Pourquoi Dieu n’intervient-il pas ? Pourquoi laisse-t-il assassiner ces enfants ? Même si pour les historiens leur nombre n’aurait pas dépassé une dizaine, c’est encore dix de trop ! La mort d’un seul enfant innocent est un scandale insoutenable dont nous avons du mal à ne pas rendre Dieu responsable du fait qu’il ne l’a pas empêché. N’a-t-il pas envoyé un Messager céleste pour informer Joseph ? Il a su préserver son Fils, mais ne semble guère se soucier des autres !
Certes l’intervention de l’Ange va sauver l’Enfant… cette fois-ci ! Mais c’est afin qu’il puisse d’abord assumer toutes les étapes de notre humanité, avant d’atteindre l’Heure où il livrera sa vie en sacrifice d’amour.
Non la mort des enfants victimes de la haine d’Hérode n’est pas stérile ; ni la souffrance injustifiable de tant de millions d’enfants, d’hommes et de femmes innocents tout au long de l’histoire. Pour pressentir quelque peu le retournement de situation que l’incarnation rédemptrice introduit dans le mystère du mal, il nous faut impérativement lire les événements à partir du point où ils trouvent un sens radicalement nouveau, c’est-à-dire à la lumière de la Pâque de Notre-Seigneur. Lorsque du haut de la croix Jésus fait de sa mort un sacrifice d’amour qui ouvre le ciel à tous les brigands repentant de notre humanité ; lorsqu’il intercède pour tous les bourreaux de l’histoire, ce n’est pas seulement sa vie livrée qui prend sens, mais celle de tous ceux qu’il récapitule en lui, c’est-à-dire toutes les victimes innocentes, qui participent à son sacrifice rédempteur.
Si l’Église « canonise » ces enfants qu’elle célèbre sous le nom des « Saints Innocents », c’est pour signifier qu’ils ont été étroitement unis à celui qui est notre « défenseur devant le Père : Jésus-Christ le Juste. Il est la victime offerte » (1 Jn 1) qui fait de toutes les morts innocentes des sacrifices parfaits de charité, consumés dans le Feu de son Amour divin.
Seigneur, devant la souffrance de l’innocent, plutôt que de t’accuser, aide-moi à tourner mon regard vers la Croix, et à y lire le mystère d’un Dieu d’amour qui se fait solidaire jusqu’au bout de notre condition humaine. Je ne prétends pas tout comprendre, mais je le crois : un jour je verrai « qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que tu vas bientôt révéler » (Rm 8, 18) en chacun de tes enfants – en commençant par les plus éprouvés. C’est dans cette espérance que je veux poursuivre la route avec toi, en te demandant la grâce de ne pas me révolter devant la souffrance de l’innocent.