1. Nous commençons aujourd’hui à réfléchir sur la virginité ou célibat pour le Royaume des Cieux.
La question de l’appel à une donation exclusive de soi-même à Dieu dans la virginité et le célibat, est profondément enracinée dans le sol évangélique de la théologie du corps. Pour relever les dimensions qui leur sont propres, il faut tenir présentes à l’esprit les paroles du Christ lorsqu’il se réfère à l’origine et, de même, lorsqu’il se rapporte à la résurrection des corps. La constatation « lorsqu’on ressuscite d’entre les morts on ne prend ni femme ni mari » (Mc 12, 25), indique qu’il existe une condition de vie sans mariage où la personne humaine, homme et femme, trouve en même temps la plénitude de la donation personnelle et de la communion intersubjective des personnes, grâce à la glorification de tout son être dans l’union éternelle avec Dieu.
Quand l’appel à la continence pour le Royaume des Cieux trouve un écho favorable en l’âme humaine dans les conditions de la temporalité – celles, donc, où habituellement les personnes « prennent femme et prennent mari » (Lc 20, 34) -, il n’est pas difficile de percevoir une sensibilité particulière de l’esprit humain qui, semble-t-il, permet déjà, dans les conditions de la temporalité, de jouir par anticipation de ce que l’homme aura en partage après la future résurrection.
2. Toutefois, dans le contexte immédiat de son entretien avec les sadducéens (Mt 22, 23-30 ; Mc 12, 18-25 ; Lc 20, 27-30) le Christ ne parle pas de ce problème, de cette vocation particulière, lorsqu’il se réfère à la résurrection des corps. Par contre, il en avait déjà parlé auparavant dans le contexte de son entretien avec les pharisiens au sujet du mariage et des fondements de son indissolubilité, presque comme un prolongement de ce dialogue (Mt 19, 3-9). Ce qu’il dit pour conclure concernerait la lettre de répudiation que Moïse autorisait en certains cas : « C’est, précisa le Christ, en raison de votre caractère intraitable que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais à l’origine il n’en fut pas ainsi. Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère » Mt 19, 10. Et alors – comme on peut le déduire du contexte – les disciples qui avaient écouté attentivement ces dernières paroles de Jésus, lui dirent : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier » Mt 19, 10. Et Jésus de leur répondre : « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c’est donné. Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra ! » Mt 19, 11-12.
3. Quant à cet entretien que nous rapporte Matthieu, on peut se demander ce que pensaient les disciples quand, après avoir entendu la réponse donnée par Jésus aux pharisiens au sujet du mariage et de son indissolubilité, il observèrent : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier ». En tout cas, le Christ estime que cette circonstance est opportune pour leur parler de la continence pour le Royaume des Cieux. En disant cela, il ne prend pas directement position au sujet de la remarque de ses disciples et il ne se maintient pas non plus dans la ligne de leur raisonnement [1]. Aussi il ne répond pas : il convient de se marier ou il n’est pas expédient de se marier. La question de la continence pour le Royaume des Cieux n’est pas opposée au mariage et elle ne se base pas sur un jugement négatif au sujet de son importance. Du reste, parlant précédemment de l’indissolubilité du mariage, le Christ s’était référé à l’origine, c’est-à-dire au mystère de la Création, indiquant ainsi la source première et fondamentale de sa valeur. Par conséquent, pour répondre à la question des disciples, ou plutôt pour éclaircir le problème soulevé, Jésus a recours à un autre principe. Si la continence est observée par ceux qui, dans leur vie, font ce choix pour le Royaume des Cieux, ce n’est pas parce qu’il n’est pas expédient de se marier ou parce qu’on supposerait que le mariage a une valeur négative ; ils le font en vue de la valeur particulière qui est attachée à ce choix et qu’il convient de découvrir et saisir personnellement comme sa propre vocation. C’est pourquoi le Christ dit : « Comprenne qui pourra ! » Mt 19, 12. Juste avant cela il avait toutefois dit : « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c’est donné » (Mt 19, 11).
4. On le voit, dans sa réponse au problème que lui soumettent les disciples, le Christ précise clairement une règle pour comprendre ses paroles. Dans la doctrine de l’Église est en vigueur la conviction que ces paroles expriment, non pas un commandement qui oblige tout le monde, mais un conseil qui concerne seulement quelques personnes [2] celles précisément qui sont capables de le comprendre, celles à qui c’est donné. Les paroles que nous avons citées indiquent clairement le moment du choix personnel et en même temps celui de la grâce particulière, c’est-à-dire du don accordé à l’homme pour faire ce choix. On peut dire que le choix de la continence pour le Royaume des Cieux est une orientation charismatique vers cet état eschatologique dans lequel les êtres humains ne prennent ni femme ni mari. Toutefois, entre cet état de l’homme dans la résurrection des corps et le choix volontaire de la continence pour le Royaume des Cieux durant la vie terrestre et dans l’état historique de l’homme tombé et racheté, il existe une différence essentielle. Le ‘ne pas se marier eschatologique’ sera un état, c’est-à-dire la façon propre, fondamentale, de l’existence des êtres humains, hommes et femmes, dans leurs corps glorifiés. La continence pour le Royaume des Cieux, fruit d’une option charismatique, est une exception par rapport à l’autre état, c’est-à-dire celui auquel dès l’origine, l’homme a pris part et continue à prendre part au cours de toute son existence terrestre.
Notes
[1] Concernant les problèmes plus détaillés de l’exégèse de ce passage, voir par exemple L. SABOURIN, Il Vangelo di Matteo, Teologia Esegesi, Rome, Ed. Paoline, 1977, t. II, p. 834-836 ; « The positive values of consacred celibacy », dans The Way, supplément 10, été 1970, p. 51 ; J. BLINZLER, Einsin eunuchoi. Zur Auslegung von Mt 19, 12, « Zeitschrift fur die Neutestamentliche Wissenschaft » 48, 1957, p. 268 et sq.
[2] « La sainteté de l’Église est encore soutenue d’une façon particulière par les conseils multiples dont le Seigneur, dans l’Évangile, a proposé l’observance à ses disciples. Parmi ces conseils, une place éminente revient à ce don précieux de la grâce divine, fait par le Père à certains (Mt 19, 11 ; 1 Co 7, 7) de se vouer à Dieu seul plus facilement et d’un cœur sans partage dans la virginité et le célibat » LG 42.