1.
Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux (Mc 12, 25 ; Mt 22, 30).
[…] ils sont semblables aux anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection » (Lc 20, 36).
Les paroles du Christ qui ont trait à la future résurrection – paroles confirmées de manière extraordinaire par sa propre résurrection – complètent ce que nous avons l’habitude d’appeler révélation du corps, dans les présentes réflexions. Cette révélation pénètre, pour ainsi dire, au cœur même de la réalité que nous expérimentons ; et cette réalité est surtout l’homme en son corps : le corps de l’homme historique. En même temps cette révélation nous permet de dépasser dans deux directions la sphère de cette expérience. D’abord, en direction de cette origine à laquelle le Christ se réfère dans son entretien avec les pharisiens au sujet de l’indissolubilité du mariage (Mt 19, 3-8) ; puis en direction du monde futur vers lequel le Maître oriente l’âme de ses auditeurs en présence des sadducéens, « gens qui disent qu’il n’y a pas de résurrection » (Mt 22, 23).
2. Avec ses seules méthodes empiriques et rationalistes l’homme ne saurait parvenir ni à la vérité sur cette origine dont parle le Christ, ni à la vérité eschatologique. Toutefois, ne peut-on affirmer qu’en un certain sens l’homme possède ces deux dimensions au fond de l’expérience de son propre être ou, plutôt que, de quelque manière, il s’achemine vers elles comme vers des dimensions qui justifient pleinement la signification même de son corps, c’est-à-dire de son être charnel ? Puis, quant à la dimension eschatologique, n’est-il pas vrai que la mort même et la destruction du corps peuvent conférer à l’homme une éloquente signification au sujet de l’expérience dans laquelle se réalise le sens personnel de l’existence ? Quand le Christ parle de la future résurrection, ses paroles ne tombent pas dans le vide. L’expérience de l’humanité, et spécialement l’expérience du corps, permettent à l’auditeur d’unir à ces paroles l’image de la nouvelle existence dans le monde futur auquel l’expérience terrestre offre le substrat et la base. Une reconstruction théologique correspondante est possible.
3. A l’élaboration de cette image – qui correspond, quant à son contenu, à l’article de notre profession de foi : « Je crois à la résurrection des morts » – concourt grandement la certitude qu’il existe un lien entre l’expérience terrestre et toute la dimension de l’origine biblique de l’homme dans le monde. Si, à l’origine Dieu « les créa homme et femme » Gn 1, 27 s’il a également prévu dans cette dualité relative au corps une unité telle qu’ils seront une seule chair, s’il a lié cette unité à la bénédiction de la fécondité, c’est-à- dire de la procréation Gn 1, 29 et si maintenant, parlant devant les sadducéens de la future résurrection, le Christ explique que dans l’autre monde ils ne prendront ni femme ni mari – alors il est clair qu’il s’agit ici d’un développement de la vérité sur l’homme lui-même. Le Christ révèle l’identité de l’homme, bien que cette identité se réalise dans l’expérience eschatologique de manière différente de celle de l’origine même et de toute l’histoire. Toutefois l’homme sera toujours le même, tel qu’il est sorti des mains de son Créateur et Père. Le Christ dit : Ils ne prendront ni femme ni mari, mais il n’affirme pas que l’homme du monde futur ne sera plus masculin-féminin comme il le fut depuis l’origine. Il est donc évident que la signification d’être du corps, homme ou femme, dans le monde futur, doit se chercher hors du mariage et de la procréation. Mais il n’y a aucune raison pour la chercher hors de ce qui (indépendamment de la bénédiction de la procréation) découle du mystère même de la création et qui, par la suite, constitua la plus profonde structure de l’histoire de l’homme sur la terre, étant donné que cette histoire a été profondément pénétrée du mystère de la Rédemption.
4. Dans sa situation originelle, l’homme est donc seul et en même temps il devient homme-femme : unité des deux. Dans sa solitude, il se révèle à lui-même comme personne, pour révéler en même temps la communion des personnes dans l’unité des deux. Dans l’un ou l’autre état, l’être humain se constitue comme image et ressemblance de Dieu. Depuis l’origine, l’homme est également un corps parmi les corps, et dans l’unité des deux il devient homme et femme, découvrant le caractère conjugal de son corps comme mesure du sujet personnel. Par la suite, le sens d’être corps, et en particulier, d’être par le corps homme et femme est lié au mariage et à la procréation (c’est-à-dire à la paternité et à la maternité). Toutefois, la signification originaire, fondamentale du fait d’être corps et, de même, du fait d’être, quant au corps, homme et femme – c’est-à-dire précisément cette signification conjugale – est unie au fait que l’homme se trouve créé comme personne et appelé à la vie in communione personarum. Le mariage et la procréation ne déterminent pas définitivement d’eux-mêmes la signification originaire, fondamentale de ce être corps ni du fait d’être, quant au corps, homme et femme. Le mariage et la procréation donnent seulement une réalité concrète à cette signification dans les dimensions de l’histoire. La résurrection indique la clôture de la dimension historique. Et voilà que les paroles « Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts … on ne prend ni femme ni mari » (Mt 12, 25) expriment clairement non seulement quelle signification le corps humain n’aura pas dans le monde futur ; mais elles permettent aussi de déduire que cette signification conjugale du corps dans la résurrection à la vie future correspondra de manière parfaite soit au fait que l’être humain est, comme homme-femme, une personne créée à l’image et ressemblance de Dieu, soit au fait que cette image se réalise dans la communion des personnes. Cette signification conjugale de l’être corps se réalise comme signification parfaitement personnelle et communautaire en même temps.
