Comme tout organisme, le Corps ecclésial va être doté d’une structure, qu’il reçoit du Christ lui-même. Très vite après le début de son ministère public avec ses disciples, Jésus, après une nuit de prière (cf. Lc 6, 12-13) et sous la motion de l’Esprit-Saint (cf. Ac 1, 2), « appelle à lui ceux qu’il voulait ; ils vinrent à lui et il en institua douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons » (Mc 3, 13-15). Parmi eux nous retrouvons ceux qu’il avait appelés les premiers à sa suite au bord du lac [1]. Il faut remarquer que la communion de vie et d’amour des Douze avec Jésus – « être avec lui » – précède et fonde leur mission : « les envoyer prêcher ». S’ils sont douze, comme les douze tribus d’Israël, c’est qu’ils sont destinés à diriger le Peuple de Dieu, qui entre à ce moment dans son étape messianique (cf. Lc 22, 29-30).
Les douze apôtres sont munis par le Christ de son autorité : « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10, 16) ; « Qui vous accueille, m’accueille » (Mc 10, 40) [2]. Jésus leur donne en particulier le pouvoir de « lier et de délier » les âmes « sur la terre comme au ciel » (Mt 18, 18). Mais il prend bien soin parallèlement de leur rappeler que ce pouvoir, exercé en son nom, est entièrement au service de la communauté ecclésiale dont il fait son Épouse. Il leur apprend ainsi à préférer le service aux préséances (cf. Mc 9, 35), à donner la priorité aux « brebis perdues » (Mt 10, 6), à ne pas craindre la persécution inévitable (cf. Mt 10, 17ss.), à se pardonner mutuellement (cf. Mt 18, 21-31), à ne pas excommunier les pécheurs publics sans avoir essayé d’abord de les persuader de se convertir (cf. 18, 15-17).
Parmi les Douze, Jésus à discerné, dès leur première rencontre dans la vallée du Jourdain, Simon dont il fera Pierre (cf. Jn 1, 42). Pierre manifeste sa foi au Christ en marchant vers lui sur les eaux (cf. Mt 14, 28-31) et en le confessant, seul des Douze (cf. Mt 16, 15-16) comme « le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Jésus leur fait alors cette promesse : « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Église et les portes des enfers ne tiendront pas contre elle » (Mt 16, 18). Remarquons que cette promesse concerne Pierre et au-delà même de son existence individuelle, aussi longtemps que l’Église se construira et aura à lutter contre les puissances des enfers [3].
Mais notons en même temps que Jésus précise bien que c’est son Église à lui et non à Pierre qu’il va bâtir sur ce dernier. Pierre doit servir l’Église en étant son fondement permanent, dans sa personne et dans celle de ses successeurs, mais ne doit pas chercher à se l’approprier, car l’Église comme Épouse n’appartient qu’à l’Époux. Pour ce service, Pierre reçoit de manière personnelle le même pouvoir de « lier et de délier » (Mt 16, 19) que le Christ donnera ensuite aux Douze de manière collégiale (cf. Mt 18, 18).
Comme tout organisme, le Corps ecclésial est non seulement structuré, mais aussi différencié dans la grande variété de ses membres complémentaires. Aux Douze et à Pierre, Jésus adjoint soixante-douze disciples, pour montrer que leur collège apostolique est le fondement d’un Corps apostolique bien plus vaste.
Mais surtout, à côté des « Douze qui accompagnent Jésus » (Lc 8, 1), il y a aussi « quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies » (Lc 8, 2) « et beaucoup d’autres qui le suivaient et le servaient » (Mc 15, 41) [4]. La complémentarité entre leur ministère et le ministère masculin des apôtres saute ici aux yeux : Jésus se sert des Douze comme de ses représentants et de ses instruments, tandis que les saintes femmes servent Jésus lui-même dans l’amour nuptial de l’Église-Épouse ; amour qu’elles rappellent du même coup aux apôtres.
[1] On retrouve parmi les Douze pratiquement toutes les variétés des options politiques et religieuses de l’Israël d’alors. La condition d’humbles pêcheurs de certains d’entre eux n’empêche pas, selon l’usage en Israël, des engagements d’un autre ordre. Jean a pu être le disciple qui accompagne Pierre, comme c’était son habitude (cf. Lc 22, 8 ; Ac 1, 11), derrière le Christ arrêté et qui arrive à entrer chez le grand prêtre parce qu’il « était connu de lui » (Jn 18, 15). Il serait donc proche des sadducéens qui collaboraient avec les Romains. Le publicain Matthieu (cf. Mt 9, 9), collecteur d’impôt bien que lévite (cf. Mc 2, 13-14), faisait de même, mais pour des motifs plus sordides. À l’opposé, Simon était « zélote » (Mc 3, 18) c’est-à-dire partisan de la lutte armée contre l’occupant païen. Il se peut que Judas l’ait été aussi, et peut-être même Pierre, qui portait sur lui le glaive (cf. Jn 18, 10-11) des « sicaires » zélotes (cf. Ac 21, 38).
[2] Cf. Charles Journet, Théologie de l’Église, Tournai, 1958, p. 120.
[3] Cf. ibid, p. 145.
[4] La variété du groupe des saintes femmes est frappante, tout comme celle des Douze. À côté de femmes de mauvaise vie, comme « Marie la Magdaléenne de laquelle étaient sortis sept démons » (Lc 8, 2), on voit une femme compromise avec l’occupant païen « Jeanne femme de Chouza l’indendant d’Hérode » (Lc 8, 3), des femmes aisées comme « Jeanne et plusieurs autres qui les assistaient de leurs biens », mais aussi une mère d’apôtres, « la mère des fils de Zébédée [Jacques et Jean] » (Mt 27, 56, appelée Salomé en Mc 15, 40), et une proche parente de Jésus (Mc 6, 3 et 15, 40-41).