait.
II n’y a pas qu’un vêtement liturgique. Le baptême, le sacrement de réconciliation, l’Eucharistie, […] les funérailles, sont des actions liturgiques très différentes, et toutes les célébrations eucharistiques ne sont pas semblables. Le diacre, le prêtre, les prêtres concélébrants, l’évêque, le laïc accomplissant certaines fonctions doivent porter les vêtements adaptés à la célébration et à leur rôle dans la célébration. Peut-il y avoir dans cette perspective des vêtements liturgiques autres que aubes, étoles, chasubles, dalmatiques et chapes ? Que la réponse soit positive ou négative, la remarque de Sœur A. Flüeler reste vraie :
Faire du vêtement sacré un vêtement fonctionnel, réalisé uniquement en vue de son usage pratique, est une intention étrangère à l’esprit de la liturgie.
[…] De plus, il faut remarquer qu’un vêtement comme la chasuble est rarement un vêtement personnel, puisqu’elle est faite le plus souvent en fonction d’un lieu, donc sa taille et sa forme doivent pouvoir convenir à différentes statures d’hommes. Dans l’assemblée célébrante, le vêtement est un signe d’identité. Il manifeste le ministère dont telle personne a été littéralement « investie » — du latin vestis, le vêtement. Avec les symboles qui tissent la célébration (gestes, objets, musique, architecture), il situe aussi le culte chrétien du côté de la beauté, de cette suavitas dont parlent les Pères de l’Église et qui caractérise l’acte de foi.
Histoire
Comme l’écrivait le moine Walafrid Strabon, vers 850, les vêtements liturgiques « n’ont acquis que par accroissements successifs cette beauté qu’ils ont maintenant : aux premiers temps, en effet, on célébrait la messe avec le costume ordinaire ». Les différentes pièces du vestiaire liturgique proviennent du costume porté à la fin de l’Antiquité romaine par les gens de la bonne société. La mode laïque ayant changé, le costume antique se maintint à travers les usages cultuels. C’est au VIIIe siècle que se trouve consommée en Occident la distinction entre les deux vestiaires — le clergé de l’Orient ayant adopté plus tôt certains insignes spéciaux (l’omophorion des évêques [1], l’orarion des diacres [2]).
Les liturgistes de l’époque carolingienne, méconnaissant d’ailleurs la véritable origine des vêtements cultuels, leur conféreront une signification mystique et édifiante qu’il faut bien qualifier de déviation allégorique par rapport à un authentique symbolisme. Plus tard, à partir du XIIIe siècle, on assistera à une curieuse évolution des formes. En effet, à cause de la lourdeur des riches étoffes et de la surcharge des décorations, on recherchera une plus grande commodité pour les mouvements des ministres. Les formes courtes, stylisées, vont l’emporter sur les formes amples. En réalité on ne parle plus de vêtements mais bien d’ornements !
Les vêtements principaux
L’aube
C’est le vêtement chrétien de base, commun à tous les ministres. Dans l’Antiquité, l’aube est un vêtement de dessous. Comme l’indique son étymologie (du latin albus qui signifie « blanc »), il s’agit d’un vêtement blanc. Pour le Nouveau Testament, la blancheur symbolise la résurrection, la vie nouvelle qui vient du mystère pascal, la gloire du royaume des cieux. Le vêtement blanc convient donc au nouveau baptisé, au premier communiant, à la jeune mariée : il marque la joie, innocente et victorieuse, qui vient de l’entrée dans un monde neuf.
J’ai vu une foule immense […] ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main […] ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements […] dans le sang de l’Agneau » (Ap 7, 9…14).
L’étole
Du grec stolè, le vêtement de dessus. Sans qu’on puisse déterminer historiquement de quel vêtement il s’agissait à l’origine. Echarpe ou pièce plus ample ? En fait, le terme que l’on rencontre vers la fin de l’Antiquité, tant en Orient qu’en Occident, est orarium : sorte de serviette ou de mouchoir, de luxe plutôt, et qui devient progressivement un insigne. Et il l’est, dans l’Église, pour tous ceux qui ont reçu le sacrement de l’ordre : évêques, prêtres, diacres. Mais ces derniers portent cette bande d’étoffe qu’est l’étole, en bandoulière à partir de l’épaule gauche, alors que pour les premiers elle pend devant en deux bandes d’égale longueur. Amalaire (VIIIème siècle) confère à l’étole le symbolisme du joug doux et léger du Seigneur (Mt 11 , 30).
La chasuble
En latin, casula signifie « petite maison ». En effet, l’antique paenula, manteau d’hiver ou de voyage, devint, vers le IIIe siècle, un vêtement d’apparat qui se substitua à la toge. La casitia, que l’on enfilait par la tête, était bien comme une petite maison pour celui qui la portait. On trouve la chasuble dans les mosaïques chrétiennes. Longtemps elle fut le vêtement de tous les clercs, à Rome du moins, avant d’être réservée aux seuls évêques et prêtres — alors que la dalmatique devint le vêtement propre aux diacres (mais certains évêques la portaient également). Aujourd’hui elle est le vêtement habituel du prêtre qui célèbre la messe.
