1. Au cours des audiences précédentes nous avons médité les paroles du Christ concernant l’autre monde qui apparaîtra en même temps que la résurrection des corps.
Ces paroles ont trouvé un écho particulièrement intense dans l’enseignement de saint Paul. Entre la réponse donnée aux sadducéens, transmise par les Évangiles synoptiques (cf. Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 35-36) et l’apostolat de Paul se trouve en tout premier lieu le fait même de la résurrection du Christ et toute une série de rencontres auxquelles il faut rattacher, comme dernier maillon de la chaîne, l’événement qui eut lieu sur le chemin de Damas. Saul ou Paul de Tarse qui, converti, devint l’ « Apôtre des Gentils », eut lui aussi sa propre expérience post-pascale, analogue à celle des autres apôtres. Sa foi en la résurrection, qu’il exprime surtout dans 1 Co 15, est certainement basée sur cette rencontre qu’il eut avec le Christ ressuscité, rencontre qui devint le début et le fondement de son apostolat.
2. Il serait difficile de résumer ici et de commenter de manière adéquate, dans tous ses détails, l’étonnante et vaste argumentation du chapitre 15 de l’épître aux Corinthiens. Il est significatif, alors que Jésus répondait aux sadducéens « qui niaient la résurrection » (Lc 20, 27) ; par les expressions rapportées dans les Synoptiques, Paul, de son côté répond ou plutôt – conformément à son tempérament – entre en polémique avec ceux qui la contestent [1]. Dans sa réponse (pré-pascale), le Christ ne se référait pas à sa propre résurrection, mais plutôt à la réalité fondamentale de l’Alliance vétéro- testamentaire, à la réalité du Dieu vivant, sur laquelle se fonde la conviction que la résurrection est possible : le Dieu vivant « n’est pas un Dieu des morts, mais des vivants » (Mc 12, 27). Dans son argumentation post-pascale sur la future résurrection, saint Paul se réfère surtout à la réalité et à la vérité de la résurrection du Christ. Bien plus, cette vérité il la défend comme fondement de la foi dans toute son intégrité :
[…] si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, vaine est aussi notre foi […]. Mais non ! le Christ est ressuscité des morts (1 Co 15, 14 ; 1 Co 15, 20).
3. Ici, nous nous trouvons dans la ligne même de la révélation : la résurrection du Christ est l’ultime et la plus pleine parole de l’auto-révélation du Dieu vivant comme « Dieu non pas des morts mais des vivants » (Mc 12, 27). Elle est l’ultime et la plus pleine confirmation de la vérité sur Dieu qui dès le début s’exprime à travers cette révélation. De plus, la résurrection est la réponse du Dieu de la vie à l’inéluctable réalité historique de la mort à laquelle l’homme a été soumis dès le moment où fut rompue la première Alliance ; la mort est entrée dans son histoire en même temps que le péché. Dans 1Co 15, Paul commente avec une rare perspicacité cette réponse au sujet de la victoire sur la mort, présentant la résurrection du Christ comme le début de l’accomplissement eschatologique où, par Lui et en Lui, tout retournera au Père, tout sera soumis au Père, c’est-à-dire remis définitivement « afin que Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28). Et alors, dans cette définitive victoire sur le péché – sur ce qui opposait la créature au Créateur -, la mort elle-même sera vaincue : « Le dernier ennemi à détruire, c’est la mort » (1 Co 15, 26).
4. C’est dans ce contexte que s’insèrent les paroles que l’on peut considérer comme une synthèse de l’anthropologie paulinienne concernant la résurrection. Et c’est sur ces paroles qu’il sera convenable de nous arrêter plus longuement. En effet, dans 1 Co 15, 42-46, nous lisons à propos de la résurrection des morts :
On sème de la corruption, il ressuscite de l’incorruptibilité ; on sème de l’ignominie, il ressuscite de la gloire ; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force ; on sème un corps psychique, il ressuscite un corps spirituel. S’il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C’est ainsi qu’il a été écrit : « Le premier homme, Adam, est devenu un être vivant ; le dernier Adam est devenu un esprit qui donne la vie. Mais ce n’est pas le corps spirituel qui parut d’abord, c’est le corps psychique ; puis vint le spirituel ».
5. Entre cette anthropologie paulinienne de la résurrection et celle qui ressort du texte des Évangiles synoptiques (Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 35-36), il existe une cohérence essentielle, à ceci près que le texte de la première épître aux Corinthiens a un plus ample développement. Paul approfondit ce que le Christ avait annoncé, pénétrant en même temps dans les différents aspects que les Synoptiques expriment en paroles concises et substantielles. Ce qui, en outre, est significatif dans le texte paulinien, c’est que la perspective eschatologique de l’homme, fondée sur la foi en la résurrection des morts, est unie à la référence à « l’origine » et également à la profonde conscience de la situation « historique » de l’homme. L’homme auquel Paul s’adresse dans sa première épître aux Corinthiens possède également une expérience (historique) du corps et cette expérience fait ressortir de manière très claire que le corps est corruptible, faible, psychique.
