L’adultère est le péché du corps
1. Dans le Discours sur la Montagne, Jésus dit : « Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir » (Mt 5, 17). Pour éclairer en quoi consiste cet accomplissement, il passe ensuite aux différents commandements, en se référant également à celui qui dit : « Tu ne commettras pas d’adultère ». Notre précédente méditation visait à faire voir de quelle manière le contenu adéquat de ce commandement, voulu par Dieu, se trouvait effacé par de nombreux accommodements dans la législation particulière d’Israël. Les prophètes qui ont souvent dénoncé dans leur enseignement l’abandon du vrai Dieu-Yahvé par le peuple, en le comparant à l’ « adultère », mettent ce contenu en relief de la manière la plus authentique.
Osée, non seulement par les paroles mais – à ce qu’il semble – également par le comportement, se préoccupe de nous révéler (Os 1-3) que la trahison du peuple est semblable à la trahison conjugale et, même encore plus, à l’adultère exercé comme prostitution : « Va, prends-toi une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant du Seigneur » (Os 1, 2). Le prophète perçoit cet ordre en lui et l’accepte comme provenant de Dieu-Yahvé : « Le Seigneur me dit encore : Va, aime une femme qui est aimée par un autre et qui est adultère » (Os 3, 1). En effet, bien qu’Israël soit ainsi infidèle à son Dieu, comme l’épouse qui « suivait ses amants pendant qu’elle m’oubliait » (Os 2, 15), Yahvé ne cesse cependant de chercher son épouse, il ne se lasse pas d’attendre sa conversion et son retour, confirmant cet attachement par les paroles et par les actions des prophètes : Et il adviendra en ce jour-là, oracle du Seigneur, que tu m’appelleras ‘mon mari’ et non plus ‘mon maître’… Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur » (Os 2, 18 ; Os 2, 21-22). Cet appel chaleureux à la conversion de l’épouse infidèle va de pair avec la menace suivante : « Qu’elle éloigne de son visage les signes de la prostitution et d’entre ses seins les marques de son adultère. Sinon, je la déshabillerai et je la mettrai à nu, je la mettrai comme au jour de sa naissance » (Os 2, 4-5).
2. Cette image de l’humiliante nudité de la naissance a été rappelée à Israël, épouse infidèle, par le prophète Ezéchiel et d’une manière encore plus large (Ez 16, 5-8 ; Ez 16, 12-15 ; Ez 16, 30-32) « Par le dégoût qu’on avait de toi, tu as été jetée dans les champs, le jour où tu es née. Passant près de toi, je t’ai vue te débattre dans ton sang ; je t’ai dit, alors que tu étais dans ton sang : Vis ! Je t’ai rendue vigoureuse comme une herbe des champs ; alors tu t’es mise à croître et à grandir et tu parvins à la beauté des beautés ; tes seins se formèrent, du poil te poussa ; mais tu étais sans vêtements, nue. En passant près de toi, je t’ai vue ; or tu étais à l’âge des amours. J’ai étendu sur toi le pan de mon habit et couvert ta nudité ; je t’ai fait un serment et je suis entré en alliance avec toi, oracle du Seigneur Dieu. Alors tu fus à moi … J’ai mis un anneau à ton nez, des boucles à tes oreilles et un diadème splendide sur ta tête. Tes bijoux étaient d’or et d’argent, tes vêtements de lin fin, d’étoffes précieuses, de broderies … Le renom de ta beauté s’est répandu parmi les nations : car elle était parfaite à cause de la splendeur dont je t’avais parée. Mais tu t’es fiée à ta beauté et, à la mesure de ton renom, tu t’es prostituée en prodiguant tes faveurs à chaque passant … Comme il était fiévreux, ton cœur ! oracle du Seigneur Dieu – quand tu faisais toutes ces actions, dignes d’une prostituée insolente. Lorsque tu te bâtissais une estrade à l’entrée de tous les chemins, quand tu faisais un podium sur toutes les places, tu n’étais pas comme la prostituée, en quête de salaire. La femme adultère, au lieu de son mari, accueille les étrangers. »
3 La citation est un peu longue mais le texte est cependant si important qu’il était nécessaire de l’évoquer à nouveau. L’analogie entre l’adultère et l’idolâtrie y est exprimée d’une manière particulièrement forte et exhaustive. Le moment similaire entre les deux composantes de l’analogie consiste dans l’alliance accompagnée de l’amour. C’est par amour que Dieu-Yahvé conclut l’alliance avec Israël qui, sans aucun mérite de sa part, devient pour lui son épouse, comme l’époux et le conjoint le plus affectueux, le plus prévenant et le plus généreux. Pour cet amour qui accompagne le peuple choisi depuis l’aube de son histoire, Yahvé-Epoux reçoit en échange de nombreuses trahisons : les « hauteurs », voilà les lieux du culte idolâtre dans lesquels se trouve accompli « l’adultère » d’Israël-Épouse. Dans l’analyse que nous sommes en train de faire, l’important est le concept d’adultère dont se sert Ezéchiel. On peut cependant dire que l’ensemble de la situation dans laquelle se trouve cité ce concept (dans le cadre de l’analogie), n’est pas typique. Il ne s’agit pas ici tellement du choix mutuel fait par les époux et qui naît de l’amour réciproque mais du choix de l’épouse (et ceci déjà à partir du moment de sa naissance), un choix provenant de l’amour de l’époux, amour qui, de la part de l’époux lui- même, est un acte de pure miséricorde. En ce sens le choix se dessine : il correspond à cette partie de l’analogie qui qualifie l’alliance de Yahvé avec Israël. Il correspond cependant moins à la seconde partie de ce choix qui qualifie la nature du mariage. La mentalité de cette époque n’était certainement pas très sensible à cette réalité. Pour les israélites, le mariage était plutôt le résultat d’un choix unilatéral, souvent fait par les parents. Cependant, cette situation rentre difficilement dans le cadre de nos conceptions.
