1. Nous avons fait l’analyse de l’épître aux Ephésiens et surtout Ep 5, 22-33, dans l’optique du caractère sacramentel du mariage. Maintenant, nous allons chercher une nouvelle fois de considérer ce même texte à la lumière des paroles de l’Évangile et des épîtres de saint Paul aux Corinthiens et aux Romains.
Comme sacrement né du mystère de la Rédemption et, en un certain sens, né à nouveau de l’amour nuptial du Christ et de l’Église, le mariage est une expression efficace de la puissance salvifique de Dieu qui réalise son dessein éternel, même après le péché et malgré la triple concupiscence cachée dans le cœur de chaque être humain, homme et femme. Comme expression sacramentelle de cette puissance salvifique, le mariage est également une exhortation à dominer la concupiscence (comme en parle le Christ dans le Sermon sur la Montagne). Les fruits de cette domination sont l’unité et l’indissolubilité du mariage, et en outre le sens approfondi de la dignité de la femme dans le cœur de l’homme (comme également de la dignité de l’homme dans le cœur de la femme), soit dans la coexistence conjugale, soit dans tout autre cadre des relations mutuelles.
2. La vérité selon laquelle le mariage, en tant que sacrement de la Rédemption, est donné à l’homme de la concupiscence, comme grâce et en même temps comme éthos, a trouvé une expression particulière également dans l’enseignement de saint Paul, spécialement 1Co 7. L’apôtre, confrontant le mariage avec la virginité (c’est-à-dire avec la continence pour le Royaume des Cieux) et se déclarant pour la supériorité de la virginité, constate également que « chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là » (1 Co 7, 7). Sur la base du mystère de la Rédemption, au mariage correspond donc un « don » particulier, c’est-à-dire la grâce. Dans le même contexte, l’Apôtre, donnant des conseils à ses destinataires, recommande le mariage « en raison du péril d’impudicité » (1 Co 7, 2) et, par la suite, il recommande aux époux : « Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme et pareillement la femme envers son mari » (1 Co 7, 3). Et il poursuit : « Mieux vaut se marier que de brûler » (1 Co 7, 9).
3. Ces énoncés pauliniens ont donné naissance à l’opinion que le mariage constitue un spécifique remedium concupiscentiae. Toutefois, saint Paul qui enseigne explicitement, comme nous avons pu le constater, qu’au mariage correspond un don particulier et que, dans le mystère de la Rédemption, le mariage est donné à l’homme et à la femme comme une grâce, exprime simplement dans ces paroles, à la fois suggestives et paradoxales, la pensée que le mariage est assigné aux époux comme éthos. Dans la phrase de saint Paul : « Mieux vaut se marier que de brûler », le verbe brûler signifie le désordre des passions provenant de la concupiscence même de la chair (dans l’Ancien Testament, le Siracide présente la concupiscence de manière analogue – cf. Si 23, 17). Le mariage, par contre, signifie l’ordre éthique, introduit consciemment dans ce cadre. On peut dire que le mariage est un lieu de rencontre de l’éros et de l’éthos et de leur compénétration réciproque dans le cœur de l’homme et de la femme, et de même dans toutes leurs relations mutuelles.
4. Cette vérité – que le mariage en tant que sacrement issu du mystère de la Rédemption est donné à l’homme historique à la fois comme grâce et comme éthos – détermine en outre le caractère du mariage, celui d’être un des sacrements de l’Eglise. Comme sacrement de l’Eglise, le mariage est indissoluble par nature. Comme sacrement de l’Eglise, il est aussi parole de l’Esprit qui exhorte l’homme et la femme à modeler toute leur coexistence en tirant leur force du mystère de la Rédemption du corps. De cette manière, ils sont appelés à la chasteté comme état de vie « selon l’Esprit » qui leur est propre (Rm 8, 4-5 ; Ga 5, 25). La Rédemption du corps signifie, en ce cas, également cette espérance qui, dans la dimension du mariage, peut être définie comme espérance du quotidien, espérance du temporel. C’est sur la base d’une telle espérance que vient à être dominée la concupiscence de la chair, comme source de la tendance à un assouvissement égoïste, et que, dans l’alliance sacramentelle de la masculinité et de la féminité, la chair elle-même devient le substrat spécifique d’une communion durable et indissoluble des personnes (communio personarum), d’une manière digne des personnes.
5. Ceux qui, comme conjoints, s’unissent selon l’éternel dessein divin de sorte qu’en un certain sens ils deviennent une seule chair, sont également appelés à leur tour, en vertu du sacrement à une vie « selon l’Esprit » qui corresponde au don reçu dans le sacrement. En vertu de ce don, ils sont capables, en vivant comme conjoints une vie selon l’Esprit, de redécouvrir le don particulier qui leur a été donné en partage. Autant la concupiscence obscurcit l’horizon de la vision intérieure, et dépouille le cœur de la limpidité des désirs et des aspirations, autant la vie selon l’Esprit (c’est-à-dire la grâce du mariage) permet à l’homme et à la femme de retrouver la vraie liberté du don, unie à la conscience du sens conjugal du corps dans sa masculinité et féminité.
