1. Nous entamons aujourd’hui un nouveau chapitre sur le thème du mariage, en lisant ce que dit saint Paul aux Éphésiens :
Que les femmes soient soumises à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est à la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! si l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme, à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle ; il voulait la rendre sainte en la purifiant par l’eau du baptême et la parole de vie ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il la voulait sainte et immaculée. C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme : comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui- même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand ; je le dis en pensant au Christ et à l’Église ! Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari.
2. Il nous faut soumettre à une analyse approfondie ce texte de Ep 5, comme auparavant nous avons analysé toutes les paroles du Christ qui semblaient avoir une signification capitale pour la théologie du corps. Il s’agissait des paroles dans lesquelles le Christ se réfère au « commencement » (Mt 19, 4 ; Mc 10, 6), au « cœur » humain, dans le Sermon sur la Montagne Mt 5, 28 et à la résurrection future (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 35). Ce qui est dit dans ce passage de l’épître aux Éphésiens constitue pour ainsi dire le couronnement de ces autres mots clés. Si, à partir de ceux-là on a pu dégager une théologie du corps dans ses grandes lignes évangéliques, à la fois simples et fondamentales, il faut, d’une certaine manière, présupposer cette théologie pour interpréter ce passage de l’épître aux Éphésiens. Par conséquent, si l’on veut interpréter ce passage, il faut le faire à la lumière de ce que le Christ nous a dit sur le corps humain. Il a parlé de la concupiscence (du cœur) à l’homme historique, et par conséquent à l’homme tout court. Et il a aussi fait ressortir, d’un côté, les perspectives du commencement, c’est-à-dire de l’innocence originelle et de la justice et, de l’autre, les perspectives eschatologiques de la résurrection des corps quand « on ne prendra plus femme ni mari » (Lc 20, 35). Tout cela fait partie de l’optique théologique de la « Rédemption de notre corps » (Rm 8, 23).
3. Ce que dit l’auteur de la lettre aux Ephésiens [1] est également centré sur le corps ; et cela aussi bien dans son sens métaphorique, c’est-à-dire à propos du corps du Christ qui est l’Église, que dans son sens propre, c’est-à-dire à propos du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, dans son destin de s’unir dans le mariage, comme le dit Gn 2, 24 :
L’homme quittera son père et sa mère, il s’unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un.
De quelle manière ces deux significations du corps apparaissent-elles et convergent-elles dans ce passage de l’épître aux Éphésiens. Et pourquoi y apparaissent-elles et convergent-elles ? Voilà des questions qu’il faut se poser, et il ne faut pas l’attendre à avoir des réponses immédiates et directes, mais plutôt, autant que possible, il faut approfondir à longue échéance, ces réponses auxquelles nous ont préparés nos analyses précédentes. En effet, ce passage de l’épître aux Éphésiens ne peut être compris correctement que dans son large contexte biblique ; il faut le voir comme le couronnement des thèmes et des vérités qui ponctuent la Parole de Dieu révélée dans l’Écriture sainte, tels le flux et le reflux de larges vagues. Ce sont des thèmes centraux et des vérités essentielles. C’est pour cela que ce texte de l’épître aux Éphésiens est également un texte clé classique.
5. Le sacrement ou la sacramentalité – au sens le plus général de ce terme – concerne les corps et présuppose une théologie du corps. Le sacrement, en effet, dans son sens généralement reçu, est un signe visible. Le corps signifie aussi ce qui est visible, le caractère visible du monde et de l’homme. Par conséquent, d’une certaine manière – bien qu’en un sens plus général -, le corps entre dans la définition du sacrement puisqu’il est le signe visible d’une réalité invisible, c’est-à-dire de la réalité spirituelle, transcendante, divine. C’est dans ce signe – et à travers ce signe – que Dieu se donne à l’homme dans sa vérité transcendante et dans son amour. Le sacrement est un signe de la grâce, et c’est un signe efficace. Non seulement il l’indique et l’exprime de façon visible, il en est le signe, mais il la produit et contribue efficacement à faire en sorte que la grâce fasse partie de l’homme et qu’en lui se réalise et s’accomplisse l’œuvre du salut, l’œuvre établie d’avance par Dieu de toute éternité et qui a été pleinement révélée en Jésus-Christ.
6. Je dirais que déjà, dans ce premier coup d’oeil jeté sur ce texte classique de l’épître aux Éphésiens, nous voyons dans quelle direction devront se poursuivre nos analyses suivantes. Il est indispensable que ces analyses commencent par une compréhension préliminaire du texte en lui-même ; cependant, elles doivent nous conduire ensuite, si l’on peut dire, par-delà les limites du texte, à comprendre, si possible jusqu’au fond, quelle richesse de vérité révélée par Dieu est contenue dans le cadre de cette merveilleuse page. En empruntant la célèbre expression de Gaudium et Spes 22, on peut dire que ce passage que nous avons choisi dans l’épître aux Éphésiens « manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » : en tant qu’il partage l’expérience de l’incarnation. En effet Dieu, en le créant à son image, dès le commencement le créa « homme et femme » (Gn 1, 27).
Au cours de nos analyses suivantes nous chercherons – surtout à la lumière de ce texte de l’épître aux Éphésiens – à comprendre plus profondément le sacrement, en particulier le mariage en tant que sacrement : en premier lieu dans sa dimension de l’Alliance et de la grâce, et ensuite dans sa dimension de signe sacramentel.
Note
[1] La question de savoir si l’épître aux Éphésiens est de saint Paul ou pas, paternité reconnue par certains exégètes et refusée par d’autres, peut trouver une solution dans une supposition qui se place entre les deux opinions et que nous ferons nôtre comme hypothèse de travail, à savoir que saint Paul confia à son secrétaire quelques idées et que celui-ci, par la suite, les développa et les rédigea. – C’est à cette solution provisoire de la question que nous pensons quand nous parlons de l’auteur de l’épître aux Éphésiens, de l’apôtre et de saint Paul.