Le récit de la Genèse ne vise-t-il pas en fait l’humanité collectivement personnifiée, de manière allégorique, dans le couple d’Adam et d’Ève ? Beaucoup le pensent, en s’appuyant sur le fait que les premiers chapitres de la Genèse ne sont pas écrits selon un genre littéraire de type historique.
À cet argument on peut répondre à la fois oui et non. Non, la Genèse n’est pas un livre historique au sens moderne, et même déjà au sens de l’antiquité classique (cf. Thucydide) ou biblique (cf. livres historiques), de l’histoire comme reconstitution des événements passés à partir de témoignages. Certes, il n’y a pas eu de témoins de la création du premier couple, pas plus que de la création du monde, dont la Genèse nous donne le récit. Pas de témoins signifie qu’il n’y a donc pas non plus de document relatant l’événement. Il faut attendre dans la Genèse l’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le récit de la vie des patriarches, pour voir affleurer une tradition porteuse d’histoire au sens où nous l’avons définie.
Cependant, on peut dire que le début de la Genèse a une portée historique, en un sens ultime qui est d’ordre métaphysique, c’est-à-dire qui touche à l’être, à la réalité même de l’événement par-delà les représentations symboliques de sa modalité. À travers le récit des commencements, entièrement fait de symboles, la Révélation nous donne néanmoins d’atteindre dans l’obscurité de la foi la réalité nue de l’événement de la création du premier couple. Elle nous permet de rejoindre le fait à travers les images d’un genre littéraire qui emprunte des mythes aux traditions religieuses environnantes du Moyen-Orient, tout en les réaménageant profondément en fonction de la Révélation à Israël du Dieu unique et créateur. Le mythe fournit le « comment » du récit, mais à travers ce « comment », nous atteignons en vérité le « quoi », l’événement réel de la création du premier couple.