1. Le texte de l’épître aux Éphésiens 5, 22-33 parle des sacrements de l’Eglise, en particulier du baptême et de l’eucharistie, mais seulement de manière indirecte et, dans un certain sens, de manière allusive, en développant l’analogie du mariage en référence au Christ et à l’Eglise. C’est ainsi que nous lisons d’abord que le Christ, qui « a aimé l’Église et qui s’est livré pour elle » (Ep 5, 25), a fait cela pour « la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne » (Ep 5, 26). Il s’agit ici incontestablement du sacrement de baptême qui, par l’institution du Christ, se trouve conféré depuis l’origine à ceux qui se convertissent. Les paroles citées montrent avec beaucoup de relief de quelle manière le baptême atteint sa signification essentielle et sa force sacramentelle à travers cet amour sponsal du Rédempteur par lequel se constitue surtout la sacramentalité de l’Eglise elle-même, qui est un grand sacrement. On peut peut-être dire la même chose de l’eucharistie à laquelle s’appliqueraient les paroles suivantes sur l’action de nourrir et de prendre soin du corps « comme le fait le Christ avec l’Eglise puisque nous sommes les membres de son corps » (Ep 5, 29-30). En effet, le Christ nourrit l’Église de son corps, précisément dans l’eucharistie.
2. On voit cependant que, ni dans le premier ni dans le second cas, nous ne pouvons parler d’une sacramentalité amplement développée. On ne peut même pas en parler quand il s’agit du sacrement de mariage comme un des sacrements de l’Église. En exprimant la relation sponsale du Christ avec l’Eglise, l’épître aux Éphésiens permet de comprendre que, sur la base de cette relation, l’Eglise elle-même est le grand sacrement, le nouveau signe de l’alliance et de la grâce qui tire ses racines des profondeurs du sacrement de la Rédemption, de même que des profondeurs du sacrement de la création est sorti le mariage, signe primordial de l’alliance et de la grâce. L’auteur de l’épître aux Éphésiens proclame que ce sacrement primordial se réalise d’une manière nouvelle dans le sacrement du Christ et de l’Église. C’est même pour cette raison que l’apôtre, dans Ep 5, 21-33, s’adresse aux conjoints pour qu’ils soient « soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ » (Ep 5, 21) et qu’ils modèlent leur vie conjugale en la fondant sur le sacrement institué à l’origine par le Créateur : sacrement qui a trouvé sa grandeur et sa sainteté définitives dans l’alliance sponsale de grâce entre le Christ et l’Église.
3. Bien que l’épître aux Éphésiens ne parle pas directement et immédiatement du mariage comme d’un des sacrements de l’Eglise, la sacramentalité du mariage s’y trouve cependant particulièrement confirmée et approfondie. Dans le grand sacrement du Christ et de l’Église, les conjoints chrétiens sont appelés à modeler leur vie et leur vocation sur le fondement sacramentel.
4. Après l’analyse de Ep 5, 21-33, adressé aux conjoints chrétiens, où Paul annonce le grand mystère (le grand sacrement) de l’amour sponsal du Christ et de l’Eglise, il importe de revenir à ces paroles significatives de l’Evangile que nous avons déjà analysées précédemment, en y voyant les énoncés clés pour la théologie du corps. Le Christ prononce ces paroles, pour ainsi dire, à partir de la profondeur divine de la « Rédemption du corps » (Rm 8, 23). Toutes ces paroles ont une signification fondamentale pour l’être humain en ce qu’il est précisément corps, en ce qu’il est homme et femme. Elles ont une signification pour le mariage où l’homme et la femme s’unissent de manière que les deux deviennent « une seule chair », selon l’expression de Gn 2, 24 bien que, dans le même temps, les paroles du Christ indiquent aussi la vocation à la continence « à cause du Royaume des Cieux » (Mt 19, 12).
5. Dans chacune de ces voies, la Rédemption du corps n’est pas seulement la grande attente de ceux qui possèdent « les prémices de l’Esprit » Rm 8, 23, mais aussi une source permanente d’espérance que la création sera « libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des fils de Dieu » Rm 8, 21. Les paroles du Christ, prononcées à partir de la profondeur divine du mystère de la Rédemption et de la Rédemption du corps, portent en elle le levain de cette espérance : elles lui ouvrent une perspective aussi bien dans la dimension eschatologique que dans la dimension de la vie quotidienne. En effet, les paroles adressées aux auditeurs immédiats sont adressées en même temps à l’homme historique des différents temps et des différents lieux. Cet homme qui possède précisément les prémices de l’Esprit « gémit en attendant la Rédemption du corps » (Rm 8, 23). En lui se concentre aussi l’espérance cosmique de toute la création qui « attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19).
6. Le Christ s’entretient avec les pharisiens qui lui demandent : « Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour n’importe quel motif? » (Mt 19, 3). Ils l’interrogent précisément de cette manière, parce que la loi attribuée à Moïse admettait ce que l’on appelle l’ « acte de répudiation » (Dt 24, 1). Voici la réponse du Christ :
N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme et qu’il a dit : Ainsi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien, ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer.
Quant à la lettre de répudiation, le Christ répond ainsi :
C’est à cause de votre caractère intraitable que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; mais à l’origine, il n’en fut pas ainsi. Or, je vous le dis : quiconque répudie sa femme – je ne parle pas de la fornication – et en épouse une autre, commet un adultère.
Qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère.
7. L’horizon de la Rédemption du corps s’ouvre par ces paroles qui constituent la réponse à une question concrète de caractère juridique et moral. Il s’ouvre avant tout par le fait que le Christ se place sur le plan de ce sacrement primordial, dont ses interlocuteurs héritaient de manière singulière, puisqu’ils héritaient aussi du mystère de la création, contenu dans les premiers chapitres du livre de la Genèse.
Ces paroles contiennent en même temps une réponse universelle, adressée à l’homme historique de tous les temps et de tous les lieux, puisqu’elles sont décisives pour le mariage et son indissolubilité. Elles se réfèrent en effet à ce qu’est l’être humain, homme et femme, à ce qu’il est devenu de manière irréversible par le fait qu’il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu : l’homme qui ne cesse d’être tel, même après le péché originel, bien que celui-ci l’ait privé de l’innocence originelle et de la justice. Le Christ qui, dans sa réponse à la question des pharisiens, se réfère à l’origine, semble souligner particulièrement de cette manière le fait qu’il parle de la profondeur du mystère de la Rédemption et de la Rédemption du corps. La Rédemption signifie en effet presque une nouvelle création, elle signifie l’assomption de tout ce qui est créé pour exprimer dans la création la plénitude de justice, d’équité et de sainteté choisie par Dieu, et pour exprimer cette plénitude surtout dans l’être humain, créé comme homme et femme à l’image de Dieu.
Dans l’optique des paroles du Christ adressées aux pharisiens sur ce qu’était le mariage dès l’origine, relisons aussi Ep 5, 22-33 comme témoignage de la sacramentalité du mariage, fondée sur le grand mystère du Christ et de l’Église.