5. Parlant du corps glorifié par la résurrection à la vie future, nous pensons à l’homme masculin-féminin dans toute la vérité de son humanité : l’homme qui, en même temps que l’expérience eschatologique du Dieu vivant (la vision face à face), expérimentera précisément cette signification de son propre corps. Ce sera une expérience toute nouvelle et, en même temps, elle ne sera d’aucune manière séparée de ce que l’homme a eu en partage dès l’origine, ni de ce qui constitue en lui, dans la dimension historique de son existence, la source de la tension entre l’esprit et le corps, concernant en général la signification procréatrice du corps et du sexe. L’homme du monde futur retrouvera dans cette nouvelle expérience de son propre corps l’accomplissement de ce qu’il portait en lui, éternellement et historiquement, en un certain sens comme héritage et, encore plus, comme tâche et objectif, comme contenu de l’éthos.
6. La glorification du corps, comme fruit eschatologique de sa spiritualisation divinisante, révélera la valeur définitive de ce qui devait, dès l’origine, être un signe distinctif de la personne créée dans le monde visible, comme également moyen de se communiquer réciproquement entre personnes et comme une authentique expression de la vérité et de l’amour grâce auxquels se construit la communio personarum. Cette éternelle signification du corps humain à laquelle l’existence de tout homme, chargé de l’héritage de la concupiscence, a nécessairement imposé une série de limitations, se révélera alors de nouveau, et, en même temps, avec une telle simplicité et splendeur que quiconque participera à l’autre monde retrouvera dans son propre corps glorifié la source de la liberté du don. La parfaite « liberté des fils de Dieu » (Rm 8, 14) alimentera également de ce don chacune des communions qui constitueront la grande Communauté de la communion des saints.
7. Il n’est que trop évident que – sur la base des expériences et connaissances de l’homme dans le temporel – c’est-à-dire en ce monde – il est difficile de construire une image pleinement adéquate du monde futur. Toutefois il est aussi incontestable qu’à l’aide de la Parole de Dieu il est possible de concevoir cette image de manière plus ou moins approximative. Nous nous servons de cette approximation théologique en professant notre foi en la résurrection des morts et en la vie éternelle comme, également la foi en la communion des saints qui appartiennent à la réalité du monde futur.
8. Concluant cette partie de nos réflexions, il convient de constater encore une fois que les paroles du Christ que rapportent les Évangiles synoptiques (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 34-35) ont une signification déterminante non seulement en ce qui concerne les paroles du livre de la Genèse (auxquelles le Christ se réfère en une autre circonstance), mais également en ce qui concerne toute la Bible. Ces paroles nous permettent en un certain sens de méditer à nouveau – c’est-à-dire à fond – toute la signification révélée du corps, la signification du être-homme, c’est-à-dire personne incarnée, en tant que corps, Homme-femme. Ces paroles nous permettent de comprendre ce que signifie, dans la dimension eschatologique de l’autre monde, cette unité en humanité qui a été constituée à l’origine et que les paroles de Gn 2, 24 ( « l’homme … s’unira à sa femme et les deux seront une seule chair ») prononcées lors de la création de l’être humain comme homme et femme, semblaient orienter surtout, sinon complètement, au moins en certains cas, vers ce monde-là. Étant donné que les paroles du livre de la Genèse étaient comme le seuil de toute la théologie du corps – seuil sur lequel le Christ s’est basé dans son enseignement sur le mariage et sur son indissolubilité -, alors il faut admettre que les paroles que rapportent les Synoptiques sont comme un nouveau seuil de cette vérité intégrale sur l’homme, que nous retrouvons dans la Parole révélée de Dieu. Il est indispensable que nous nous arrêtions sur ce seuil si nous voulons que notre théologie du corps – et également notre spiritualité chrétienne du corps – puissent s’en servir comme d’une image complète.