L’Église ne célèbre que trois naissances : celle du Fils de Dieu, celle de sa mère, et celle de Jean-Baptiste. La nativité de ce dernier fut même célébrée bien avant celle de la Vierge Marie : elle est attestée dès le IVème siècle.
De tous les autres saints nous retenons uniquement le jour de leur naissance à la vie définitive au moment du grand passage de ce monde à l’autre. L’exception faite pour saint Jean se fonde sur la parole insistante de l’Ange annonçant la destinée extraordinaire de cet enfant (Lc 1, 13-17), et surtout sur la grâce de sanctification reçue dès le sein de sa mère, lors de la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth (Lc 1, 39-56). Puisque l’enfant fut purifié du péché originel et oint de l’Esprit de sainteté, il est légitime de fêter sa naissance comme la célébration de l’entrée d’un saint dans notre monde.
« Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean-Baptiste » (Mt 11, 11), dont la venue et la mission furent annoncées par le prophète Jérémie en ces termes : « Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les peuples » (Jr 1, 5). C’est encore lui que fait parler Isaïe lorsqu’il proclame :
J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi sa flèche préférée, il m’a serré dans son carquois. Le Seigneur qui m’a formé dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur parle ainsi : “ Je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne aux extrémités de la terre” » (1ère lect.).
Se demandant pourquoi Notre-Seigneur était né au solstice d’hiver et Jean à l’équinoxe d’été, saint Augustin remarque que celui qui a dit : « Il faut qu’il grandisse et moi que je diminue » (Jn 3, 29-30) naît au moment où les jours commencent à diminuer, alors que le Christ surgit dans le monde comme « l’astre d’en haut qui vient nous visiter pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort » (Lc 1, 78-79). « Quel est ce mystère, conclut l’évêque d’Hippone, si ce n’est celui de notre humiliation, comme la naissance du Christ est pleine du mystère de notre élévation ».
Le problème en fait se pose plutôt dans l’autre sens : pourquoi l’Église a-t-elle fait coïncider la nativité de Notre-Seigneur avec le solstice d’hiver et celle de son Précurseur avec le déclin des jours d’été ? Saint Augustin vient de nous donner la réponse : le choix se justifie en raison de la portée symbolique de ces deux jours – du moins dans l’hémisphère nord ! Il faut également ajouter un motif pastoral, à savoir la lutte contre les pratiques idolâtriques. Le culte de Mithra célébrait la victoire du soleil le 25 décembre, et le solstice d’été était l’occasion de réjouissances populaires accompagnées de rituels impliquant des danses autour de grands feux symbolisant la lumière du soleil à son apogée. Les Pères de l’Église fulminèrent contre ces pratiques, Charlemagne les interdit à plusieurs reprises ; rien n’y fit : la tradition païenne subsistait ! Il ne restait plus qu’à l’intégrer dans la célébration chrétienne en bénissant le feu, qui devint le symbole de la joie en raison de la naissance du Précurseur ! (S. Césaire d’Arles, Concile d’Agde, en 506).
Il se trouve fort heureusement que les six mois qui séparent les deux solstices et donc les deux nativités peuvent se référer également à une Parole évangélique. Lors de l’Annonciation, l’Ange révèle en effet à Marie que sa « cousine a conçu elle aussi un fils dans sa vieillesse et qu’elle en est à son sixième mois ». La naissance du Précurseur précèderait donc effectivement de six mois celle du Seigneur auquel il avait mission de « rendre témoignage, afin que tous croient en lui » (Jn 1, 7).
En contemplant les feux de la Saint Jean, souvenons-nous du Feu de l’Esprit que le Christ est venu allumer sur terre : « oui j’ai vu et je rends témoignage, atteste le Précurseur : c’est lui le Fils de Dieu » (Jn 1, 34) ; « celui qui vous baptisera dans l’Esprit et le Feu » (Lc 3, 16).
Demandons à l’Esprit Saint de ranimer la flamme de notre baptême, afin d’être nous aussi des témoins de « la vraie Lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde » (Jn 1, 9) : « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) et donne à ceux qui croient « de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
Comme chaque année, nous souhaitons une bonne fête à nos frères et sœurs québécois et canadiens français, qui se sont mis sous le patronage de saint Joseph (bien sûr !) mais aussi de saint Jean-Baptiste. C’est en effet en la fête de la Nativité de saint Jean Baptiste, le 24 juin 1615, à la Rivière des Prairies, que fut célébrée la première Messe au Canada. Le 25 février 1908, le pape saint Pie X confirmait la dévotion populaire en déclarant saint Jean Baptiste patron spécial des canadiens français.