4. Si l’on fait abstraction de ce détail, il est impossible de ne pas se rendre compte que, dans les textes des prophètes, on relève une signification de l’adultère différente de celle qu’en donne la tradition législative. L’adultère est un péché parce qu’il constitue la rupture de l’alliance personnelle entre l’homme et la femme. Dans les textes législatifs, on relève la violation du droit de propriété et, en premier lieu, du droit de propriété de l’homme sur cette femme qui a été son épouse légale, une de ses épouses. Dans les textes des prophètes, le fond de la polygamie effective et légalisée n’altère pas la signification éthique de l’adultère. Dans de nombreux textes, la monogamie apparaît comme l’unique et juste analogie du monothéisme tel qu’il est interprété dans les catégories de l’Alliance, c’est-à-dire de la fidélité et de la confiance dans l’unique et vrai Dieu-Yahvé, l’Epoux d’Israël. L’adultère est l’antithèse de cette relation sponsale, il est l’antinomie du mariage (également comme institution) en ce que le mariage monogame réalise en lui l’alliance interpersonnelle de l’homme et de la femme, qu’il réalise l’alliance née de l’amour et accueilli par les deux parties respectives précisément comme mariage (et, comme tel, reconnu par la société). Ce genre d’alliance entre deux personnes constitue le fondement de cette union par laquelle « l’homme … s’unira à sa femme et tous les deux ne feront qu’une seule chair » (Gn 2, 24). Dans le contexte décrit ci-dessus, on peut dire que cette unité corporelle fait partie de leur « droit » (bilatéral), mais qu’il est surtout le signe régulier de la communion des personnes, de l’unité constituée entre l’homme et la femme en qualité de conjoints. L’adultère fait par chacun d’entre eux n’est pas seulement la violation de ce droit ‘nais en même temps une falsification radicale du signe. Il semble que dans les oracles des prophètes cet aspect de l’adultère trouve précisément une expression suffisamment claire.
5. En constatant que l’adultère est une falsification de ce signe qui trouve non pas tellement sa « normativité » mais plutôt sa simple vérité intérieure dans le mariage – c’est-à- dire dans la convivence de l’homme et de la femme, qui sont devenus conjoints -, nous nous référons alors de nouveau, dans un certain sens, aux affirmations fondamentales faites précédemment, en les considérant comme essentielles et importantes pour la théologie du corps, tant du point de vue anthropologique que du point de vue éthique. L’adultère est « un péché du corps ». Toute la tradition de l’Ancien Testament l’atteste et le Christ le confirme. L’analyse comparée des paroles qu’il a prononcées dans le Discours sur la Montagne Mt 5, 27-28, comme aussi les différentes affirmations qui s’y rapportent et qui sont contenues dans les Évangiles et dans les autres passages du Nouveau Testament, nous permettent d’établir la raison propre de la culpabilité de l’adultère. Et il est évident que nous déterminons cette cause de la culpabilité, ou plutôt du mal moral, en nous basant sur l’origine de l’opposition à l’égard de ce bien moral qu’est la fidélité conjugale, ce bien qui ne peut être réalisé adéquatement que dans le rapport exclusif entre les deux parties (c’est-à-dire dans le rapport conjugal d’un homme et d’une femme). L’exigence de ce rapport est le propre de l’amour sponsal dont la structure interpersonnelle (comme nous l’avons déjà noté) est régi par la normativité intérieure de la « communion des personnes ». C’est précisément elle qui donne la signification essentielle à l’alliance (aussi bien dans le rapport homme-femme que, par analogie, dans le rapport Yahvé-Israël). On peut légiférer d’après l’origine de l’opposition à l’engagement conjugal ainsi compris à partir de l’adultère, de sa culpabilité, du mal moral qu’il contient.
6. Il faut avoir tout ceci présent à l’esprit lorsque nous disons que l’adultère est un « pêché du corps ». Le « corps » se trouve considéré ici dans le lien conceptuel avec les paroles de Gn 2, 24. En effet, ces dernières parlent de l’homme et de la femme qui, comme mari et femme, s’unissent si étroitement l’un l’autre au point de former « une seule chair ». L’adultère indique l’acte par lequel un homme et une femme qui ne sont pas mari et épouse, forment « une seule chair » (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas mari et épouse au sens de la monogamie qui a été établie à l’origine plutôt qu’au sens de la casuistique légale de l’Ancien Testament). Le « péché » du corps peut seulement être identifié en considération du rapport des personnes. On peut parler de bien ou de mal moral selon que ce rapport rend vraie cette « unité du corps » et qu’il lui confère ou non le caractère de signe véridique. Dans ce cas, nous pouvons donc juger l’adultère comme péché conformément à l’objectif contenu dans l’acte.
C’est le contenu que le Christ a à l’esprit quand il rappelle, dans le Discours sur la Montagne : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère ». Mais le Christ ne s’arrête pas à cette perspective du problème.