1. Nous avons analysé l’épître aux Éphésiens et surtout Ep 5, 22-33, du point de vue de la nature sacramentelle du mariage. Maintenant nous examinerons encore ce même texte selon l’optique de la parole de l’Evangile.
Les paroles que le Christ adresse aux pharisiens (Mt 19) se réfèrent au mariage en tant que sacrement, soit donc à la révélation primordiale de la volonté et de l’action salvifiques de Dieu à l’origine, dans le mystère même de la création. En vertu de cette volonté et de cette action salvifiques de Dieu, l’homme et la femme s’unissant et devenant ainsi « une seule chair » Gn 2, 24 étaient en même temps destinés à être unis « dans la vérité et dans la charité » comme fils de Dieu (GS 24), fils adoptifs dans le Fils premier-né, bien-aimé de toute éternité. C’est à cette unité et à cette communion de personnes, à la ressemblance de l’union des personnes divines (GS 24), que sont dédiées les paroles du Christ qui se réfèrent au mariage comme sacrement primordial et qui confirment en même temps ce sacrement sur la base du mystère de la rédemption. En effet, l’originaire unité dans le corps de l’homme et de la femme ne cesse de former l’histoire de l’homme sur la terre bien qu’elle ait perdu la limpidité du sacrement, du signe du salut qu’elle possédait à l’origine.
2. Si, dans les évangiles selon saint Matthieu et saint Marc cf. (Mt 19 ; Mc 10), le Christ confirme, en présence de ses interlocuteurs, qu’à l’origine le Créateur a institué le mariage en tant que sacrement – et si en raison de ceci il exige son indissolubilité – par cela même il ouvre le mariage à l’action salvifique de Dieu, aux forces qui jaillissent de la rédemption du corps et qui aident à surmonter les conséquences du péché et à édifier l’unité de l’homme et de la femme selon le dessein éternel du Créateur. L’action salvifique qui découle du mystère de la rédemption endosse l’originaire action sanctifiante de Dieu dans le mystère même de la Création.
3. Mt 19, 3-9 Mc 10, 2-12 ont en même temps un accent éthique très expressif. Ces paroles confirment – sur la base du mystère de la rédemption – le sacrement primordial et en même temps établissent un éthos adéquat que nous avons déjà dans nos réflexions précédentes appelé éthos de la rédemption. L’éthos évangélique et chrétien est, dans son essence théologique, l’éthos de la rédemption. Certes, pour cet éthos, nous pouvons trouver une interprétation rationnelle, une interprétation philosophique de caractère personnaliste : toutefois, dans son essence théologique, il est un éthos de la rédemption, et mieux : un éthos de la rédemption du corps. La rédemption devient en même temps la base permettant de comprendre la dignité particulière du corps humain, enracinée dans la dignité personnelle de l’homme et de la femme. La raison de cette dignité se trouve précisément à la racine de l’indissolubilité de l’alliance conjugale.
4. Le Christ se réfère au caractère indissoluble du mariage en tant que sacrement primordial et, confirmant ce sacrement sur la base du mystère de la rédemption, il en tire en même temps des conclusions de nature éthique : « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à l’égard de la première, et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère » Mc 10, 11 Mt 19, 9 On peut affirmer que de cette manière la rédemption est donnée à l’homme comme grâce de la Nouvelle Alliance avec Dieu dans le Christ – et qu’en même temps elle lui est assignée comme éthos : comme forme de la morale correspondant à l’action de Dieu dans le mystère de la rédemption. Si, comme sacrement, le mariage est un signe efficace de l’action salvifique de Dieu dès l’origine, ce sacrement constitue en même temps – à la lumière des paroles du Christ que nous méditons ici – une exhortation adressée à l’être humain, homme et femme, pour qu’ils participent consciencieusement à la rédemption du corps.
