Frères, rendons un culte à Dieu par notre charité mutuelle. Tout effort qui ne tend pas à cette fin est vain… car les disciples du Christ sont reconnus à leur mutuelle dilection. C’est là leur signe : « En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples ». La charité ! C’est elle qui explique que le Verbe se soit fait chair et qu’il soit venu habiter parmi nous. S’Il a enduré spontanément et librement tant de souffrances, c’était pour rassembler sa créature, la nature humaine, que le diable avait désagrégée et éparpillée… C’est elle qui est la Sagesse sans reproche de Dieu, Sagesse dont la fin est ce bien : l’humanité, et cette vérité : l’amour de Dieu. C’est elle qui unit les hommes entre eux et qui les unit ainsi à Dieu.
Frères, je connais un homme qui, dans son amour, s’appliquait et s’ingéniait de mille façons pour arracher les frères dans la familiarité desquels il vivait, à leurs actions ou à leurs pensées mauvaises, prenant l’un par la parole, tel autre par quelque bienfait, tel autre encore par le biais de quelque occasion… Et je vis cet homme pleurant sur celui-ci, gémissant à propos de celui-là, au point de revêtir en quelque sorte leur personne et de s’imputer à lui-même les fautes qu’ils avaient commises…
Et je connais encore un homme qui se réjouissait d’un tel cœur des combats et des victoires de ses frères, et qui se montrait si heureux d’applaudir à leurs progrès dans la vertu, qu’on eût dit vraiment que c’était lui, plutôt qu’eux, qui devait recevoir le prix de ces vertus et de ces labeurs.
Enfin, je connais un homme qui désirait d’une telle ardeur le salut de ses frères, que souvent il demandait à Dieu, avec des larmes brûlantes, de tout son cœur, et dans l’excès d’un zèle digne de Moïse, ou que ses frères fussent sauvés avec lui, ou qu’il fût lui aussi condamné avec eux. Car il s’était lié avec eux dans l’Esprit-Saint d’un tel lien d’amour, qu’il n’aurait même pas voulu entrer dans le royaume des cieux, s’il avait dû pour cela être séparé d’eux.