1.
À la résurrection… on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25).
[…] Ils sont pareils à des anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection (Lc 20, 36).
La communion eschatologique de l’homme avec Dieu, constitué grâce à l’amour d’une parfaite union, sera alimentée par la vision face à face, par la contemplation de cette communion plus parfaite, parce que purement divine, qu’est la communion trinitaire des Personnes divines dans l’unité de la divinité.
2. Des paroles du Christ rapportées par les Évangiles synoptiques nous pouvons déduire que ceux qui participeront à ce monde conserveront – dans cette union avec le Dieu qui jaillit de la vision béatifique, de son unité et de sa communion trinitaires – non seulement leur subjectivité authentique mais qu’ils la vivront dans une mesure bien plus parfaite que dans la vie terrestre. En cela se trouvera, en outre, confirmée la loi de l’ordre intégral de la personne, selon laquelle la perfection de la communion non seulement est conditionnée par la perfection ou maturité spirituelle du sujet, mais également la détermine à son tour. Ceux qui participeront au monde nouveau, c’est-à-dire à la parfaite communion avec le Dieu vivant, jouiront d’une subjectivité parfaitement mûre. Si, dans cette parfaite subjectivité, ils ne prendront ni femme ni mari tout en conservant dans leur corps ressuscité, c’est-à-dire glorieux, la masculinité et la féminité, cela s’explique par la fin de l’histoire, mais aussi et surtout par l’authenticité eschatologique de la réponse au ‘se communiquer’ du sujet divin qui constituera l’expérience béatifique du don de soi de la part de Dieu, absolument supérieure à toute expérience propre à la vie terrestre.
3. Le don réciproque de soi-même à Dieu – un don dans lequel l’homme concentrera et exprimera toutes les énergies de sa propre subjectivité personnelle et en même temps psychosomatique – sera la réponse au don que Dieu a fait de lui-même à l’homme [1]. Dans ce don réciproque de soi fait par l’homme, don qui deviendra fondamentalement et définitivement béatifique, comme digne réponse d’un sujet personnel au don de soi de la part de Dieu, la virginité ou plutôt l’état virginal du corps se manifestera pleinement comme complément eschatologique de la signification conjugale du corps, comme signe spécifique et expression authentique de toute la subjectivité personnelle. Ainsi donc, cette situation eschatologique dans laquelle ils ne prendront ni femme ni mari se fonde solidement sur l’état futur du sujet personnel quand, suite à la vision de Dieu face à face, naîtra en lui un amour d’une telle profondeur et d’une telle force de concentration sur Dieu lui-même qu’il absorbera complètement toute sa subjectivité psychosomatique.
4. Cette concentration de la connaissance (vision) et de l’amour en Dieu lui-même – concentration qui ne saurait être que pleine participation à la vie intérieure de Dieu, c’est- à-dire à la réalité trinitaire même – sera en même temps la découverte en Dieu de tout le monde des relations constitutives de son ordre éternel (cosmos). Cette concentration sera surtout la redécouverte de soi-même par l’homme, non seulement dans la profondeur de sa personne, mais également dans cette union qui est le propre du monde des personnes dans leur constitution psychosomatique. Il s’agit là, certainement, d’une union de communion. La concentration de la connaissance et de l’amour en Dieu lui- même dans la communion trinitaire des Personnes peut trouver une réponse béatifique en ceux qui prendront part à l’autre monde, uniquement par la réalisation de la communion réciproque à la mesure des personnes créées. C’est pour cela que nous professons la foi en la communion des saints (communio sanctorum) et que nous la professons en connexion organique avec la foi en la résurrection des morts. Les paroles par lesquelles le Christ affirme que dans l’autre monde … ils ne prendront ni femme ni mari se trouvent à la base de ces éléments de notre foi et, en même temps, elles réclament une adéquate interprétation, précisément à sa lumière. Nous devons penser à la réalité de l’autre monde selon les catégories de la redécouverte d’une nouvelle et parfaite subjectivité de l’homme et, en même temps, de la redécouverte d’une nouvelle et parfaite intersubjectivité de tous. Ainsi, cette réalité signifie le véritable et définitif accomplissement de la subjectivité humaine et, sur cette base, l’accomplissement définitif de la signification conjugale du corps. La concentration totale de la subjectivité créée, rachetée et glorifiée en Dieu lui-même ne détournera pas l’homme de cet accomplissement ; au contraire elle nous la donnera, elle nous la consolidera. On peut dire, enfin, qu’ainsi la réalité eschatologique deviendra la source d’une parfaite réalisation de l’ordre trinitaire dans le monde créé des personnes.
5. Les paroles par lesquelles le Christ fait état de la future résurrection – paroles confirmées de manière éloquente par sa résurrection – complètent ce que nous avons l’habitude, dans les présentes réflexions, d’appeler révélation du corps. Cette révélation pénètre en un certain sens au cœur même de la réalité que nous expérimentons ; et cette réalité est surtout l’homme, son corps, le corps de l’homme historique. En même temps, cette révélation nous permet de déborder selon deux directions le cadre de cette expérience. D’abord, en direction de cette origine à laquelle le Christ se réfère dans son entretien avec les pharisiens au sujet de l’indissolubilité du mariage Mt 19, 3-9 ; en second lieu, en direction de l’autre monde, sur lequel le Maître attire l’attention de ses auditeurs en présence des sadducéens qui « affirment qu’il n’y a pas de résurrection » Mt 22, 23. Ces deux débordements du cadre de l’expérience des corps (si l’on peut ainsi dire) ne sont pas tout à fait hors de la portée de notre compréhension (théologique, évidemment) du corps. Ce qu’est le corps humain dans le domaine de l’expérience historique de l’homme, n’est pas totalement coupé de ces deux dimensions de son existence révélées par les paroles du Christ.
6. Il est clair qu’il s’agit ici moins du corps abstrait que de l’homme qui est en même temps spirituel et corporel. Poursuivant dans les deux directions indiquées par les paroles du Christ et se rattachant à l’expérience du corps dans la dimension de notre existence terrestre (donc dans la dimension historique) nous pouvons faire une certaine reconstruction théologique de ce qu’aurait pu être l’expérience du corps, sur la base de l’origine révélée de l’homme et sur la base de ce qu’il sera dans la dimension de l’autre monde. La possibilité de cette reconstruction qui amplifie notre expérience de l’homme-corps, indique, au moins indirectement, la cohérence de l’image théologique de l’homme dans ces trois dimensions qui, ensemble, concourent à la constitution de la théologie du corps.
Note
[1] « Dans la conception biblique… il s’agit d’une immortalité dialogique (ressuscitatio), c’est-à-dire que l’immortalité ne découle pas simplement de l’évidente vérité que l’indivisible ne peut mourir, mais de l’acte sauveur de Celui qui aime, qui a le pouvoir de le faire ; aussi l’homme ne peut-il disparaître complètement, parce que Dieu le connaît et l’aime. Si tout amour postule l’éternité, non seulement il la veut, mais la réalise et l’est. … Considérant que l’immortalité présentée par la Bible ne provient pas de la propre force de ce qui de soi-même est indestructible, mais de l’être accueilli dans le dialogue avec le Créateur, c’est pour ce fait qu’il doit être appelé ressuscitatio »… (J. Ratzinger, Risurrezione délla carne, in Sacramentum Mundi, Brescia, Morcelliana, 1977, p. 160- 161).