1.
À la résurrection […] on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25).
[…] ils sont pareils à des anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection (Lc 20, 36).
Essayons de comprendre ces paroles du Christ concernant la future résurrection, pour en tirer une conclusion sur la spiritualisation de l’homme, différente de celle de la vie terrestre. Ici, on pourrait également parler d’un parfait système de forces dans les rapports mutuels entre ce qui, dans l’homme, est spirituel et ce qui est corporel. Par suite du péché originel, l’homme historique fait l’expérience d’une multiple imperfection de ce système de forces, et, cela, saint Paul le met en évidence dans sa remarque bien connue : « J’aperçois une autre loi dans mon corps qui lutte contre la loi de ma raison » Rm 7, 23. L’homme eschatologique sera libéré de cette opposition.
Par la résurrection, le corps retrouvera l’unité et l’harmonie parfaites avec l’esprit ; l’homme n’éprouvera plus l’opposition entre ce qui, en lui, est spirituel et ce qui est corporel. La spiritualisation ne signifie pas seulement que l’esprit dominera le corps, mais que l’esprit imprégnera complètement le corps et que les forces de l’esprit imprégneront les énergies du corps.
2. Dans la vie terrestre, la domination de l’esprit sur le corps – et la subordination simultanée du corps à l’esprit – peut, comme résultat d’un incessant effort sur soi-même, exprimer une personnalité spirituellement mûre ; toutefois, le fait que les énergies de l’esprit parviennent à dominer les forces du corps ne supprime pas la possibilité même de leur opposition réciproque. La spiritualisation à laquelle font allusion les Évangiles synoptiques (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 34-35) dans les textes que nous avons analysés ici, écarte déjà cette possibilité. C’est donc une spiritualisation parfaite qui élimine complètement la possibilité qu’ « une autre loi … lutte contre la loi de la raison » (Rm 7, 23). Cet état qui, évidemment, est différent dans son essence même (et non seulement dans son degré) de ce que nous expérimentons dans la vie terrestre ne signifie pas, toutefois, quelque désincarnation du corps ni, par conséquent, une déshumanisation de l’homme. Au contraire, elle signifie même sa parfaite réalisation. En effet, dans l’être composé psychosomatique qu’est l’homme, la perfection ne peut consister qu’en une parfaite harmonie entre l’esprit et le corps, en la sauvegarde de la primauté de l’esprit, et non pas en une opposition de l’un à l’autre. Dans l’autre monde cette primauté sera réalisée et elle se manifestera dans une parfaite spontanéité, dépourvue de toute opposition de la part du corps. Il ne faut toutefois pas comprendre cela comme victoire définitive de l’esprit sur le corps. La résurrection consistera en la parfaite participation de tout ce qui en l’homme est corporel à tout ce qui est spirituel en lui. Elle consistera en même temps en une parfaite réalisation de ce que l’homme a de personnel en soi.
3. Les paroles des Synoptiques indiquent que dans l’autre monde, l’état de l’homme ne sera pas seulement un état de parfaite spiritualisation, mais aussi de divinisation fondamentale de son humanité. Les « fils de la résurrection » – comme nous le lisons dans Lc 20, 36 – ne sont pas seulement « égaux aux anges » mais ils sont également « fils de Dieu ». On peut en conclure que le degré de spiritualisation propre à l’homme eschatologique aura sa source dans le degré de sa divinisation, infiniment supérieur à celui qu’il est possible d’atteindre dans la vie terrestre. Il faut ajouter qu’il s’agit ici non seulement d’un degré différent mais en un certain sens d’un autre genre de divinisation. La participation à la vie intérieure de Dieu même, pénétration et imprégnation de ce qui est essentiellement humain par ce qui est essentiellement divin, atteindra alors son sommet ; aussi la vie de l’esprit humain parviendra-t-elle à une altitude qui aurait été absolument inaccessible auparavant. Cette nouvelle spiritualisation sera donc fruit de la grâce, c’est-à-dire du fait que Dieu se communique dans sa divinité même, non seulement à l’âme mais aussi à toute la subjectivité psychosomatique de l’homme. Nous parlons ici de la subjectivité (et non de la nature) parce que cette divinisation doit être entendue non seulement comme un état intérieur de l’homme (c’est-à-dire : du sujet), capable de voir Dieu face à face, mais aussi comme une nouvelle formation de toute la subjectivité personnelle de l’homme au fur et à mesure de l’union avec Dieu dans son mystère trinitaire, et de l’intimité avec Lui dans la parfaite communion des personnes. Cette intimité – avec toute son intensité subjective – n’absorbera pas la subjectivité personnelle de l’homme ; au contraire, elle la fera ressortir de manière incomparablement plus nette et plus pleine.
