Il faut nous rappeler que le titre de noblesse théologique central de Jésus est « le Fils ». Dans quelle mesure cette désignation était-elle déjà linguistiquement préfigurée dans la manière dont Jésus s’est présenté lui-même ?… Il est hors de doute qu’elle est la tentative de résumer par un mot l’impression générale que donnait sa vie ; l’orientation de sa vie, sa racine et son point d’aboutissement avaient pour nom « Abba » – papa. Il savait qu’il n’était jamais seul ; jusqu’au dernier cri sur la croix il est tout entier tendu vers l’Autre, vers celui qu’il nomme Père. C’est ce qui a rendu possible que son véritable titre de noblesse ne soit finalement ni « Roi » ni « Seigneur » ni d’autres attributs de puissance, mais un mot que nous pourrions également traduire par « enfant ».
Nous pouvons donc dire que si l’enfance occupe une place si éminente dans la prédication de Jésus, c’est parce qu’elle est en lien étroit avec son mystère le plus personnel, sa filiation. Sa plus haute dignité, qui renvoie à sa divinité, n’est finalement pas une puissance possédée pour elle-même ; elle consiste dans le fait d’être tourné vers l’Autre – vers Dieu le Père…
L’homme veut devenir Dieu (Gn 3, 5) et il doit le devenir. Mais chaque fois que, comme dans l’éternel dialogue avec le serpent du Paradis, il essaie d’y parvenir en s’affranchissant de la tutelle de Dieu et de sa création pour ne plus s’appuyer que sur soi-même et s’installer soi-même, chaque fois que, en un mot, il devient tout à fait adulte, tout à fait émancipé, et qu’il rejette totalement l’enfance comme état de vie, il débouche sur le néant parce qu’il s’oppose à sa propre vérité qui est dépendance. Ce n’est qu’en conservant ce qu’il y a de plus essentiel à l’enfance et à l’existence de fils, vécue d’abord par Jésus, qu’il entre avec le Fils dans la divinité.