Après l’interruption due aux fêtes récentes, nous recommençons aujourd’hui nos rencontres du mercredi en portant encore dans le cœur la joie sereine du mystère de la naissance du Christ que la liturgie de l’Église nous a fait célébrer et actualiser dans notre vie en cette période. Jésus de Nazareth, l’enfant qui vagit dans la mangeoire de Bethléem, est le Verbe éternel de Dieu qui s’est incarné par amour pour l’homme Jn 1, 14. Voilà la grande vérité à laquelle le chrétien adhère avec une foi profonde. Avec la foi de la Très Sainte Marie qui, dans la gloire de sa virginité intacte, a conçu et engendré le Fils de Dieu fait homme. Avec la joie de saint Joseph qui l’a gardé et protégé avec un immense amour. Avec la joie des pasteurs qui sont vite accourus à la grotte de la Nativité. Avec la foi des Mages qui l’ont entrevu dans le signe de l’étoile et qui ont pu, après de longues recherches, le contempler et l’adorer dans les bras de la Vierge Mère.
Que la nouvelle année soit vécue par tous sous le signe de cette grande joie intérieure, fruit de la certitude que Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique pour que quiconque croit en lui, ne meure pas, mais ait la vie éternelle.
C’est le vœu que j’adresse à vous tous qui êtes présents à cette première audience générale de 1981 ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers.
1. Que signifie l’affirmation : « La chair … a des désirs contraires à l’Esprit et l’Esprit des désirs contraires à la chair » ? Ga 5, 17. Cette question semble importante et même fondamentale dans le contexte de nos réflexions sur la pureté de cœur dont parle l’Évangile. Cependant, l’auteur de la Lettre aux Galates ouvre devant nous sur ce sujet des horizons plus vastes. Dans cette opposition entre la « chair » et l’Esprit (l’Esprit de Dieu), entre la vie « selon la chair » et la vie « selon l’Esprit » se trouve la théologie paulinienne de la justification, c’est-à-dire l’expression de la foi dans le réalisme anthropologique et éthique de la Rédemption accomplie par le Christ que Paul, dans le contexte que nous connaissons déjà, appelle aussi « Rédemption du corps ». Dans Rm 8, 23, la « Rédemption du corps » a aussi une dimension « cosmique » (en référence à toute la création), mais au centre de celle-ci il y a l’homme : l’homme constitué par l’unité personnelle de l’esprit et du corps. C’est précisément dans cet homme, dans son « cœur » et, par conséquent, dans tout son comportement, que fructifie la Rédemption du Christ grâce à ces forces de l’Esprit qui réalisent la « justification », c’est-à-dire qui font que la justice « abonde » dans l’homme, comme il est dit dans le Discours sur la Montagne Mt 5, 20. Elle « abonde « dans la mesure que Dieu a voulue et qu’il attend.
2. Il est significatif que Paul, en parlant des « œuvres de la chair » Ga 5, 11-21, mentionne non seulement « les fornications, l’impureté, le libertinage, l’ivresse, les orgies » – donc tout ce qui, selon un mode de compréhension objectif, revêt le caractère des « péchés de la chair » et de la jouissance sexuelle liée à la chair – , mais nomme aussi d’autres péchés auxquels nous ne serions pas portés à attribuer un caractère « charnel » et « sensuel » : « l’idolâtrie, la magie, les haines, la discorde, la jalousie, les emportements, les disputes, les dissensions, les envies »… (Ga 5, 20-21). D’après nos catégories anthropologiques et éthiques, nous serions plutôt portés à appeler toutes les « œuvres » ici énumérées « péchés de l’esprit humain plutôt que péchés de la chair ». Ce n’est pas sans raison que nous aurions pu voir en elles plutôt les effets de la « concupiscence des yeux » ou de « l’orgueil de la vie », qui ne sont pas des effets de la « concupiscence de la chair ». Cependant Paul les qualifie toutes d’ « œuvres de la chair ». Cela se comprend exclusivement dans le cadre de cette signification plus vaste (dans un certain sens métonymique) que prend, dans les lettres pauliniennes, le terme « chair » opposé non seulement et non pas tellement à l’ « esprit » humain mais à l’Esprit-Saint qui travaille dans l’âme (dans l’esprit) de l’homme.