Pour Raban Maur (VIIIème s), la chasuble symbolise la charité. Certains commentateurs, s’appuyant sur le fait que la chasuble s’appelle aussi « planète » (en italien notamment), car elle est ronde et permet de tourner autour du corps, lui attribue un symbolisme cosmique. Le prêtre qui la revêt prie, en effet, pour tout l’univers.
La chape
Il s’agit d’un manteau ample, sans manches mais avec capuchon, que le prêtre, et d’autres ministres aussi, revêtent lors de certains offices solennels, en dehors de la messe. L’abondant métrage du tissu permit rapidement une décoration somptueuse sur ce type de vêtement. Au Xème siècle déjà, les inventaires de cathédrales et de monastères montrent que les chapes sont nombreuses.
Des couleurs
L’harmonie est la base de la théorie de la couleur. La mélodie est l’unité dans la couleur, ou la couleur générale. La mélodie veut une conclusion ; c’est un ensemble où tous les effets concourent à un effet général (Baudelaire, Salon 1846, III).
Les couleurs expriment quelque chose : toute culture a son code en la matière, toujours un peu secret, qu’il s’agit de déchiffrer. L’étymologie rattache d’ailleurs le terme color à la racine ce qui renvoie à l’idée de cacher.
Toutes les couleurs ne sont pas visibles directement […] : on peut trouver un derme sous l’épiderme » (Michel Brière).
En Occident, le second Moyen Age a élaboré plusieurs théories sur les couleurs. Au XIIème siècle, une règle fixant leur emploi dans le culte a été édictée par les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
Mais le traité majeur, et qui constitue la base de l’usage actuel, fut l’œuvre du pape Innocent III au début du XIVème siècle. Il ne fait que reprendre le symbolisme véhiculé par ses devanciers. Notons cependant que le spectre varie souvent d’une région à l’autre, voire d’une cathédrale à une autre. Enfin, il ne faut pas isoler les vêtements de leur environnement célébratoire : murs et colonnes des églises, tentures, vitraux. Le spécialiste Michel Pastoureau parle de la « mise en couleurs » des églises qui se produit dans le second Moyen Âge. Bien des prélats sont alors « chrornophiles » ! « La couleur articule l’espace et le temps, exprime les rythmes et les accents, distingue les acteurs, les lieux et les moments ».
Blanc
C’est la couleur de Pâques et de Noël ; des fêtes du Seigneur (qui ne sont pas celles de sa Passion) et de la Vierge Marie, des saints non martyrs, etc. Dans notre culture, le blanc est associé à la lumière et à la joie, à la pureté et à la perfection : voir supra à propos de l’aube blanche. Le noir est bien sûr son opposé. Et parce que toutes les couleurs réunies produisent le blanc, ce dernier évoque encore l’absolu, le début ou la fin. Mais, chez les Slaves et en Asie, c’est la couleur de la tristesse.
Rouge
On l’emploie le dimanche de la Passion et le Vendredi saint, à la Pentecôte, aux fêtes de la Passion du Seigneur et des martyrs. Évoquant le feu et le sang, c’est une couleur ambivalente. Du côté négatif, nous trouvons la guerre, la force destructrice du feu, du sang répandu, de la haine. Du côté positif, la vie, l’amour, la chaleur, le désir, la fertilité. C’est une couleur « ostentatoire » : dans la Florence du XVème siècle, les citoyens en avaient fait leur emblème… Sans oublier la pourpre impériale dans la Rome antique ni celle des cardinaux !
Vert
C’est la couleur liturgique du temps ordinaire. Les « dimanches verts » après la Pentecôte. Nous voici dans le règne végétal, en plein printemps renaissant. Couleur de la vie, de l’eau, de la fraîcheur. Comme elle évoque le renouveau saisonnier de la nature, elle symbolise l’espérance. Au Moyen Age, on peignait la croix du Christ en vert, justement en signe du renouveau apporté par le Sauveur et de la réintégration de l’humanité dans le Paradis retrouvé.
Violet
Il est attribué à l’avent et au carême, temps de préparation, d’attente, de pénitence (surtout pour le second). Il remplace avantageusement le noir aux offices des défunts, qui est la couleur de l’affliction privée d’espérance et même du mal. Par sa composition (bleu et rouge), le violet est un « rouge refroidi », selon l’expression de Kandinsky. Et, comme il se trouve en équilibre entre le bleu et le rouge, l’art chrétien s’en est servi pour évoquer l’union parfaite en Christ de l’humain et du divin.
Jaune-or
Le cérémonial du cardinal de Noailles (1703) prescrivait cette couleur à Notre-Dame de Paris pour certaines grandes fêtes. Elle nous rattache à la lumière et au soleil, à l’éternité et à l’illumination du Royaume. La peinture médiévale a abondamment utilisé l’or pour décrire la lumière céleste. Le plus noble des métaux ajoute encore les connotations d’immutabilité, d’éternité et de plénitude.
Aux jours les plus solennels, on peut employer des vêtements liturgiques particulièrement beaux, même s’ils ne sont pas de la couleur du jour (Présentation Générale du Missel Romain (P.G.M.R), n. 309).
Notes
[1] Bande de tissu portée autour du cou, et descendant largement vers le sol. C’est l’ancêtre du pallium actuel dans l’Église d’Occident (collier de tissu, avec deux petites bandes descendant devant et derrière et ornées de croix, remis par le pape aux archevêques en signe de communion).
[2] Comme l’étole du diacre dans l’Église d’Occident.