La fête de la Dormition de la Mère de Dieu, connue en Occident sous le nom de l’Assomption, comprend deux moments distincts mais inséparables pour la foi de l’Église : la mort et l’ensevelissement de la Mère de Dieu ; et sa résurrection et son ascension. L’Orient orthodoxe a su respecter le caractère mystérieux de cet événement qui, contrairement à la résurrection du Christ, n’a pas fait l’objet de la prédication apostolique. En effet, il s’agit d’un mystère qui n’est pas destiné aux oreilles de « ceux de l’extérieur », mais se révèle à la conscience intérieure de l’Église. Pour ceux qui sont affermis dans la foi en la résurrection et l’ascension du Seigneur, il est évident que, si le Fils de Dieu avait assumé sa nature humaine dans le sein de la Vierge, celle qui a servi à l’Incarnation devait à son tour être assumée dans la gloire de son Fils ressuscité et monté au ciel. Ressuscite, Seigneur, en ton repos, toi et l’Arche de ta sainteté (Ps 131, 8, qui revient à maintes reprises dans l’office de la Dormition). « Le cercueil et la mort » n’ont pas pu retenir « la Mère de la vie » car son Fils l’a transférée dans la vie du siècle futur (kondakion).
La glorification de la Mère est une conséquence directe de l’humiliation volontaire du Fils : le Fils de Dieu s’incarne de la Vierge Marie et se fait « Fils de l’homme », capable de mourir, tandis que Marie, en devenant Mère de Dieu, reçoit la « gloire qui convient à Dieu » (vêpres, ton 1) et participe, la première parmi les êtres humains, à la déification finale de la créature. « Dieu se fit homme, pour que l’homme soit déifié » (S. Irénée, S. Athanase, S. Grégoire de Nazianze, S. Grégoire de Nysse [PG 7, 1120 ; 25, 192 ; 37, 465 ; 45, 65] et d’autres Pères de l’Église). La portée de l’incarnation du Verbe apparaît ainsi dans la fin de la vie terrestre de Marie. « La Sagesse est justifiée par ses enfants » : la gloire du siècle à venir, la fin dernière de l’homme est déjà réalisée, non seulement dans une hypostase divine incarnée, mais aussi dans une personne humaine déifiée. Ce passage de la mort à la vie, du temps à l’éternité, de la condition terrestre à la béatitude céleste, établit la Mère de Dieu au-delà de la résurrection générale et du jugement dernier, au-delà de la parousie qui mettra fin à l’histoire du monde. La fête du 15 août est une seconde Pâque mystérieuse, puisque l’Église y célèbre, avant la fin des temps, les prémices secrètes de sa consommation eschatologique. Ceci explique la sobriété des textes liturgiques qui laissent entrevoir, dans l’office de la Dormition, la gloire ineffable de l’Assomption de la Mère de Dieu. L’office de « l’Ensevelissement de la Mère de Dieu », 17 août, d’origine très tardive, est au contraire trop explicite : il est calqué sur les matines du Samedi saint (« Ensevelissement du Christ »).
La fête de la Dormition est probablement d’origine hiérosolymitaine. Cependant, à la fin du IVème siècle, Éthérie ne la connaît pas encore. On peut supposer néanmoins que cette solennité n’a pas tardé à apparaître, puisque au VIème siècle, elle est déjà répandue partout : S. Grégoire de Tours est le premier témoin de la fête de l’Assomption en Occident (De gloria martyrum, Miracula I, 4 et 9 – PL 71, 708 et 713), où elle était célébrée primitivement en janvier. Le missel de Bobbio et le sacramentaire gallican indiquent la date du 18 janvier). Sous l’empereur Maurice (582-602) la date de la fête est définitivement fixée au 15 août (Nicéphore Calliste, Histoire Ecclesiastique, 1.XVII, c. 28 – PG, 147, 292).