5. La dimension éthique de la rédemption du corps se dessine de manière particulièrement nette quand nous méditons les paroles que le Christ prononça dans le Sermon sur la Montagne au sujet du commandement : « Tu ne commettras pas d’adultère » : « Vous avez appris qu’il a été dit « Tu ne commettras pas l’adultère ». Et bien, moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans « son cœur », l’adultère avec elle » Mt 5, 27-28. Précédemment nous avons largement commenté cet énoncé lapidaire du Christ, dans la conviction qu’il a une signification fondamentale pour toute la théologie du corps, surtout dans la dimension de l’homme historique. Et, bien que ces paroles ne se réfèrent pas directement et immédiatement au mariage comme sacrement, il est cependant impossible de les séparer de tout le substrat sacramentel dans lequel, en ce qui regarde le pacte conjugal, se trouve placée l’existence de l’être humain comme homme et femme : soit dans le contexte originaire du mystère de la Création soit également, par la suite, dans le contexte du mystère de la rédemption. Ce substrat sacramentel concerne toujours les personnes concrètes, il pénètre en ce qu’est l’homme et la femme (ou plutôt en qui est l’homme et la femme), dans leur originaire dignité propre d’image et ressemblance de Dieu en raison de la création et, en même temps, dans la dignité même héritée malgré le péché, et de nouveau, sans cesse, assignée comme tâche à l’homme moyennant la réalité de la rédemption.
6. Dans son Sermon sur la Montagne, le Christ donne sa propre interprétation du commandement « Tu ne commettras pas l’adultère » – interprétation qui constitue le nouvel éthos; par les mêmes paroles lapidaires il assigne comme tâche à tout homme la dignité de toute femme; et en même temps (bien que cela ne résulte du texte qu’indirectement), il assigne à toute femme la dignité de tout homme [1]. Il assigne enfin à chacun – tant à l’homme qu’à la femme – sa propre dignité – en un certain sens, le « sacrum » de la personne, et cela en considération de sa féminité ou masculinité, en considération du « corps ». Il n’est pas difficile de relever que les paroles que le Christ a prononcées dans son Sermon sur la Montagne regardent l’éthos. En même temps, il n’est pas difficile d’affirmer, après une réflexion approfondie, que ces paroles jaillissent du fond même de la rédemption du corps. Bien qu’elles ne se réfèrent pas directement au mariage comme sacrement, il est facile de constater que c’est par rapport au sacrement qu’elles acquièrent leur propre et entière signification : soit au sacrement primordial qui est uni au mystère de la Création, soit à celui dans lequel l’homme historique, après le péché et en raison de sa nature héréditaire de pécheur, doit retrouver la dignité et la sainteté de l’union conjugale dans le corps, sur la base du mystère de la rédemption.
7. Dans le Sermon sur la Montagne – et de même dans l’entretien avec les pharisiens sur l’indissolubilité du mariage – le Christ parle du fond de ce mystère divin. Et en même temps, il pénètre dans la profondeur même du mystère humain. C’est pourquoi il fait appel au cœur, à ce lieu intime où se combattent chez l’homme le bien et le mal, la concupiscence et la sainteté. Parlant de la concupiscence (du regard concupiscent : Mt 5, 28. Le Christ rend ses auditeurs conscients du fait que chacun porte en soi, avec le mystère du péché, la dimension intérieure de l’homme de la concupiscence (qui est triple : convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie : 1Jn 2, 16). C’est précisément à cet homme de la concupiscence qu’est donné dans le mariage le sacrement de la rédemption en tant que grâce, et signe de l’alliance avec Dieu – et qu’il lui est assigné comme éthos. Et en même temps, en rapport avec le mariage comme sacrement, il est assigné comme éthos à chaque être humain, homme et femme : il est assigné à son cœur, à sa conscience, à ses regards et à son comportement. Le mariage, selon les paroles du Christ Mt 19, 4, est sacrement depuis l’origine même; et en même temps, sur la base de la nature historique coupable, il est un sacrement issu du mystère de la rédemption du corps.
Note
[1] Le texte de saint Marc qui parle de l’indissolubilité du mariage affirme clairement que la femme, elle aussi, commet un adultère quand elle répudie son mari et en épouse un autre (cf. Mc 10, 11).