Le sacrement de l’ordre et son origine apostolique
La problématique est la suivante : Peut-on dire qu’il y ait eu des évêques ordonnés sans recours à un évêque institué dans les communautés chrétiennes primitives ? Au regard de l’expansion rapide du christianisme, certains patrologues soutiennent la thèse d’une « génération spontanée » d’épiscopes au sein des nouvelles communautés chrétiennes encore non organisées institutionnellement, certains sièges épiscopaux ne seraient donc pas issus des apôtres. D’autre part, les premiers chrétiens ordonnaient leurs évêques sous forme collégiale : avec l’ensemble des prêtres et des évêques présents. D’où la seconde question : Y avait-il toujours un évêque présent dans ces assemblées collégiales au moment d’une ordination épiscopale ?
Ces questions doivent être considérées sérieusement car elles mettent en cause la continuité du sacrement de l’ordre quand elles suspectent qu’une partie au moins des sièges épiscopaux ne remonteraient pas aux apôtres. Les réponses à ces problématiques sont bien connues mais nous allons tenter de les exposer clairement ici.
Une « génération spontanée » d’évêques ?
Au regard des éléments à notre disposition nous ne pouvons pas adhérer à une succession épiscopale coupé d’une racine apostolique. On peu déjà remarquer dans la lettre à Tite le souci de saint Paul d’instituer des presbytres pour la jeune Église de Crète :
Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour que tu y achèves l’organisation et que tu établisses dans chaque ville des anciens (presbyteroi), suivant mes instructions ».
Bien sûr, les termes presyteroi et episcopoi ne sont pas synonymes, mais les rôles respectifs de presbytre (« ancien ») et d’épiscope (« surveillant ») n’étaient pas encore clairement définis à ce moment là : ces termes sont bien souvent interchangeables dans le Nouveau Testament (cf. TOB, p. 2895, note z). Les rôles de chacun ne se préciseront dans leur attribution actuelle que plus tard.
Pour la période des Pères apostoliques, contemporaine des écrits du Nouveau Testament, nous avons le témoignage de l’un d’entre eux. En plus d’un témoignage précieux faisant remonter l’origine de cette pratique à l’aube du christianisme les raisons théologiques sont clairement énoncées par Clément de Rome :
Les apôtres nous ont annoncé la bonne nouvelle de la part de Jésus-Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les apôtres du Christ. Cette double mission elle-même, avec son ordre, vient donc de la volonté de Dieu. Munis des instructions de notre Seigneur Jésus-Christ, pleinement convaincus par sa résurrection, et affermis dans leur foi en la parole de Dieu, les apôtres allaient, tous remplis de l’assurance que donne le Saint-Esprit, annoncer partout la bonne nouvelle de la venue du Royaume des cieux. À travers les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices [1] ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. Et ce n’était pas là chose nouvelle : depuis de longs siècles déjà l’Écriture parlait des évêques et des diacres ; elle dit en effet : « J’établirai leurs évêques dans la justice, et les diacres dans la foi (Is 60, 7) [2].
Nos apôtres aussi ont connu par notre Seigneur Jésus Christ qu’il y aurait querelle au sujet de la fonction épiscopale. C’est bien pour cette raison qu’ayant reçu une connaissance parfaite de l’avenir, ils établirent ceux dont il a été question plus haut [les épiscopes et les diacres], et posèrent ensuite comme règle qu’après la mort de ces derniers, d’autres hommes éprouvés leur succéderaient dans leur office. Donc ceux qui ont été établis par eux, ou ensuite par d’autres hommes éminents, avec l’approbation de toute l’Église […], nous estimons qu’il n’est pas juste de les démettre de leurs fonctions.
Ici est posé le souci des premiers chrétiens de lier l’épiscope à son origine apostolique, préoccupation trop importante au yeux de l’auteur pour imaginer une ordination épiscopale ne respectant pas les règles.
