Aujourd’hui, frères très chers, le Christ est né et nous sommes renés. Aujourd’hui, le Sauveur a reçu de Sa mère le moment de sa venue sur terre, lui qui, de son Père n’avait pas connu l’instant d’une naissance. Aujourd’hui, par le chemin des hommes, le Fils de Dieu est entré dans le monde, alors que Sa main avait fait le monde, avant l’apparition de l’homme. Aujourd’hui, celui qui réside aux Cieux est venu sur la terre pour inviter au Ciel les habitants de la terre. « Dieu », dit le Psaume, « est admirable dans Ses saints » (Ps 67,35). S’Il est admirable dans Ses saints, comment ne le serait-Il pas en Lui-même ? S’il est admirable dans saint Jean qu’il voulut faire naître d’un père avancé en âge et d’une mère stérile, combien plus est-Il admirable en Lui-même ! Pour revêtir la chair de notre condition, Il a donné à une vierge une manière inouïe de concevoir et d’enfanter. Le prophète Habacuc écrit : « Seigneur, j’ai entendu Ton enseignement et j’ai eu peur. J’ai considéré Tes œuvres et j’ai tremblé » (Hab. 3,2).
Le mystère des deux naissances
Qui ne tremblerait et ne redouterait la profondeur d’un si grand Mystère alors qu’un seul et même Être naît comme Dieu sans conception humaine et devient homme sans l’intervention d’un créateur. Nous lisons, mes très chers frères, qu’il y a deux naissances dans le Christ, mais l’une comme l’autre sont expression d’une puissance divine qui nous dépasse absolument. D’un côté, Dieu engendra Son Fils à partir de Lui-même ; de l’autre, une vierge le conçut par l’opération divine.
D’une part, c’est un prodige sans commencement, de l’autre, sans exemple. Dans un cas, Il naît pour créer la vie, dans l’autre, pour enlever la mort. Là, Il naît de son Père, ici, Il est mis au monde par les hommes. Par Sa naissance du Père, Il est à l’origine de l’homme. Par Sa génération humaine, Il libère l’homme. L’une et l’autre formes de naissance sont proprement indicibles en même temps qu’inséparables. L’une est antérieure à l’homme, l’autre lui est supérieure. L’une dépasse la raison, l’autre est un prodige. Lorsque nous enseignons qu’il y a deux naissances dans le Christ, nous ne voulons pas dire que le Fils de Dieu naît deux fois, mais nous affirmons la dualité de nature en un seul et même Fils de Dieu. D’une part, est né ce qui existait déjà ; d’autre part, a été produit ce qui n’existait pas encore. Le bienheureux Évangéliste Jean l’affirme par ces paroles : « Dans le principe était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu », et encore : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 1-14).
Ainsi donc, Dieu Qui était auprès de Dieu est sorti de Lui et la chair de Dieu qui n’était pas en Lui est issue d’une femme. Ainsi le Verbe est devenu chair, non de telle sorte que Dieu soit dilué dans l’homme, mais pour que l’homme soit glorieusement élevé en Dieu. C’est pourquoi Dieu n’est pas né deux fois, mais, par ces deux genres de naissances – à savoir celle de Dieu et celle de l’homme – le Fils unique engendré du Père a voulu être Lui-même à la fois Dieu et homme en une seule personne : « Qui donc pourrait raconter sa génération ? » (Is 53, 8).
Impuissance de la raison humaine
Mais, mes frères, si la naissance du Christ ne peut être racontée, elle peut être contemplée. Si la parole est impuissante, la foi y supplée. La foi s’est avancée bien loin en effet lorsqu’elle est allée, dans sa conception de Dieu, jusqu’au point où le langage humain ne peut plus enfanter. Prenez garde, frères très chers, à ce que l’incrédulité ne vous trouble pas à ce sujet, car si un homme ne parvient pas à exprimer ce qu’il ressent, il reste pourtant hors de doute que Dieu peut combler comme Il veut cette défaillance. Et il serait tout à fait absurde, mes frères, que nous puissions enserrer un Dieu ineffable dans le minuscule réseau de notre parole fragile. C’est une preuve de folie que de nous efforcer d’enfermer dans les mots infimes de nos lèvres corruptibles, les œuvres de la Majesté infinie. Comment l’homme pourrait-il comprendre un Dieu ? Comment un être soumis à la naissance comprendrait-il Celui Qui n’a pas été engendré ? Comment un mortel comprendrait-il l’Eternel ?
Si tu t’efforces de chercher comment Dieu a pu devenir homme et comment l’homme a pu devenir Dieu, cherche d’abord, si tu le peux, comment le monde a été fait de rien, par quelle merveille le firmament resplendit, par quelle force subsistent l’état liquide des eaux et la substance solide de la terre. Et cherche encore comment l’homme est issu de la terre, la femme de l’homme, et comment, de nouveau, l’homme naît par l’intermédiaire de la femme. Qu’est-ce pour Dieu après tout cela, que d’engendrer la lumière et les ténèbres et de créer la vie et la mort ? Si donc, ô homme, tu n’es pas en mesure de comprendre de quelle manière ou à partir de quoi ni toi-même ni tout ce qui a été créé pour toi a été fait, au nom de quelle présomption et avec quelle sottise vas-tu scruter ton Créateur Qui est aussi l’Auteur de toutes choses ?
Adhérer par la Foi au Mystère
Nous confessons donc qu’un Dieu est né de Dieu, Son Père, et que le Même est devenu homme à partir d’une vierge. Mais ces vérités, mes très chers frères, sont obscures pour la raison et manifestes seulement pour la foi. Nous ne pourrons avoir une toute petite idée de l’immensité de la majesté infinie que si nous prenons garde à la grandeur et à la qualité de Dieu, sachant que nous ne pouvons parvenir à le connaître. C’est ce que dit le Seigneur à Moïse : « Mais toi, tu ne pourras pas voir Ma face » (Ex 33, 20). C’est-à-dire « Ma divinité ne peut être perçue telle quelle par les yeux de la chair ». En effet, le bienheureux David, contemplant la force de Sa toute-puissance, s’écriait « Tes œuvres sont admirables, ô Seigneur, et mon âme le sait bien » (Ps 138, 14).
L’âme du prophète savait bien, en effet, que les œuvres de Dieu dépassent infiniment la réflexion de tout esprit humain ; et c’est pourquoi le très sage patriarche, enfermé dans les étroitesses de sa pensée humaine, s’émerveillait devant ce qu’il ne pouvait inventorier.
Qui donc, parmi les hommes, oserait scruter ou fouiller ce qu’un si grand prophète admirait seulement ? « Tes œuvres sont admirables », dit-il, « et mon âme le sait bien ». Son âme avait, en effet, connu – bien que sa chair n’eût pu le sentir – ce qu’est ce Dieu incompréhensible. Tout homme donc qui veut examiner les œuvres de Dieu plutôt que de les croire, ne suit pas la voie du bon sens de l’âme, mais celle de l’erreur. Et c’est pourquoi, frères, ne recherchons pas curieusement comment Dieu est né de Dieu, mais croyons-le. Ne refusons pas d’admettre l’enfantement d’une vierge, mais admirons ; en sorte que, confessant comme Dieu et homme à la fois le Fils unique de Dieu, nous gardions inentamée la vérité de la foi qui mène au Ciel. Amen.