Le « respect » du corps, force d’ordre spirituel
1. Dans la Première Lettre aux Thessaloniciens saint Paul écrit :
La volonté de Dieu, c’est que vous viviez dans la sainteté, que vous vous absteniez de la débauche, que chacun de vous sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu (1 Th 4, 3-5).
Et après un verset, il continue :
Car Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté, mais à la sanctification. Dès lors, qui rejette cela, ce n’est pas un homme qu’il rejette, c’est Dieu, lui qui vous fait le don de son Esprit-Saint (1 Th 4, 7-8).
Nous nous sommes référés à ces phrases durant notre rencontre du 14 janvier dernier. Nous les reprenons cependant aujourd’hui, car elles sont particulièrement importantes pour le thème de nos méditations.
2. La pureté dont parle Paul dans la 1 Th 4, 3-5 ; 1 Th 4, 7-8 se manifeste dans le fait que l’homme « sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion ». Dans cette formulation, chaque mot a une signification particulière et mérite donc un commentaire adéquat.
En premier lieu, la pureté est une « capacité » ou, dans le langage traditionnel de l’anthropologie et de l’éthique, une « aptitude ». En ce sens, c’est une vertu. Si cette habileté, c’est-à-dire la vertu, conduit à s’abstenir de l’ « impureté », c’est parce que l’homme qui la possède sait « user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion ». Il s’agit ici d’une capacité pratique qui rend l’homme capable d’agir d’une manière déterminée et, en même temps, de ne pas agir de manière contraire. Pour être une telle capacité ou une telle aptitude, la pureté doit évidemment être enracinée dans la volonté, dans le fondement même du vouloir et de l’agir conscient de l’homme. Dans sa doctrine sur la vertu, Thomas d’Aquin voit encore de manière plus directe l’objet de la pureté dans la faculté du désir sensible qu’il appelle appetitus concupiscibilis. C’est précisément cette faculté qui doit être particulièrement « dominée », ordonnée et rendue capable d’agir de manière conforme à la vertu pour que la « pureté » puisse être attribuée à l’homme. Selon cette conception, la pureté consiste avant tout dans le fait de contenir les impulsions du désir sensible qui a pour objet ce qui est corporel et sexuel dans l’homme. La pureté est une variante de la vertu de tempérance.
3. Le texte de 1 Th 4, 3-5 montre que la vertu de pureté, dans la conception de Paul, consiste également dans la domination et dans le dépassement des « passions libidineuses » ; cela veut dire que la capacité de contenir les impulsions du désir sensible, c’est-à-dire la vertu de tempérance, appartient nécessairement à sa nature. Mais, en même temps, le même texte paulinien attire notre attention sur une autre fonction de la vertu de pureté, sur une autre dimension – pourrait-on dire -, plus positive que négative.
Le devoir de pureté, que l’auteur de la Lettre semble mettre surtout en relief, est non seulement (et non pas tant) l’abstention de l’ « impureté » et de ce qui y conduit, donc l’abstention des « passions libidineuses » mais, en même temps, le maintien de son propre corps et, aussi indirectement, de celui d’autrui, dans « la sainteté et dans le respect ».
Ces deux fonctions, l’ « abstention » et le « maintien », sont étroitement liées et dépendantes l’une de l’autre. En effet, puisqu’on ne peut « user de son corps avec sainteté et respect », si cette abstention « de l’impureté » et de ce qui y conduit font défaut, en conséquence on peut admettre que le fait d’user du corps (du sien et, indirectement, de celui d’autrui) « avec sainteté et respect » confère une signification et une valeur adéquates à cette abstention. Par elle-même, elle demande le dépassement de quelque chose qui est dans l’homme et qui naît spontanément en lui comme inclinaison, comme attirance et aussi comme valeur qui agit surtout dans le domaine des sens, mais beaucoup plus souvent non sans répercussions sur les autres dimensions de la subjectivité humaine et, particulièrement, sur la dimension affective et émotive.
4. En considérant tout cela, il semble que l’image paulinienne de la pureté – image qui ressort de la comparaison très éloquente de la fonction de l’ « abstention » (c’est-à-dire de la tempérance) avec celle d’ « user du corps avec sainteté et respect » – soit profondément juste, complète et adéquate. Peut-être ne devons-nous ce caractère exhaustif qu’au fait que Paul considère la pureté non seulement comme capacité (c’est-à-dire disposition) des facultés subjectives de l’homme mais, en même temps, comme une manifestation concrète de la vie « selon l’Esprit » où la capacité humaine se trouve intérieurement fécondée et enrichie par ce que Paul, dans Ga 5, 22, appelle « fruit de l’Esprit ». Le respect qui naît dans l’homme au sujet de tout ce qui est corporel et sexuel, soit en lui, soit dans tout autre être humain, homme et femme, se révèle être la force la plus essentielle pour user du corps avec « sainteté ». Pour comprendre la doctrine paulinienne de la pureté, il faut entrer à fond dans la signification du terme « respect », compris ici, évidemment, comme force d’ordre spirituel. C’est précisément cette force qui confère sa pleine dimension à la pureté comme vertu, c’est-à-dire comme capacité d’agir dans tout ce domaine dans lequel il découvre, à l’intérieur de lui-même, les multiples impulsions des « passions libidineuses » et auxquelles il cède parfois pour différentes raisons.
5. Pour mieux comprendre la pensée de l’auteur de la Première Lettre aux Thessaloniciens, il serait bon d’avoir présent à l’esprit encore un autre texte que nous trouvons dans la Première Lettre aux Corinthiens. Paul y expose sa grande doctrine ecclésiologique, selon laquelle l’Église est Corps du Christ ; il saisit l’occasion pour formuler l’argumentation suivante au sujet du corps humain : « … Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté » (1 Co 12, 18) ; et plus loin :
Bien plus, les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c’est à eux que nous faisons le plus d’honneur. Moins ils sont décents, plus décemment nous les traitons : ceux qui sont décents n’ont pas besoin de ces égards. Mais Dieu a composé le corps en donnant plus d’honneur à ce qui en manque, afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres (1 Co 12, 22-25).
6. Bien que le sujet propre du texte en question soit la théologie de l’Église comme Corps du Christ, on peut cependant dire, en marge de ce passage, que Paul, à travers sa grande analogie ecclésiastique (qui revient dans d’autres lettres et que nous reprendrons en son temps) contribue, en même temps, à approfondir la théologie du corps. Alors que dans la Première Lettre aux Thessaloniciens, il écrit sur le fait d’user du corps « avec sainteté et respect », dans le passage qui vient d’être cité de la Première Lettre aux Corinthiens, il veut montrer ce corps humain comme étant précisément digne de respect. On pourrait également dire qu’il veut enseigner aux destinataires de sa lettre la juste conception du corps humain.
C’est pourquoi cette description paulinienne du corps humain dans la Première Lettre aux Corinthiens semble être étroitement liée aux recommandations de la Première Lettre aux Thessaloniciens :
Que chacun sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et respect » (1 Th 4, 4).
C’est là une ligne importante, peut-être essentielle, de la doctrine paulinienne sur la pureté.