Parmi les premiers monuments iconographiques de l’Assomption, il faut signaler le sarcophage de Santa Engracia à Saragosse (début du IVème siècle) avec une scène qui est très probablement celle de l’Assomption (Dom Cabrol, Dictionaire d’archéologie chrétienne, I, 2990-94) et un relief du VIème siècle, dans la basilique de Bolnis-Kapanakéi, en Georgie, qui représente l’Ascension de la Mère de Dieu et fait pendant au relief avec l’Ascension du Christ (S. Amiranaschwili, Histoire de l’art géorgien (en russe, Moscou, 1950, p. 128). Le récit apocryphe qui circulait sous le nom de S. Méliton (IIème siècle), n’est pas antérieur au commencement du V ème siècle (PG, 5, 1231-1240). Il abonde en détails légendaires sur la mort, la résurrection et l’ascension de la Mère de Dieu, informations douteuses que l’Église prendra soin d’écarter. Ainsi, S. Modeste de Jérusalem (+634), dans son « Éloge à la Dormition » – (Encomium, PG 86, 3277-3312), est très sobre dans les détails qu’il donne : il signale la présence des Apôtres « amenés de loin, par une inspiration d’en haut », l’apparition du Christ, venu pour recevoir l’âme de sa Mère, enfin, le retour à la vie de la Mère de Dieu, « afin de participer corporellement à l’incorruption éternelle de celui qui l’a fait sortir du tombeau et qui l’a attirée à lui, de la manière que lui seul connaît » (Patrologia Orientalis, XIX, 375-438).
L’homélie de S. Jean de Thessalonique (✝ vers 630) ainsi que d’autres homélies plus récentes – de S. André de Crète, de S. Germain de Constantinople, de S. Jean Damascène (PG 97, 1045-1109 ; 98, 340-372 ; 96, 700-761) – sont plus riches en détails qui entreront aussi bien dans la liturgie que dans l’iconographie de la Dormition de la Mère de Dieu.
Le type classique de la Dormition dans l’iconographie orthodoxe se borne, habituellement, à représenter la Mère de Dieu couchée sur son lit de mort, au milieu des Apôtres, et le Christ en gloire recevant dans ses bras l’âme de sa Mère. Cependant, quelquefois, on a voulu signaler également le moment de l’assomption corporelle : on y voit alors, en haut de l’icône, au-dessus de la scène de Dormition, la Mère de Dieu assise sur un trône dans la mandorle, que les anges portent vers les cieux.
Sur notre icône (Paris, XXème siècle) [2], le Christ glorieux entouré de mandorle regarde le corps de sa Mère étendu sur un lit de parade. Il tient sur son bras gauche une figurine enfantine revêtue de blanc et couronnée de nimbe : c’est « l’âme toute lumineuse » (vêpres, stichère du ton 5) qu’il vient de recueillir. Les douze Apôtres « se tenant autour du lit, assistent avec effroi » (vêpres, stichère du ton 6) au trépas de la Mère de Dieu. On reconnaît facilement, au premier plan, S. Pierre et S. Paul, des deux côtés du lit. Sur quelques icônes, on représente en haut, dans le ciel, le moment de l’arrivée miraculeuse des Apôtres, rassemblés « des confins de la terre sur les nues » (kondakion, ton 2). La multitude d’anges présents à la Dormition forme parfois une bordure extérieure autour de la mandorle du Christ. Sur notre icône, les vertus célestes qui accompagnent le Christ sont signalées par un séraphin à six ailes. Trois évêques nimbés se tiennent derrière les Apôtres. Ce sont S. Jacques, « le frère du Seigneur », premier évêque de Jérusalem, et deux disciples des Apôtres : Hiérothée et Denys l’Aréopagite, venus avec S. Paul (kondakion, ton 2 ; voir le passage des Noms divins du Pseudo-Denys sur la Dormition : III, 2 PG, 3, 681). Au dernier plan, deux groupes de femmes représentent les fidèles de Jérusalem qui, avec les 3 évêques et les Apôtres, forment le cercle intérieur de l’Église où s’accomplit le mystère de la Dormition de la Mère de Dieu.
L’épisode d’Athonius, un Juif fanatique qui eut les deux mains coupées par le glaive angélique, pour avoir osé toucher à la couche funèbre de la Mère de Dieu, figure sur la plupart des icônes de la Dormition. La présence de ce détail apocryphe dans la liturgie (tropaire de l’ode 3) et l’iconographie de la fête doit rappeler que la fin de la vie terrestre de la Mère de Dieu est un mystère intime de l’Église qui ne doit pas être exposé à la profanation : inaccessible aux regards de ceux de l’extérieur, la gloire de la Dormition de Marie ne peut être contemplée que dans la lumière intérieure de la Tradition.
Notes de Testimonia
[1] Nos remerciements à Albocicade pour nous avoir fait découvrir ce texte.
[2] L’icône mentionnée n’était pas récupérable dans une bonne définition, nous l’avons substitué par une image sur le même thème.