1. Nous avons dit précédemment que, dans le contexte des réflexions actuelles sur la structure du mariage comme signe sacramentel, nous devons tenir compte non seulement de ce que le Christ a déclaré au sujet de son unité et de son indissolubilité en se référant à l’origine mais aussi (et plus encore) de ce qu’il a dit dans son Sermon sur la Montagne, quand il se réclama du cœur humain. En se reportant au commandement : « Tu ne commettras pas l’adultère », le Christ a parlé de l’adultère dans le cœur : « Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5, 28).
Ainsi donc, en affirmant que le signe sacramentel du mariage – signe de l’alliance conjugale de l’homme et de la femme – se forme sur la base du langage du corps une fois relu dans la vérité (et sans cesse relu), nous nous rendons compte que celui qui approfondit ce « langage » et ensuite l’exprime, selon les exigences propres du mariage comme pacte et sacrement, est naturellement et moralement l’être humain sujet à la concupiscence : homme et femme, entendus tous deux comme être humain sujet à la concupiscence. Les prophètes de l’Ancien Testament ont certainement devant les yeux cet être humain quand, utilisant une analogie, ils stigmatisent l’adultère d’Israël et de Juda. L’analyse des paroles prononcées par le Christ dans le Sermon sur la Montagne nous permet de comprendre plus profondément l’adultère lui-même. Et en même temps elle nous conduit à la conviction que le cœur humain est non pas tant accusé et condamné par le Christ à cause de la concupiscence (concupiscentia carnis) que tout d’abord et avant tout appelé. Ici se révèle une nette divergence entre l’anthropologie (ou l’herméneutique anthropologique) de l’Evangile et quelques représentants influents de l’herméneutique contemporaine de l’homme (qu’on appelle les maîtres du soupçon).
2. Passant sur le terrain de la présente analyse, nous pouvons constater que bien que l’homme, nonobstant le signe sacramentel du mariage, malgré le consentement conjugal et sa réalisation, reste naturellement l’homme de la concupiscence, il est en même temps, toutefois, l’homme de l’appel. Il est appelé à travers le mystère de la Rédemption du corps, mystère divin qui – dans le Christ et par le Christ dans chaque homme – est en même temps réalité humaine. De plus, ce mystère comporte un éthos déterminé qui, par son essence, est humain et que déjà précédemment nous avons appelé éthos de la Rédemption.
3. A la lumière des paroles prononcées par le Christ dans le Sermon sur la Montagne, à la lumière de tout l’Evangile et de la Nouvelle Alliance, la triple concupiscence (et en particulier la concupiscence de la chair) ne détruit pas la capacité de relire dans la vérité le « langage du corps » – et de le relire continuellement de manière plus réfléchie et plus pleine; c’est pourquoi le signe sacramentel est constitué soit à son premier moment liturgique, soit par la suite, à la dimension de toute la vie. Sous cette lumière, il importe de constater que, si la concupiscence engendre d’elle-même de nombreuses erreurs dans la relecture du langage du corps et si, en même temps, elle engendre aussi le péché, le mal moral contraire à la vertu de chasteté (aussi bien conjugale qu’extra-conjugale), il reste cependant toujours, dans le cadre de l’éthos de la Rédemption, la possibilité de passer de l’erreur à la vérité, et de même la possibilité de retourner, c’est-à-dire de se convertir, du péché à la chasteté, en tant qu’expression d’une vie selon l’Esprit (Ga 5, 16).
4. De cette manière, selon l’optique évangélique et chrétienne du problème, l’homme historique (d’après le péché originel) est, sur la base du langage du corps exploré dans la vérité, capable – comme homme et femme – de constituer le signe sacramentel de l’amour, de la fidélité et de l’honnêteté conjugale et ceci comme signe durable : « Je promets de t’être toujours fidèle dans la joie et la douleur, dans la santé et la maladie, de t’aimer et t’honorer tous les jours de ma vie ». Ceci signifie que l’homme est de manière réelle l’auteur des significations au moyen desquelles, après avoir relu le langage du corps dans la vérité, il est également capable de former dans la vérité ce langage dans la communion conjugale et familiale des personnes. Il en est capable, même comme homme sujet à la concupiscence étant en même temps appelé par la réalité de la Rédemption du Christ (simul lapsus et redemptus).
5. Grâce à la dimension du signe, propre au mariage comme sacrement, se trouve confirmée la spécifique anthropologie théologique, la spécifique herméneutique de l’homme qui pourrait, en ce cas, également s’appeler herméneutique du sacrement parce qu’elle permet de comprendre l’homme sur la base de l’analyse du signe sacramentel. Comme ministre du sacrement, auteur (co-auteur) du signe sacramentel, l’être humain – homme et femme – est un sujet conscient et capable d’autodétermination. C’est uniquement sur cette base qu’il peut être l’auteur du langage du corps, qu’il peut être également auteur (co-auteur) du mariage comme signe : signe de la création divine et Rédemption du corps. Le fait que l’être humain (l’homme et la femme) est l’être sujet à la concupiscence n’empêche pas qu’il soit capable de relire le langage du corps dans la vérité. Il est l’homme à la concupiscence, mais en même temps il est capable de discerner le vrai du faux dans le langage du corps et peut être l’auteur des significations vraies (ou fausses) de ce langage.
6. Il est l’homme de la concupiscence, mais il n’est pas complètement déterminé par la libido (au sens généralement donné à ce terme). Une telle détermination signifierait que l’ensemble des comportements de l’homme – et même, par exemple, le choix de la continence pour des motifs religieux – s’expliquerait uniquement par les transformations spécifiques de cette libido. En ce cas, – sur le plan du langage du corps – l’homme serait condamné à des falsifications essentielles : il serait seulement quelqu’un qui exprime une détermination spécifique par la libido, mais n’exprimerait pas la vérité (ou la fausseté) de l’amour conjugal et de la communion des personnes, même s’il pensait la manifester. Il serait donc condamné, par conséquent, à se suspecter lui-même et à suspecter les autres au sujet de la vérité du langage du corps. A cause de la concupiscence de la chair, il pourrait n’être qu’accusé, mais il ne pourrait être vraiment appelé.
L’herméneutique du sacrement nous permet de conclure que l’homme est toujours essentiellement appelé et non simplement accusé, et cela précisément en tant qu’homme sujet de la concupiscence.