Voici ce qu’on accorde de toute parts : on peut retrouver dans les philosophies et les religions païennes une grande partie de ce qui est généralement tenu pour la vérité chrétienne, soit dans ses rudiments, soit dans certains de ses aspects. Ainsi la doctrine d’une Trinité se retrouve à la fois dans l’Orient et dans l’Occident ; de même la cérémonie des ablutions et le rite du sacrifice. La doctrine du Logos est Platonicienne ; la doctrine de l’Incarnation est Indienne ; celle d’un royaume des cieux est Judaïque ; celle des Anges et des démons vient des Mages ; la connexion du péché avec le corps est Gnostique ; le célibat était connu des bonzes et des Talapoins ; l’idée d’un ordre sacerdotal est Égyptienne, l’idée d’une nouvelle naissance se retrouve en Chine et à Éleusis, la croyance en la vertu des sacrements est Pytagoricienne, les honneurs rendus aux morts sont du polythéisme. Tel est en gros le fait qui nous est proposé. M. Milman en tire cet argument : « Tout cela se rencontre chez les païens, donc, rien de cela n’est chrétien ». Nous, au contraire, nous préférons dire : « Tout cela est Chrétien, donc rien de cela n’est païen ». Nous préférons dire, nous pensons avec l’appui de l’Écriture que, dès le commencement, le maître du monde moral a répandu les semences de la vérité sur toute l’étendue de sa surface, qu’elles ont pris racine d’une manière variée, qu’elles ont, comme il arrive, donné naissance dans le désert à des plantes, sauvages peut-être, pourtant vivantes ; de même que les animaux inférieurs, bien qu’ils n’aient pas d’âme, portent les marques d’un principe immatériel, de même les philosophies et les religions des hommes puisent leur vie dans certaines idées vraies, quoiqu’elles ne soient pas directement divines. Tel est l’homme parmi les animaux, telle est l’Église parmi les écoles du monde ; et de même qu’Adam a donné des noms aux animaux qui l’entouraient, de même l’Église depuis ses débuts a jeté ses regards tout autour sur la terre, notant et examinant les doctrines qu’elle y trouvait. Elle a commencé par la Chaldée, ensuite elle a séjourné parmi les Chananéens, elle est descendue en Égypte, elle a passé de là en Arabie, jusqu’à ce qu’elle se fût fixée sur sa propre terre. Ensuite elle a rencontrée les marchands de Tyr, la sagesse de l’Orient et le luxe de Saba. Elle fut ensuite emmenée captive à Babylone, puis elle parcourut les écoles de la Grèce. Et partout où elle allait, persécutée ou triomphante, toujours elle était un esprit vivant, l’esprit et le Verbe du Très-Haut ; « assise au milieu des docteurs, les écoutants et les interrogeant », s’attribuant ce qu’ils disaient de correct, corrigeant leurs erreurs, suppléant à leurs manques, complétant leur commencements, développant leur conjectures et ainsi élargissant graduellement l’étendue et affinant le sens de ses enseignements. Loin qu’il y ait lieu d’hésiter à accorder crédit à son credo parce qu’il ressemble aux théologies étrangères, nous allons jusqu’à soutenir qu’un moyen spécial par lequel la Providence nous a communiqué une connaissance divine a été de permettre à l’Église de la tirer, de la rassembler du monde entier, et en ce sens, « de sucer le lait des Gentils et de sucer la mamelle des Rois ».
Jusqu’où en fait cette méthode a-t-elle été : c’est une question d’histoire ; et nous croyons qu’elle a déjà été grandement exagérée et dénaturée par ceux qui, comme M. Milman, ont pensé que son existence était un argument contre la doctrine catholique. Mais a priori nous avons si peu de difficultés sur ce sujet que nous pourrions leur accorder volontiers (à moins que ce ne fut une question de fait et non pas de théorie) que Balaam était un sage oriental, ou qu’une Sibylle était inspirée, ou que Salomon fut enseigné par le fils de Mahol, ou encore que Moïse était un élève des hiérophantes égyptiens. Cela nous est égal de nous entendre dire que la doctrine de l’armée des cieux vint de Babylone, alors que nous savons que cette armée chanta la nuit de la Nativité ; ou que la conception d’un Médiateur se retrouve dans Philon, si en vérité Jésus est mort pour nous sur le Calvaire. Et nous ne craignons pas d’avantage d’admettre que, même après sa venue, l’Église a été comme une sorte de maison du trésor où l’on distribuait des choses anciennes et des choses nouvelles, où l’on fondait pour le raffiner l’or de nouveaux tributaires, et qui imprimait plus profondément sur son or à elle (et selon le besoin des temps) l’image de son Maître.
La distinction de ces deux théories est considérable. Elle éclate aux yeux.
Les défenseurs de l’une tiennent la Révélation pour un acte unique, entier et solitaire, ou à peu près, qui a lancé un certain message dans le monde. Nous, au contraire, nous croyons que l’enseignement divin a été donné en fait, comme les analogies de la nature devaient nous le faire attendre, « à diverses époques et de différentes manières », qu’il est varié, complexe, progressif et qu’il se supplémente lui-même. Nous croyons qu’à l’analyse la charpente de la doctrine chrétienne apparaît, telle celle du corps humain, « terrible et merveilleuse ».
Nos adversaires pensent qu’elle consiste en un certain nombre de doctrines ou de principes émis à un seul moment dans leur plénitude, sans élargissement graduel avant la venue du Christ, sans éclaircissement graduel après sa venue. Ils rejettent tout ce qu’ils retrouvent aussi chez les Pharisiens et les païens. Nous, nous concevons que l’Église, comme la verge d’Aaron, dévore les serpents des magiciens. Ils sont constamment à la recherche d’une simplicité primitive et fabuleuse ; nous nous reposons dans la plénitude catholique.