6. La vie selon l’Esprit s’exprime donc également dans l’union réciproque, par laquelle les époux, devenant une seule chair, soumettent leur masculinité et féminité à la bénédiction de la procréation : « Adam s’unit à Eve, sa femme qui conçut et enfanta… et dit : « J’ai acquis un homme grâce au Seigneur » (Gn 4, 1). La vie selon l’Esprit s’exprime également ici dans la conscience du don de la dignité des époux eux-mêmes en qualité de parents; c’est-à- dire qu’elle s’exprime dans la profonde conscience de la sainteté de la vie (sacrum), à laquelle tous deux donnent l’origine en participant – comme fondateurs d’une famille – aux forces du mystère de la Création. À la lumière de cette espérance qui est liée au mystère de la Rédemption du corps (Rm 8, 19-23) et de cette nouvelle vie humaine, l’homme nouveau conçu et né de l’union conjugale de son père et de sa mère, s’ouvre aux « prémices de l’Esprit » (Rm 8, 23) « pour entrer dans la liberté des enfants de Dieu » (Rm 8, 21). Et si toute la création jusqu’à ce jour « gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22), une espérance particulière accompagne la femme dans les douleurs de l’accouchement, c’est-à-dire l’espérance de la « révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19), espérance dont tout nouveau-né porte en soi une étincelle en venant au monde.
7. Cette espérance qui, pénétrant toute la création, est dans le monde, n’est pas en même temps du monde comme l’enseigne saint Paul. Plus encore : elle doit lutter dans le cœur humain avec ce qui est du monde, avec ce qui est dans le monde. Car tout ce qui est dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse – « vient non pas du Père, mais du monde » (1 Jn 2, 16). Le mariage, comme sacrement primordial, et en même temps comme sacrement né de l’amour nuptial du Christ et de l’Eglise dans le mystère de la Rédemption du corps, vient du Père. Il n’est pas du monde, mais du Père. Par conséquent le mariage en tant que sacrement constitue également la base de l’espérance pour la personne, c’est-à-dire pour l’homme et pour la femme, pour les parents et pour les fils, pour les générations humaines. D’une part, en effet, « le monde passe avec ses convoitises » et, d’autre part « celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jn 2, 17). Au mariage en tant que sacrement est unie l’origine de l’homme dans le monde, et dans le mariage également est inscrit son avenir, non seulement dans sa dimension historique mais également dans sa dimension eschatologique.
8. C’est à cela que se réfèrent les paroles du Christ faisant appel à la résurrection des corps – paroles rapportées par les trois Synoptiques (Mt 22, 23-32 ; Mc 12, 18-27 ; Lc 20, 34-39). « À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel ». C’est ce que dit Matthieu et, de manière semblable, Marc; et voici Luc : « Les enfants de ce monde prennent femme ou mari; mais ceux qui auront été jugés dignes d’avoir part à l’autre monde et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari; aussi bien ne peuvent-ils plus mourir car ils sont pareils aux anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection » (Lc 20, 34-36). Ces textes ont été soumis précédemment à une analyse détaillée.
9. Le Christ affirme que le mariage – sacrement de l’origine de l’homme dans le monde visible temporaire – n’appartient pas à la réalité eschatologique du monde futur. Toutefois, l’homme appelé à participer à cet avenir eschatologique grâce à la résurrection du corps est le même être humain, homme et femme, dont l’origine dans le monde visible temporaire est liée au mariage en tant que sacrement primordial du mystère même de la Création. Et mieux, tout homme, appelé à participer à la réalité de la future résurrection porte cette vocation dans le monde; le mariage en tant que sacrement sert immuablement pour que l’être humain – homme et femme – fasse la volonté du Père : « Celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jn 2, 17).
10. En ce sens le mariage contient également, en tant que sacrement, le germe de l’avenir eschatologique de l’homme, c’est-à-dire la perspective de la Rédemption du corps dans la dimension de l’espérance eschatologique à laquelle correspondent les paroles du Christ concernant la résurrection : « À la résurrection … on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22, 30); toutefois, même ceux qui « sont pareils aux anges et… sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection » (Lc 20, 36) doivent leur propre origine dans le monde visible temporaire au mariage et à la procréation de l’homme et de la femme. Comme sacrement de l’origine humaine, comme sacrement de la temporalité de l’homme historique, le mariage accomplit un irremplaçable service à l’égard de son avenir extra-temporel, à l’égard de la Rédemption du corps dans la dimension de l’espérance eschatologique.