6. Cet homme, destinataire de son message – que ce soit celui de la communauté de Corinthe ou, dirais-je, l’homme de tous les temps – Paul le confronte avec le Christ ressuscité, le dernier Adam. En faisant cela, il l’invite, en un certain sens, à suivre les traces de sa propre expérience post- pascale. En même temps il lui rappelle le premier Adam, c’est-à-dire qu’il lui suggère de remonter à l’origine, à cette première vérité concernant l’homme et le monde, base de la révélation du mystère du Dieu vivant. Ainsi donc, Paul reproduit dans sa synthèse tout ce que le Christ avait annoncé quand il a fait appel à trois moments différents à l’origine, dans son entretien avec les pharisiens (Mt 19, 3-8 ; Mc 10, 2-9) ; au cœur humain comme siège, à l’intérieur de l’homme de la lutte contre le péché, dans le Sermon sur la Montagne (cf. Mt 5, 27) ; et à la résurrection comme réalité de l’autre monde, dans son entretien avec les sadducéens (cf. Mt 22, 30 ; Mc 12, 25 ; Lc 20, 35-36).
7. Appartient donc au style de la synthèse paulinienne le fait que celle-là s’enracine dans l’ensemble du mystère révélé de la création et de la résurrection à partir duquel elle se développe ; ce n’est d’ailleurs qu’à sa lumière qu’elle s’explique. D’après le récit biblique, la création de l’homme est une vivification de la matière par l’esprit ; et grâce à cela « le premier homme Adam … devint un être vivant » (1 Co 15, 45). Le texte paulinien répète ici les paroles de Gn 2, 7, c’est-à-dire du second récit de la création de l’homme (dit yahviste). La même source nous apprend que cette animation originelle du corps a subi une corruption à cause du péché. Même si, à ce point de sa première épître aux Corinthiens, l’auteur ne parle pas directement du péché originel, la série des qualificatifs qu’il attribue au corps de l’homme historique, écrivant qu’il est corruptible … faible … psychique … abject, indique suffisamment, toutefois, ce qui est selon la révélation une conséquence du péché, ce que Paul lui-même appelle ailleurs « esclavage de la corruption » (Rm 8, 21). Toute la création est soumise indirectement à cet « esclavage de la corruption » à cause du péché de l’homme que le Créateur avait placé au centre du monde visible pour qu’il le domine (cf. Gn 1, 28). Ainsi le péché de l’homme a-t-il une dimension non seulement intérieure, mais aussi cosmique. Et suivant cette dimension, le corps – qu’en raison de son expérience Paul qualifie de corruptible … faible … psychique … abject … – exprime en soi l’état de la création après le péché. Cette création, en effet, « jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22). Toutefois, comme les douleurs d’enfantement sont unies au désir de la naissance, à l’espérance d’un homme nouveau, de même…
la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu … et espère être, elle aussi, libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté des fils de Dieu (Rm 8, 19-21).
8. À travers ce contexte cosmique de l’affirmation contenue dans l’épître aux Romains – en un certain sens, à travers le corps de toutes les créatures – nous essayons de comprendre à fond l’interprétation paulinienne de la résurrection. Si cette image du corps de l’homme historique, si profondément réaliste, et si bien adaptée à l’expérience universelle des hommes, cache en soi selon Paul, non seulement la servitude de la corruption, mais aussi l’espérance, semblable à celle qui accompagne les douleurs de l’enfantement, cela est dû au fait que dans cette image l’apôtre relève également la présence du mystère de la Rédemption. La conscience de ce mystère se libère précisément de toutes les expériences de l’homme qui peuvent être qualifiées d’esclavage de la corruption ; elle se libère parce que la Rédemption opère dans l’âme de l’homme par les dons de l’Esprit :
[…] nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la Rédemption de notre corps (Rm 8, 23).
La Rédemption est la voie de la résurrection. La résurrection constitue l’accomplissement de la Rédemption du corps.
Nous reprendrons dans nos prochaines réflexions l’analyse du texte paulinien de la première épître aux Corinthiens.
Note
[1] Les Corinthiens étaient probablement aux prises avec des courants de pensée influencés par le dualisme platonicien et par le néo-pythagorisme de nuance religieuse, par le stoïcisme et par l’épicurisme ; du reste, toutes les philosophies grecques niaient la résurrection des corps. Paul s’en était déjà rendu compte à Athènes, durant son discours à l’Aréopage, devant la réaction des Grecs contre la doctrine de la résurrection.