4. La divinisation dans l’autre monde qu’indiquent les paroles de Jésus apportera à l’expérience humaine une gamme d’expériences de la vérité et de l’amour dépassant tout ce que l’homme aurait pu atteindre durant sa vie terrestre. Quand le Christ parle de la résurrection, il démontre également que le corps humain participera aussi, à sa manière, à cette expérience eschatologique de la vérité et de l’amour, unie à la vision de Dieu face à face. Quand le Christ dit que ceux qui participeront à la future résurrection « ne prendront ni femme ni mari » (Mc 12, 25), il n’affirme pas seulement – comme nous l’avons déjà observé – la fin de l’histoire humaine liée au mariage et à la procréation, mais ses paroles semblent également dévoiler la nouvelle signification du corps. Pourrait-on dans ce cas penser – à un niveau d’eschatologie biblique – à la découverte de la signification conjugale du corps, surtout comme signification virginale du fait d’être, quant au corps, homme et femme ? Pour répondre à cette question, qui ressort des paroles rapportées par les Synoptiques, il convient de pénétrer plus profondément dans l’essence même de ce que sera la vision béatifique de l’Etre divin, vision de Dieu face à face dans la vie future. Il faut aussi se laisser guider par cette gamme d’expériences de la vérité et de l’amour qui dépasse les limites des facultés cognitives et spirituelles dans la temporalité, et à laquelle l’homme aura part dans l’autre monde.
5. Cette expérience eschatologique du Dieu vivant concentrera en soi non seulement toutes les énergies spirituelles de l’homme mais en même temps lui dévoilera, de manière vivante et expérimentale, le ‘se communiquer’ de Dieu à toute la création et, en particulier, à l’homme : ce qui est le « se donner » le plus personnel de Dieu qui se donne dans sa divinité même à l’homme, à cet être qui depuis l’origine porte en soi son image et sa ressemblance. Ainsi donc, dans l’autre monde, l’objet de la vision sera ce mystère caché de toute éternité dans le Père, mystère qui a été révélé dans le temps par le Christ pour s’accomplir incessamment par l’opération du Saint-Esprit ; ce mystère deviendra, si on peut s’exprimer ainsi, le contenu de l’expérience eschatologique et la forme de toute l’existence humaine, à la dimension de l’autre monde. La vie éternelle doit s’entendre en un sens eschatologique, c’est-à-dire comme pleine et parfaite expérience de cette grâce (= charis) de Dieu à laquelle l’homme prendra part moyennant sa foi durant la vie terrestre et qui, en revanche, devra non seulement se révéler dans toute sa pénétrante profondeur à ceux qui participeront à l’autre monde, mais devra aussi être expérimentée dans sa réalité béatifique.
Nous suspendons ici notre réflexion centrée sur les paroles du Christ relatives à la future résurrection des corps. Dans cette spiritualisation et cette divinisation auxquelles la résurrection le fera participer, nous découvrons – dans une dimension eschatologique – les mêmes caractéristiques qui qualifiaient la signification conjugale du corps ; nous les découvrons dans la rencontre avec le mystère du Dieu vivant que dévoile la vision face à face avec Lui.