1. Après avoir fait l’analyse des paroles du Christ se rapportant à l’évangile selon saint Matthieu 19, 10-12, il convient de passer à l’interprétation du thème : virginité et mariage.
Le Christ a parlé de manière concise et fondamentale de la continence pour le Royaume des Cieux. Comme nous en serons bientôt convaincus, dans l’enseignement de Paul nous pouvons relever une corrélation avec les paroles du Maître ; la signification de son énoncé (1 Co 7) doit être évaluée, dans l’ensemble, d’une manière différente. La grandeur de l’enseignement de Paul provient du fait qu’en présentant dans toute son authenticité et identité la vérité proclamée par le Christ, l’Apôtre lui donne son propre accent, en un certain sens sa propre interprétation personnelle, née toutefois des expériences de son activité apostolico-missionnaire, et peut- être même du besoin immédiat de répondre aux demandes concrètes des hommes qui étaient les destinataires de cette activité. Et c’est ainsi que nous trouvons dans saint Paul le problème du rapport entre mariage et célibat ou virginité, un sujet qui préoccupait les esprits de la première génération des confesseurs du Christ, la génération des disciples, des apôtres, des premières communautés chrétiennes. Cela se constatait davantage chez les convertis de l’hellénisme – c’est-à-dire donc du paganisme – que chez ceux du judaïsme ; et cela peut expliquer pourquoi le sujet a été traité précisément dans une épître adressée à la communauté de Corinthe, la première épître.
2. Tout l’énoncé a un ton indiscutablement magistral ; mais ce ton, comme le langage, est également pastoral. Paul enseigne la doctrine transmise par le Maître aux apôtres et, en même temps, il poursuit comme un entretien sur le thème en question avec les destinataires de son épître. Il parle comme un classique maître de morale, affrontant et résolvant des problèmes de conscience ; c’est pourquoi les moralistes se tournent plus volontiers vers les explications et les délibérations de 1 Co 7. Il importe toutefois de rappeler que la base ultime de ces délibérations doit être cherchée dans la vie et dans l’enseignement du Christ lui-même.
3. L’apôtre souligne de manière lumineuse que la virginité, c’est-à-dire la « continence volontaire », découle exclusivement d’un conseil et non d’un commandement : « Pour ce qui est des vierges, je n’ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil … » ; ce conseil, Paul le donne « en homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance » (1 Co 7, 25). Comme l’indiquent les paroles citées, l’apôtre établit, tout comme l’Évangile (Mt 19, 11-12) une distinction entre conseil et commandement. Paul veut conseiller sur la base de la règle doctrinale de son intelligence de l’enseignement proclamé ; il désire donner des conseils personnels aux hommes qui s’adressent à lui. Ainsi donc, dans 1 Co 7, le « conseil » a clairement deux significations différentes. L’auteur affirme que la virginité est un conseil et non pas un commandement et, en même temps, il donne des conseils soit aux gens déjà mariés, soit à ceux qui doivent encore se décider à cet égard et, enfin, à tous ceux qui se trouvent en état de veuvage. L’ensemble des problèmes est, en substance, semblable à celui que nous trouvons dans tout l’énoncé du Christ rapporté par Mt 19, 2-12 ; d’abord au sujet du mariage et de son indissolubilité, puis sur la continence volontaire pour le Royaume des Cieux. Toutefois, le style de cet ensemble de problèmes est tout à fait caractéristique : il est proprement paulinien.
4.
Si quelqu’un pense, étant en pleine ardeur juvénile, qu’il risque de mal se conduire vis-à-vis de sa fiancée, et que les choses doivent suivre leur cours, qu’il fasse ce qu’il veut : il ne pèche pas, qu’ils se marient ! Mais celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, en dehors de toute contrainte, en gardant le plein contrôle de sa volonté et a ainsi décidé en lui-même de respecter sa fiancée, celui-là fait bien. Ainsi donc celui qui se marie avec sa fiancée fait bien, mais celui qui ne se marie pas fait mieux encore.
5. Celui qui avait demandé conseil pouvait être un jeune qui se trouvait devant la décision de prendre femme ou peut être un nouvel époux qui, en présence des courants ascétiques existant à Corinthe, réfléchissait sur l’orientation à donner à son mariage ; ce pouvait également être un père ou le tuteur d’une fille qui avait posé le problème du mariage de celle-ci. En ce cas il s’agirait directement de la décision qui découlait de ses droits de tuteur. Paul écrit, en effet, à une époque où les décisions de ce genre appartenaient plus aux parents ou aux tuteurs qu’aux jeunes gens eux-mêmes. Répondant donc à la demande qui lui a été faite de cette manière, il cherche à expliquer de façon très précise que la décision au sujet de la continence, c’est-à-dire au sujet de la « vie à passer dans la virginité », doit être volontaire et que seule une « telle » continence est meilleure que le mariage. Les expressions fait bien et fait mieux encore ne prêtent à aucune équivoque dans ce contexte.
6. Eh bien, l’apôtre enseigne que la virginité, c’est-à- dire la continence volontaire, l’abstinence du mariage pour la jeune fille, découle exclusivement d’un conseil et que, dans d’opportunes conditions, elle est meilleure que le mariage. Il n’est ici nullement question de péché :
Es-tu lié à une femme ? Ne cherche pas à rompre. N’es-tu pas lié à une femme ? Ne cherche pas de femme. Si cependant tu te maries tu ne pèches pas ; et si la jeune fille se marie elle ne pèche pas.
Si nous n’avons que ces paroles pour base, nous ne pouvons certes former un jugement sur ce que l’apôtre pensait et enseignait au sujet du mariage. Ce sujet sera déjà expliqué partiellement dans le contexte de 1 Co 7, et de manière plus complète dans Ep 5, 21-23. Dans notre cas, il s’agit probablement de la réponse à la question de savoir si le mariage est un péché ; et on pourrait, à propos de cette question, penser à quelque influence de courants dualistes pré-gnotisques qui se tranformeront plus tard en encratisme et manichéisme. Paul répond que la question du péché n’est nullement en jeu. Il ne s’agit pas de discerner entre « bien » ou « mal », mais seulement entre « bien » ou « mieux ». Par la suite il expliquera pourquoi celui qui choisit le mariage fait bien et pourquoi celui qui choisit la virginité ou continence volontaire fait mieux encore.
Durant notre prochaine réflexion nous nous occuperons de l’argumentation paulinienne.