Le vent de l’Esprit souffle sur les eaux primordiales ; le Père prononce sa Parole toute-puissante, et l’Homme Nouveau, recréé, surgit des flots.
Certes Jésus en tant que Verbe incarné, a toujours été le « Fils bien-aimé » du Père, et ceci dès le premier moment de sa conception. « Lors de l’incarnation, nous enseigne saint Grégoire de Nazianze, Jésus fut oint de la divinité, et l’onction de son humanité n’était autre que la divinité même ». L’Esprit n’est donc pas descendu sur lui pour la première fois au moment du baptême, puisque Notre-Seigneur « est le Fils de Dieu le Père, engendré de sa substance, et cela avant l’incarnation et avant tous les siècles » (saint Cyrille d’Alexandrie). Le baptême ne saurait rien ajouter à la filiation divine du Verbe incarné, mais il est la confirmation de cette filiation pour la conscience humaine de Jésus. Comme le précise encore saint Cyrille d’Alexandrie : « Si l’on dit que le Christ a reçu l’Esprit Saint, c’est en tant qu’il s’est fait homme et en tant qu’il convenait à l’homme de le recevoir ». En Jésus, médite très joliment saint Irénée, « l’Esprit Saint s’habituait à demeurer en l’homme et à se reposer parmi les hommes ».
La Parole du Père, parole de reconnaissance et de confirmation de sa filiation unique, descend dans l’âme humaine de Jésus comme un baume de consolation et de force divines. Désormais elle habite sa mémoire jour et nuit ; elle sera la source de sa force jusqu’au cœur de sa Passion : « C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour ».
Cette Parole vient en réponse au geste symbolique posé par Jésus malgré les résistances de Jean. Notre-Seigneur veut signifier par là à son Père sa volonté d’aller jusqu’au bout de la mission qu’il lui a confiée. Il consent par avance à descendre dans les grandes eaux de la mort, portant sur lui le poids de toute l’humanité qu’il récapitule en lui, afin que l’amour vivifiant du Père puisse nous rejoindre et nous relever, en ressuscitant ce Fils qu’il « ne peut abandonner à la mort ni laisser connaître la corruption » (Ac 2, 27). Dans ce simple geste de pénitence c’est donc une préfiguration de toute sa vie publique que Jésus accomplit en pleine conscience, comme en témoigne son dialogue avec le Précurseur : « Laisse-moi faire : c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste » ; c’est-à-dire : que j’accomplirai la justification de « tous ceux qui sont sous le pouvoir du démon » (2ème lect.).
Au moment de passer de la préfiguration à la réalité, c’est-à-dire d’entrer dans sa passion, Jésus aura la consolation de réentendre cette même Parole du Père le confirmant dans son identité et sa mission. La transfiguration anticipe la victoire du matin de Pâques comme le baptême préfigure la kénose du vendredi saint. Car c’est du Cœur transpercé du Fils de l’homme que l’Esprit se répand sur toute chair. « Entre nous et l’Esprit de Dieu, médite Nicolas Cabasilas, il y avait un double mur de séparation : celui de la nature et celui de la volonté corrompue par le mal. Le Sauveur a fait disparaître le premier par son incarnation et par son onction ; et le second par sa crucifixion, car la croix a détruit le péché. Ces deux obstacles enlevés, rien n’empêche plus l’effusion du Saint Esprit sur toute chair ».
Si saint Pierre peut affirmer que « Jésus est le Seigneur de tous » (2ème lect.), c’est précisément parce que grâce à lui le salut – c’est-à-dire la plénitude de la vie divine – est offert à tout homme. Non pas de l’extérieur, comme un don surajouté à notre nature ; mais de l’intérieur, comme une source désensablée à nouveau jaillissante : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur ». En disant cela, précise saint Jean, il parlait de l’Esprit Saint, l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Jésus. En effet, l’Esprit Saint n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié par le Père » (Jn 7, 37-39). Mais maintenant que notre Sauveur a accompli son œuvre de rédemption, les écluses du ciel sont ouvertes, les grandes eaux de la miséricorde déferlent à flot sur l’Église et remplissent les baptistères où renaît une humanité nouvelle.
Nous n’avons probablement pas entendu la voix venant du ciel au moment où le prêtre nous plongeait dans les eaux baptismales ; et pourtant elle a bel et bien retenti. Tous les Anges ont crié : « Gloire » (Ps 28) en voyant le Père nous recréer à l’image et à la ressemblance du Christ et en l’entendant proclamer : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour ».
Que l’Esprit Saint grave ces paroles en lettres de feu sur nos cœurs, afin que nous puissions sans cesse faire mémoire de quel amour nous sommes aimés, et puiser dans cette filiation divine, la force de traverser fidèlement toutes les nuits, jusqu’au jour où nous verrons notre Père face à face, dans la pleine lumière de sa gloire.