La succession épiscopale sous forme collégiale
Se pose ensuite le problème de l’élection de cet épiscope : fut-il ordonné par l’un de ses pairs ou par de simple prêtres ? Irénée de Lyon, qui face aux gnoses hérétiques exposa le concept de succession apostolique, ne parle pas des différentes formes de successions épiscopales antérieures au IIème siècle comme la succession sous forme collégiale, il semble que pour lui la succession épiscopale sous sa forme individuelle telle que lui et nous-même la connaissons remonte aux apôtres (cf. Jacques Fantino « Irénée de Lyon (vers 140-200) sa vie son œuvre » in Irénée de Lyon, p. 6.
La succession collégiale était une forme où tous les évêques et les prêtres présents participaient à l’ordination d’un homme dans la liturgie, mais seuls les évêques lui imposaient les mains pour l’ordination de l’épiscope, au IIIème siècle la différence entre prêtres et évêque était bien posée :
Qu’on ordonne comme évêque (episcopus) celui qui a été choisi par tout le peuple. Lorsqu’on aura prononcé son nom et qu’il aura été agréé par tous, le peuple se rassemblera, avec le collège des prêtres (presbyterio) et les évêques (episcopi) qui sont présents, le dimanche. Du consentement de tous, que ceux-ci lui imposent les mains et que le collège des prêtres se tienne là sans rien faire. Que tous gardent le silence et prient dans leur cœur pour la descente de l’Esprit-Saint. Qu’un des évêques présents, à la demande de tous, en imposant la main à celui qui reçoit l’ordination épiscopale prie en ces termes : […].
La succession épiscopale sous forme collégiale avait comme intérêt de mieux démontrer l’origine du sacrement épiscopal : l’évêque est ordonné en vu d’une Église particulière et c’est d’elle qu’il tire sa légitimité. Simultanément, la tradition a toujours comprise cette légitimité en lien avec une origine apostolique, d’où la présence d’autre évêques qui seuls peuvent imposer les mains (rappelons ici que l’imposition des mains est une composante majeure de l’ordination d’un évêque avec la prière de consécration ; cf. 2 Tm 1, 6 ; 1 Tm 4, 14). La succession épiscopale est sauvegardée sous la forme concrète de l’imposition des mains de la part des évêques présents, donc sans rupture formelle avec une origine apostolique. Enfin, il n’existe pas de documents décrivant une ordination épiscopale sans évêques consécrateurs.
L’épiscopat sous sa forme individuelle
Conclusion
Bibliographie
Sources
- Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, trad. fr. Annie Jaubert, Sources Chrétiennes n° 167, Cerf, Paris, 1971.
- Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, nouvelle édition, trad. fr. Adelin Rousseau, moine de l’abbaye d’Orval, Sagesses Chrétiennes, Cerf, Paris, 2001.
- Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, trad. fr. B. Botte, o. s. b., Sources Chrétiennes n° 11 bis, Cerf, Paris, 1968.
- Concile Vatican II, Dei Verbum, trad. fr. M. le chanoine G. Blond et R. P. Y. Congar, o. p., in Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, Canada, 2001.
Commentaires
- Jacques Fantino « Irénée de Lyon (vers 140-200) sa vie son œuvre » in collectif, Irénée de Lyon, Connaissance des Pères de l’Église, n. 82, Mortagne-au-Perche, Nouvelle Cité, 2001.
- « Évêque » in Catholicisme, encyclopédie, vol. IV, dir. G. Jacquemet, Paris, Letouzey et Ané, 1956.
- Société Biblique Française, TOB, Paris, Cerf, 2000.
Notes
[1] Les premiers chrétiens.
[2] En Isaïe 60, 7 le texte hébraïque fait mention de « gouverneurs » et de « magistrats », le texte grec de la Septante de « gouverneurs » et d’ « épiscope ». Clément force le texte en le faisant parler de « diacres » et d’ « épiscopes ». C’est une faiblesse dans son argumentation. Mais cette citation maladroite n’est pas un élément necessaire à sa démonstration qui garde aujourd’hui encore toute sa force.