Cette fête de la Croix glorieuse que la liturgie nous invite à célébrer aujourd’hui nous place au cœur du paradoxe chrétien : comment ce signe de malédiction qu’est la croix a-t-il pu devenir une source de bénédiction et de salut ? Comment la vie peut-elle jaillir de la mort ? La douceur de l’amertume ? La joie de la souffrance ? Ces questions nous minent tellement que nous préférons souvent faire comme si nous ne les entendions pas en essayant de nous raccrocher aux rives apparemment plus solides du quotidien de notre vie. Pourtant, elles sont tellement existentielles qu’on ne peut les occulter totalement. Elles reviennent lancinantes, attendant une réponse d’une intensité égale à celle avec laquelle elles se posent à nous.
L’Évangile nous ouvre un chemin lorsque nous entendons Jésus nous dire : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». Nous comprenons alors que la Croix ne devient salutaire que par le poids d’amour qui s’y révèle. L’amour vécu jusqu’au bout a pouvoir de sauver, réparer, donner un sens à ce qui semble à vue humaine insensé, illuminer les ténèbres les plus épaisses.
En haut du mât de la Croix, ce n’est plus un serpent d’airain que nous contemplons mais le Fils de Dieu qui s’est livré pour nous dans une passion, qui passa certes par la souffrance, mais une passion d’amour. Le christianisme est bien la religion de l’amour. Et cela, nous le contemplons dans le cœur transpercé de Jésus qui est comme un livre ouvert où se lit le message d’amour d’un Dieu qui se révèle en se livrant sans réserve. Voilà le centre de notre foi : croire en Jésus, Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré par amour pour moi.
Telle est l’Alliance nouvelle et éternelle entre Dieu et les hommes : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». A cette initiative déconcertante du Père, nous ne pouvons répondre que par l’humble accueil, dans la foi, du salut qu’il nous offre en son Fils. Croire signifie ici tout miser sur « le Christ Jésus ; lui qui, bien qu’étant de condition divine, a néanmoins voulu subir la mort sur la Croix pour nous obtenir la vie éternelle » ; contempler, avec Marie et Jean, le poids d’amour qui se révèle en celui qui « s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix » (1ère lecture) ; se laisser illuminer par l’Esprit, jailli des lèvres du Crucifié, et discerner la gloire qui resplendit sur son visage défiguré ; recueillir dans les vases d’argile que nous sommes l’eau et le sang jaillis de son côté ouvert.
Dans la blessure du cœur de Jésus nous trouvons bien plus que la simple guérison issue du serpent d’airain. Dans le désert de nos vies, lorsque nous regardons cette blessure d’amour du Crucifié, nous y puisons le salut, la transfiguration totale de nos existences marquées par les souffrances et le péché, la Vie éternelle : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé ».
Père, à chaque Eucharistie, tu renouvelles pour nous le même et unique mystère : Dans l’Esprit, tu te donnes totalement en ton Fils bien-aimé. Ranime notre foi, notre espérance et notre charité, pour que nous ne laissions perdre aucune des grâces dont tu veux nous combler. Qu’après avoir cueilli le fruit de la vie sur l’Arbre de la Croix, nous soyons conduits à la gloire de la résurrection par ce même Jésus-Christ, notre Seigneur.