3. Il existe donc une analogie significative entre ce que Paul définit comme « œuvres de la chair » et les paroles par lesquelles le Christ explique à ses disciples ce qu’il avait auparavant dit aux pharisiens au sujet de la « pureté » et l’ « impureté » rituelle Mt 15, 2-20. D’après les paroles du Christ, la vraie « pureté » (comme aussi l’ « impureté ») se trouve dans le cœur et provient « du cœur » humain. Dans le même sens, comme « œuvres impures » sont définis non seulement les « adultères » et la « prostitution », donc les « péchés de la chair » au sens strict, mais aussi les « propositions mauvaises…, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes ».Comme nous avons déjà pu le constater, le Christ se sert ici de la signification aussi bien générale que spécifique de l’ « impureté » (et donc indirectement aussi de la « pureté »). Saint Paul s’exprime de manière analogue : les œuvres de la chair sont comprises dans le texte paulinien aussi bien dans un sens général que dans un sens spécifique. Tous les péchés sont l’expression de la « vie selon la chair » qui est en contraste avec la « vie selon l’esprit ». Ce qui, conformément à notre convention linguistique (du reste, partiellement justifiée), est considéré comme « péché de la chair » est, dans la liste paulinienne, une des nombreuses manifestations (ou espèce) de ce qu’il appelle « œuvres de la chair » et, dans ce sens, un des signes, c’est-à-dire des actualisations de la vie « selon la chair » et non « selon l’Esprit ».
4. Les paroles que saint Paul écrit aux Romains : « Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car, si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si par l’Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » Rm 8, 12-13 nous introduisent de nouveau dans le domaine riche et différencié des significations que les mots « corps » et « esprit » ont pour lui. Cependant, la signification définitive de cet énoncé est parénétique, exhortatif et donc valable pour l’ethos évangélique. Lorsqu’il parle de la nécessité de faire mourir les œuvres du corps avec l’aide de l’Esprit, Paul exprime précisément ce dont le Christ a parlé dans le Discours sur la Montagne en faisant appel au cœur humain et en l’exhortant à la domination des désirs, même de ceux qui s’expriment dans le « regard » de l’homme vers la femme dans le but de satisfaire la concupiscence de la chair. Cette maîtrise ou, comme l’écrit Paul, le fait de « faire mourir les œuvres du corps avec l’aide de l’esprit », est une condition indispensable de la « vie selon l’Esprit », c’est-à-dire de la « vie » qui est l’antithèse de la « mort » dont il parle dans le même contexte. La vie « selon la chair » fructifie en effet la « mort », c’est-à-dire comporte comme effet la « mort » de l’Esprit.
Le terme « mort » ne signifie donc pas seulement la mort corporelle, mais aussi le péché que la théologie morale appellera péché mortel. Dans les Lettres aux Romains et aux Galates, l’apôtre élargit continuellement l’horizon du « péché-mort », aussi bien par rapport à l’ « origine » de l’histoire de l’homme que par rapport à son terme. Pour cela, après avoir élargi les multiples formes des « œuvres de la chair », il affirme que celui « qui les accomplit n’aura pas en héritage le Royaume de Dieu » Ga 5, 21. Ailleurs, il écrira avec une fermeté semblable : « Sachez-le bien, ni le fornicateur, ni l’impudique, ni le cupide – qui est un idolâtre – n’ont droit à l’héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu ». Ep 5, 5. Même dans ce cas, les œuvres qui empêchent d’avoir « part au Royaume du Christ et de Dieu » – c’est-à-dire les « œuvres de la chair » – sont énumérées comme exemple et avec une valeur générale, bien qu’ici les péchés contre la « pureté », au sens spécifique, soient placés d’abord Ep 5, 3-7.
5. Pour compléter le cadre de l’opposition entre le « corps » et le « fruit de l’Esprit », il faut observer que dans tout ce qui est manifestation de la vie et du comportement selon l’Esprit, Paul voit à un moment la manifestation de cette liberté pour laquelle le Christ « nous a libérés » Ga 5, 1 C’est ainsi qu’il écrit : « Vous, en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la loi en sa plénitude : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ga 5, 13-14. Comme nous l’avons déjà noté précédemment, l’opposition « corps- Esprit », vie « selon la chair », vie « selon l’Esprit » imprègne profondément toute la doctrine paulinienne de la justification. Avec une exceptionnelle force de conviction, l’apôtre des Gentils proclame que la justification de l’homme s’accomplit dans le Christ et par le Christ. L’homme obtient la justification dans la « foi opérant par la charité » Ga 5, 6 et non seulement par l’observance de chaque prescription de la Loi de l’Ancien Testament (en particulier, de la circoncision). La justification vient donc « de l’Esprit » (de Dieu) et non « de la chair ». Par conséquent, il exhorte les destinataires de sa lettre à se libérer de la fausse conception « charnelle » de la justification pour suivre la véritable conception, c’est-à-dire la conception « spirituelle ». Dans cette perspective, il les exhorte à se libérer vis-à-vis de la Loi et encore plus à être libres de la liberté par laquelle le Christ « nous a libérés ».
Ainsi donc, en suivant la pensée de l’Apôtre, il nous faut considérer et surtout réaliser la pureté évangélique, c’est- à-dire la pureté du cœur, d’après la mesure de cette liberté par laquelle le Christ « nous a libérés ».